24-02-2015

[Ex] 8 - Moïse en terre de Madiân

Exode 2 par : Père Alain Dumont
Moïse arrive au puits de Madiân et y épouse Tsippora, fille de Re“ouel. Peut-être n'a-t-il pas été aussi facilement accueilli que semble le dire le récit...
Duration:14 minutes 5 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article

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Bonjour,

Nous continuons notre lecture du début du livre de l’Exode, au ch. 2, et voici donc Moïse parvenu à un puits de Madiân après avoir traversé le terrible désert de la péninsule du Sinaï. Ah, les puits ! Comme on l’a évoqué à la fin de la vidéo précédente, il s’en passe, des choses, autour des puits dans la Bible !

D’abord, faisons bien la distinction : un puits n’est pas une citerne. Une citerne, c’est ce qui sert à recueillir de l’eau, et à l’occasion, ça sert à y jeter des gens, Joseph en sait quelque chose. Mais en revanche, on ne jettera jamais personne dans un puits. Ce serait souiller l’eau à laquelle les hommes et les bêtes s’abreuvent ; et puis un puits, c’est souvent très profond : jusqu’à 20 m ! Soit l’eau s’y infiltre, soit le trou débouche sur une eau courante, une “eau vive” comme dira Jésus Jésus à la Samaritaine. Creuser un puits se fait en chantant , dira le livre des Nombres (Nb 21,17s), mais boucher un puits est une déclaration de guerre, comme les Philistins avec Isaac au livre de la Genèse (cf. Gn 21,25 ; 26,18-22) ! Enfin, au sens métaphorique, le puits symbolise la bien-aimée, comme dans le Cantique des Cantiques de Salomon (cf. Ct 4,12-15) ; il symbolise l’épouse, comme dans le livre des Proverbes (cf. Pr 5,15). En faisant quand même attention, parce que la prostituée, elle aussi, est un puits, mais un puits étroit et sans fond (cf. Pr 23,27) ! Y tomber, pour le coup, c’est descendre au Shéol !

Bref. Quoi qu’il en soit, vous voyez que le puits est un élément essentiel de la vie des villes et des villages. Et c’est aussi en suivant les puits que les nomades établissent leurs itinéraires. Au puits, les femmes viennent y puiser l’eau domestique, tandis que les hommes, eux, y amènent les troupeaux ; du coup, on y parle, on s’y rencontre et on peut même y découvrir sa bien-aimée : rappelons-nous Eliézer, le serviteur d’Abraham qui y a rencontré Bethsabée, la future épouse d’Isaac ; rappelons-nous Jacob qui tombe amoureux de Rachel, un amour qui va décupler ses forces puisqu’il va bouger à lui tout seul et d’un seul bras la pesante pierre qui recouvrait le puits : quel bel homme, musclé, serviable, sensible — et il fond en larme à cause de ce qui lui est arrivé —, et tout et tout… comment voulez-vous qu’une femme puisse lui résister ? Et puis il y a Moïse, donc, qui arrive à son tour à ce puits de Madiân, et il s’assoit « dessus », dit le texte littéralement, comme Jésus s’assiéra lui-même sur le puits où viendra puiser la Samaritaine.

Et si l’on nous raconte immédiatement que les filles du prêtre de Madiân arrivent ; si l’on nous raconte un fait courageux — Moïse chasse les méchants bergers qui importunaient les filles… Bref si la Torah nous raconte ces événements autour d’un puits, on peut être sûr qu’il y a du mariage dans l’air ! Cette fois, Moïse ne fait pas péter les muscles comme son ancêtre Jacob, mais il est un valeureux défenseur du sexe faible, et galant avec ça : alors qu’il vient de traverser le désert, voilà qu’il fait boire le bétail des filles de Ré”ouel ; ou peut-être de ses petites-filles, parce que Ré”ouel serait plutôt, d’après la tradition, « le père de leur père » qui, lui, s’appelle Jethro. Quoi qu’il en soit, Ré”ouel, mis au courant, invite Moïse à demeurer parmi eux et on nous dit tout de suite qu’il lui donne une de ses filles, Çipporah. Pourtant, ce n’est peut-être pas si simple ! Parce que la tradition orale est plus réaliste. Elle précise que Moïse n’a pas été tout de suite si bien reçu. Le Targum, c’est-à-dire la traduction de la Torah en araméen du temps de Jésus, ajoute qu’apprenant qu’il s’était enfui de chez Pharaon, Ré“ouel lui fait un accueil plutôt brutal : il le jette dans une citerne pendant 10 ans ! Je vous lis le texte du Targum de Jérusalem, qui développe le v. 21 en s’appuyant justement sur la tradition orale :

« Quand Ré“ouel apprit que Moïse avait fui devant Pharaon, il le jeta dans une citerne. Mais Çipporah, la fille de son fils, le nourrit en secret pendant 10 ans. Au bout de 10 ans, il le fit sortir de la citerne. »

Pourquoi fait-il cela ? Oh sans doute parce qu’il reconnaît Moïse, ou en tous les cas ses insignes de Grand Administrateur. N’oublions pas que Timna entretenait des rapports étroits avec le sanctuaire de Joseph-Aménophis, et que les hauts personnages s’étaient forcément rencontrés. Donc Ré“ouel reconnaît Moïse, et en apprenant qu’il s’est enfui, il prend peur « Que va faire Pharaon s’il apprend que tu es ici ? » Du coup, exactement de la même manière que AMENHOTEP III avait voulu faire disparaître toute trace officielle de l’existence du jeune Joseph quand il l’avait fait descendre en Égypte — la tradition rapporte que Joseph était resté 12 ans en prison ! — Ré“ouel, en jetant Moïse dans la citerne pendant 10 ans, s’assure que Pharaon n’aura pas vent de sa présence en Madiân.

Et voici la suite du texte du Targum : Moïse entra à l’intérieur du jardin de Ré“ouel et il rendait grâce et priait devant YhwH qui avait fait pour lui des miracles et des prodiges. Il aperçut le bâton qui avait été créé au crépuscule, sur lequel était gravé en toutes lettres le Nom Grand et Glorieux, grâce auquel il était destiné à accomplir les merveilles en Égyptes et grâce auquel il était destiné à fendre la Mer des Roseaux et à faire sortir l’eau du rocher. Le bâton était fiché au milieu du Jardin. Aussitôt, Moïse étendit la main et il le prit. Voici qu’alors Moïse voulut habiter avec l’homme — Re“ouel —et celui-ci donna à Moïse Çipporah, la fille de son fils. »

Vous voyez bien que là, ce n’est plus de la traduction, mais en revanche, c’est la Tradition. C’est-à-dire non pas quelque chose qu’on invente, mais on ajoute par écrit ce que la tradition a gardé en mémoire et transmis oralement depuis des générations en génération… Or qu’est-ce qu’a gardé cette tradition orale ? Eh bien, elle s’est posé des questions sur le fameux bâton de Moïse. Quel était ce fameux bâton qui va prendre une telle place, en particulier dans l’affrontement entre Moïse et Pharaon ?

En réalité, si on revient encore une fois à l’historiographie égyptienne, il y a un bâton particulier : le bâton de Pharaon : le fameux HEKA dont nous avons déjà parlé, en forme de houlette de berger. N’oublions pas qu’à cette époque, un tel signe était un objet sacré par lequel les dieux pouvaient opérer des prodiges. On craignait ceux qui portaient de tels bâtons, à commencer par Pharaon. Mais ce bâton était aussi porté par les Grands d’Égypte, et un homme comme Joseph portait nécessairement un tel bâton.

À partir de là, on essaie de réfléchir, et toute une interprétation se met en place autour de ce bâton prodigieux qui se transformera en serpent, transformera l'eau du Nil en sang, fera tomber la grêle, transformera la poussière du sol en moustiques, fendra les eaux de la Mer des Roseaux, fera jaillir de l'eau d'un rocher, etc. Mais alors quoi ? Serait-ce alors un bâton magique ? Mmmh ! La Bible n’aime pas trop la magie ! Donc il faut trouver une autre voie d’interprétation. Suivez-moi bien.

Si, par ce bâton, Moïse va pouvoir accomplir des prodiges, ce n’est pas qu’il est magique, mais qu’il vient de DIEU, il a été créé par DIEU. Or quand est-ce que DIEU a pu le créer ? Comme dans les mythologies ? Pfft, comme ça, les objets apparaissent ? Non. Si DIEU a créé un tel bâton, ce ne peut être qu’au commencement ! Car tout est créé au commencement. Rien après. Donc si un tel bâton existe, Il remonte obligatoirement, dit la tradition, jusqu’à Adam ! C’est explicitement ce que la tradition juive va nous dire dans le MiDraSh PiRQé de Rabbi Éliézer :

R. Lévi dit : « Le bâton créé entre les deux soleils fut transmis au premier homme dans le jardin d’Eden. Adam le transmit à Énoch. Énoch le transmit à Noé. Noé le transmit à Sem. Sem le transmit à Abraham. Abraham le transmit à Isaac. Isaac le transmit à Jacob. Jacob le fit descendre en Égypte et le transmit à Joseph, son fils. Lorsque Joseph mourut, toute sa maison fut pillée et ses biens furent mis dans le palais de Pharaon. Jéthro était l’un des magiciens de l’Égypte. Il vit le bâton et les signes qui y étaient inscrits. Il le désira ardemment et s’empara du bâton. Il l’emporta et le planta au milieu du jardin de sa maison. Aucun homme ne put l’approcher. Lorsque Moïse arriva chez Jéthro, il entra dans le jardin de sa maison et aperçut le bâton et il lut les lettres qui y étaient inscrites. Il étendit sa main et le prit. Jéthro le vit et s’exclama : “celui-ci est destiné à délivrer Israël de l’Égypte dans le futur”. C’est pour cette raison qu’il lui donna Çipporah, sa fille, pour femme » 

Voilà. Vous voyez, pour lire la Bible, il faut savoir s’ouvrir à la tradition qui la baigne, un peu comme le liquide amniotique baigne le fœtus dans le ventre de la maman. Bien entendu, ce qui importe, c’est le bébé, mais sans le liquide qui l’entoure, le bébé n’est rien ! C’est analogiquement la même chose entre la Torah écrite et la Torah orale. La Torah écrite baigne dans la Torah orale et s’en nourrit. Donc le Christ Jésus s’’est nourri de cette Torah orale, et beaucoup d’événements racontés dans le NT en sont aussi imprégnés. C’est pourquoi il faut aussi la connaître, au moins à travers quelques bribes, à notre niveau. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on va entendre rapidement parler de ce fameux bâton, don c il était utile de s’y arrêter.

Bref. Quoi qu’il en soit, pour en revenir à notre texte de l’Exode, le chapitre 2 poursuit en racontant la naissance d’un fils à Moïse : GerShoM, ce qui signifie : « Étranger en ce lieu ». Donc en déclarant sa descendance étrangère sur cette terre, Moïse signifie qu’il reste fidèle à ses pères. Dit autrement, autant il y a un cordon d’adoption avec l’Égypte — un cordon qu’il faudra couper radicalement —, autant il n’y a aucun lien filial avec Madiân. Non que Moïse n’y vivra rien, mais il sent qu’il n’est pas appelé à y demeurer. Quand bien même il épouse une madiânite — une madiânite qui se sera forcément convertie, précise la tradition orale.

Au demeurant, le texte ne s’attarde pas : à la fin du chapitre, la caméra, en quelque sorte, quitte Madiân pour revenir en Égypte, et on nous dit que Pharaon est mort — entendons Ramsès IX —, et que les frères de Moïse, ses vrais frères, les Fils d’Israël, sont désormais esclaves. Et là, DIEU intervient. On ne l’avait plus vu à l’œuvre en direct depuis longtemps ! Pendant toute l’histoire de Joseph, Il avait été présent, certes, mais de manière voilée derrière la figure de Joseph ; comme si, dans ce mélange de divinités — puisqu’officiellement, Joseph vénérait l’Horus Khentii-Khat-Tii, Dieu n’avait pas voulu compromettre son Nom très Saint. Et de fait, c’est hors de l’Égypte, c’est-à-dire surtout hors du Panthéon de l’Égypte, que DIEU va maintenant révéler son Nom à Moïse.

Nous verrons cela la prochaine fois.

Je vous souhaite une bonne lecture de ce chapitre 2 de l’Exode !

Je vous remercie.
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