14-05-2023

[Dt] Tout faire pour ne jamais perdre l’héritage !

Deuteronomy 12:1-3 par : Père Alain Dumont
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L’installation se fait de plus en plus prégnante. Encore faudra-t-il qu’elle perdure, et pour ça, Moïse énonce un code de lois adapté à l’héritage que YiSseRâ‘éL va devoir assumer. Reste à se demander pourquoi ces lois commencent, apparemment, aussi violemment.
Transcription du texte de la vidéo : 
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous commençons notre lecture suivie du ch. 12 qui, dans le contexte qu’on a pris le temps de rappeler, nous livre les éléments du premier noyau autour duquel s’est composé le Deutéronome. Un Deutéronome qui, historiographiquement parlant, pose lui-même les premiers jalons de la TORâH.

Alors déjà, on va revenir rapidement à la notion de ‘Formulaire d’Alliance’, parce que ça va permettre de mieux situer le ch. 12 dans l’ensemble du livre, et donc de mieux en comprendre la portée.

– Dt 1 à 4 peut se lire comme le PROLOGUE HISTORIQUE dans lequel s’insère la Titulature qui revient dans tout le discours : « YHWH, ton ‘ÈLoHîM / ou le ‘ÈLoHîM de tes pères ».
– Dt 5 à 11 développe la STIPULATION FONDAMENTALE qui s’exprime par le Décalogue et le commandement d’aimer l’ÊTRE unique — YHWH ‘èH.âD — de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force ; le reste des chapitres est composé d’exhortations et de rappels historiques.
– Dt 12 à 26 constitue proprement le CODE DEUTÉRONOMIQUE qu’on commence à lire, qui décline les STIPULATIONS PARTICULIÈRES, c’est-à-dire les prescriptions qui organisent le peuple de YiSseRâ‘éL comme un CORPS, sous la houlette du commandement fondamental — alors ça concerne l’unité du Sanctuaire, le sens des sacrifices, les rites funéraires, l’obligation de verser l’impôt au Temple, les fêtes de pèlerinage où TOUT YiSseRâ‘éL est appelé à se rassembler trois fois par an à YeROuShâLaYiM ; la place des Fils de LéWî dans cet organigramme ; la difficile question des adultères ou des divorces ; de magnifiques lois de bienveillance, etc.
Puis viennent les derniers points :
– Dt 27 à 30 = la liste des bénédictions et des malédictions conditionnelles, selon l’obéissance ou la désobéissance du peuple aux Stipulations.
– Dt 31 à 34 qui pose le livre du Deutéronome comme Témoin à conserver impérativement pour le relire périodiquement, auquel s’ajoute le Cantique de Moïse au ch. 32.

Alors c’est UNE manière de trouver ses repères dans ce grand livre ! Il y en a d’autres, mais cette structure de ‘Formulaire d’Alliance’ a l’avantage de présenter le Deutéronome comme un HÉRITAGE, d’une part à recevoir de la part de YHWH ; et d’autre part à TRANSMETTRE à aux générations qui suivent — qui constituent TOUT YiSseRâ‘éL, pas seulement dans l’espace, mais dans le temps, dans l’histoire — ; à charge pour chacune d’entre elles, y compris aujourd’hui évidemment, de S’APPROPRIER cet héritage en INTERPRÉTANT sa propre histoire dans la lumière de l’Alliance ; dans la lumière de cet ENTRE-DEUX qui relie YHWH à son peuple@. Parce que TOUT EST LÀ ! Un héritage n’a jamais été un simple bien matériel à consommer par les bénéficiaires comme bon leur semble. Un héritage est TOUJOURS une TRANSMISSION à INTERPRÉTER pour le maintenir vivant, donc TRANSMISSIBLE ! Et pour le dire tout de go : on ne touche là à rien de moins qu’à la définition même de la VIE SPIRITUELLE. On a une vie spirituelle quand on devient conscient de l’HÉRITAGE reçu ; qu’on le reçoit dans la GRATITUDE et qu’on assume à son tour la mission de le TRANSMETTRE. C’est tout. Tout le reste n’est qu’immaturité ; « vanité », dirait le QoHèLèT.

Alors précisément : la première chose à laquelle vont s’attacher nos scribes Fils de LéWî — d’un point de vue rédactionnel, n’oublions pas qu’on est ici au tout début ! C’est d’ailleurs assez émouvant quand on sait les fruits que tout ça portera, mais dont nos scribes n’ont encore aucune idée à ce stade ! — Donc : la première chose à laquelle vont s’attacher nos scribes va être de poser cet HÉRITAGE comme une RESSOURCE à INTERPRÉTER et à RÉINTERPRÉTER “CHAQUE JOUR” pour permettre à TOUT YiSseRâ‘éL de garder le cap ; de rester sur le chemin de la Bénédiction et de vivre dans la lumière d’un À-VENIR toujours ouvert, quels que soient les événements qui traversent l’histoire ! C’est la raison pour laquelle, jusqu’à aujourd’hui, les Fils de YiSseRâ‘éL ne cessent de scruter la TORâH dans laquelle sont contenus tous les potentiels, tous les POSSIBLES inscrits à même la CHAIR de cet HÉRITAGE. En tous les cas, GARDER L’HÉRITAGE de YHWH est vraiment ce qui constitue en propre l’âme de TOUT YiSseRâ‘éL, comme cet ENTRE-DEUX sans lequel YiSseRâ‘éL se retrouve incapable de rien faire — pour reprendre la formule de Jésus — dit autrement : sans cet appui originel, sans la VOIX de l’ÊTRE qui s’y fait entendre, YiSseRâ‘éL perd tout moyen d’interpréter les APPELS et les SECOUSSES D’ÊTRE qui touchent chaque génération, et se ferme à son À-VENIR.

Bien. Alors une fois le cadre d’ensemble posé, commençons notre lecture :

Le v. 1 reprend une formulation qu’on a déjà entendue au moment de la promulgation du Décalogue : « Écoute, YiSseRâ‘éL, les décrets et les jugements que Moi, j’énonce à vos oreilles AUJOURD’HUI. Apprenez-les et gardez-les pour les faire — pour les mettre en pratique — ! » (Dt 5,1) ; une formulation que reprenait déjà, en formant une belle inclusion, la fin du ch. 11 : « Vous passerez le YaReDDéN pour venir hériter du sol que YHWH votre ‘ÈLoHîM vous donne. Vous en hériterez et vous y habiterez. Veillez à FAIRE tous les décrets et les jugements que Moi, je donne en face de vous AUJOURD’HUI. » (Dt 11,31-32).

Donc, comme pour bien manifester le lien qui les unit, le v. 1 articule les ch. 12 à 26 sur l’ensemble des ch. 5 à 11 en reprenant cette même formulation : « Voici les décrets et les jugements que vous garderez pour les FAIRE sur le sol que t’a donné YHWH, le ‘ÈLoHîM de tes pères, pour en HÉRITER TOUS LES JOURS ou vous vivrez sur la terre. » (Dt 12,1).

Comme quoi l’HÉRITAGE de YHWH, l’HÉRITAGE de l’ÊTRE ne consiste pas à envahir un territoire pour étancher une soif primaire de domination. Il s’agit d’hériter de CE sol « TOUS LES JOURS » ! Chaque jour ! « AUJOURD’HUI » ! Non pas seulement l’aujourd’hui du récit pour lui-même, au moment de franchir le YaReDDéN / le Jourdain ; mais un AUJOURD’HUI du récit qui se fait ÉVÉNEMENT, c’est-à-dire qui se pose comme une ORIGINE à revisiter CHAQUE JOUR de l’histoire de YiSseRâ‘éL. Spirituellement donc, à la lumière de la TORâH, chaque AUJOURD’HUI de la vie du peuple s’illumine par l’ENTRE-DEUX tissé avec l’AUJOURD’HUI de l’entrée des pères en KaNa“aN ! Ce qui signifie qu’à tout Juif scrutant la TORâH « pour la faire », CHAQUE JOUR se présente à interpréter comme un PASSAGE ; le PASSAGE d’une rive à l’autre du YaReDDéN inscrit à même la LETTRE, qui colle à la peau du peuple Hébreu, puisque “iVeRî, עִבְרִי, Hébreu, vient de la racine “aVaR, עָבַר, qui signifie [passer, dépasser, traverser, franchir], etc. “aVâRâH, עֲבָרָה, c’est le gué, ou la traversée  ; “éVèR, ,עֵבֶר c’est l’autre côté.

Toujours est-il qu’être “iVeRî / Hébreu, c’est donc constamment PASSER ; se dépasser, se surpasser pour répondre aux APPELS D’ÊTRE à aller toujours de l’autre côté, c’est-à-dire au-delà de nos limites. Pas nécessairement très très au-delà, mais suffisamment pour ne pas s’y enfermer par mode de quiétude, avec le danger récurrent de s’en rendre esclaves. Et pour ça, savoir faire constamment l’aller-retour entre le présent et cet ÉVÉNEMENT originaire afin que l’à-venir reste à jamais ouvert à TOUT YiSseRâ‘éL. Toute la Sagesse de YiSseRâ‘éL est là : dans la TRANSMISSION, non pas tant d’un contenu à rabâcher, mais de cette CAPACITÉ INTERPRÉTATIVE qui consiste à jouer le jeu de l’ENTRE-DEUX entre des ÉVÉNEMENTS mis en récit et le quotidien de chaque génération. Ce qui se TRANSMET d’une génération à la suivante, c’est donc l’héritage de ce PASSAGE de sorte que l’INTERPRÉTATION devient pour YiSseRâ‘éL comme une seconde peau ; devient le véritable patrimoine SPIRITUEL qui permet à TOUT YiSseRâ‘éL de traverser magistralement l’histoire sans rien craindre de la jalousie des nations qui tombent toutes les unes après les autres alors que ce petit peuple, lui, poursuit sa route depuis plus de 3500 ans. Du jamais vu dans l’histoire des civilisations ! Est-ce que ça en fait un peuple parfait ? Non. Est-ce que ça en fait un peuple béni ? Il y a bien des chances. Une bénédiction qui n’a rien d’un privilège, mais qui met TOUT YiSseRâ‘éL en travail de perpétuel dépassement de soi ; ce qu’aucune nation n’a jamais accepté pour elle-même — sauf à être travaillée par l’Église, mais ça, c’est une autre affaire.

Voilà en tout cas pour le v. 1 qui, dans les ENTRE-DEUX qu’il tisse avec les chapitres précédents, s’avère d’une richesse interprétative considérable. Et à nous, AUJOURD’HUI — y compris les chrétiens qui, par le Christ, deviennent, par le baptême, des êtres de PASSAGE — ; à nous donc de veiller quotidiennement à cet héritage, d’autant que ce n’est que sous cet éclairage que peut s’entendre la suite du chapitre.

Alors après cette articulation de sens que compose le v. 1 commencent les prescriptions du nouveau code… et là, reconnaissons que c’est assez violent — « Pour mener à perte, vous mènerez à perte tous les lieux où les nations dont vous héritez ont servi leurs ‘ÈLoHîM, sur les Hauts Monts, sur les collines et sous tout arbre luxuriant. Abattez leurs autels, brisez leurs stèles, calcinez leurs ‘AShéRâH ! » (Dt 12,2-3) —. C’est vrai qu’après de telles injonctions, on peut se demander comment encore parler d’un Dieu d’amour ! Mais c’est justement ce genre d’impasse qui nous met au travail ! Ce verset, après l’avoir reçu comme un coup de poing, soit vous le balayez d’un revers de main sous prétexte qu’il ne répond pas à votre idéologie — ce qui est le signe d’une profonde immaturité —, soit vous l’interprétez comme une SECOUSSE D’ÊTRE, et là, ça vous donne à parler, donc à penser, donc à INTERPRÉTER pour découvrir qu’en définitive, de manière tout à fait paradoxale, c’est d’AMOUR qu’il est ici question ; et plus généralement dans l’ensemble du livre du Deutéronome.

Alors précisons, parce qu’en cette matière, on peut dire tout et n’importe quoi. On ne parle évidemment pas ici de l’amour narcissique primaire où l’autre n’est aimé qu’au prorata du bien-être qu’il me procure. On parle de l’amour qui se réjouit de voir l’autre grandir, PASSER, SE DÉPASSER du seul fait de se savoir AIMÉ, de se savoir BÉNI, de se savoir partie prenante d’un ENTRE-DEUX où l’ÊTRE peut passer comme une GRÂCE et ouvrir à l’aimé une infinité de POSSIBLES que ce dernier, rivé à son narcissisme, n’aurait jamais été capable d’envisager. C’est toute la différence, si on veut, entre un amour immature, ingrat par définition, et un amour mature qui sait reconnaître et consentir à l’ENTRE-DEUX dont il procède et jouit de pouvoir, non seulement en vivre mais en transmettre l’âme. En dehors de ce jeu de vie, qui est un jeu SPIRITUEL puisqu’il s’agit d’un jeu de TRANSMISSION, tout est vanité, dit le QoHèLèT — encore lui.

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Pourquoi est-ce que je vous dis tout ça à propos de ce tout petit verset ? Parce que dans le cadre de cet amour vrai, viril, mature, c’est-à-dire qui ouvre à la vérité, qui offre de savoir INTERPRÉTER chaque instant dans la lumière de YHWH, dans la lumière de l’ÊTRE-VIVANT, de l’ÊTRE qui DONNE LA VIE… Dans le cadre de cet amour vrai donc, reconnaissons avant tout qu’amour ne sait pas rimer avec compromission. Dans le droit fil des prophètes, à l’époque où écrit le scribe — peut-être sous Yo’ShiYYâHOu / Josias, ou plus tard, en exil à Babylone —  notre scribe sait pertinemment que la tragédie que traverse TOUT YiSseRâ‘éL est due à son refus, ou à tout le moins à sa négligence d’ « aimer l’unique YHWH de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force » pour reprendre les termes du ch. 6 au v. 5. La situation est donc due à la COMPROMISSION récurrente et immature des rois de YiSseRâ‘éL comme de YeHOuDâH avec les Bâ“aLîM, même après H.iZeQiYYâHOu / Ézéchias et Yo’ShiYYâHOu / Josias. Et comme toujours, à partir des rois, cette compromission se diffuse dans le peuple dans la mesure où, à cette époque, n’importe quel peuple adore la divinité de son suzerain, point final. Du coup, même après le moment de Renouveau vécu avec Yo’ShiYYâHOu / Josias, Bâ“aL ne manquera pas de revenir piétiner les platebandes de YHWH, comme par ailleurs son ‘AShéRâH. Comme quoi rien n’est jamais acquis… Il ne suffit pas que se produise un ÉVÉNEMENT. Il en faut impérativement • et l’INTERPRÉTATION, • et la TRANSMISSION, sans quoi l’héritage se perd.

Maintenant attention : nous lisons ces versets tranquillement assis dans un fauteuil, et nous oublions trop vite que le contexte, lui, est en lui-même d’une violence inouïe ! On l’a déjà évoqué, rappelons-nous, à propos du prophète ‘ÉliYâHOu / Élie. Quand les prophètes de Bâ“aL s’en prennent à ceux de YHWH, ou inversement, c’est sanglant dans la mesure où, jusqu’à ‘ÉliYâHOu, les divinités sont des supports du pouvoir, ni plus ni moins. Or c’est précisément là que YHWH va mettre son peuple au travail en lui disant : « Ok, défends-toi, mais PAS pour un territoire ! PAS par réflexe narcissique de domination ! Défends-toi contre la violence tyrannique de tes ennemis, mais pas pour devenir tyran à leur place ! Défends-toi pour être, parmi les nations, une lumière de VIE éternelle ! Ça suffira pour qu’elles t’en veuillent à mort pendant toute ton histoire, mais l’enjeu en vaut la peine. Tu seras plus vivant que toutes les autres nations réunies. Et tu seras pour elles le témoin de la Grâce et d’une Bénédiction toujours offerte à qui s’attache à Moi ; MOI qui suis l’ÊTRE, c’est-à-dire Celui qui  est, qui était et qui, seul, sait ouvrir l’à-venir et tous ses POSSIBLES.

Donc derrière ces versets — à condition qu’on veuille bien les INTERPRÉTER —, c’est toute la question de l’ENTRE-DEUX qui se pose en termes d’une ALLIANCE d’amour, autrement dit d’ÉLECTION — l’amour de charité que Jésus posera comme le socle de la vie chrétienne, c’est ça : c’est un amour d’élection sans compromissions. Donc : derrière ces v. 2-3 est posée de manière radicale la non- compromission que réclame l’Alliance absolument vitale entre YHWH et TOUT YiSseRâ’éL, sans laquelle ce dernier se perdra au milieu des nations. En ce sens, on avait la même radicalité dès le ch. 7 : « Tu ne concluras pas de mariage avec les nations : tu ne donneras pas ta fille à leurs fils, et tu ne prendras pas leur fille pour ton fils, car cela écarterait ton fils de derrière moi et il servirait d’autres ‘ÈLoHîM ; alors s’enflammerait contre vous la narine de YHWH et il t’exterminerait vite. Mais vous ferez ainsi avec eux : leurs autels, vous les abattrez ; leurs stèles, vous les briserez ; leurs AShéRâH, vous les trancherez et leurs statues, vous les incinérerez. Car tu es un peuple consacré à YHWH, ton ‘ÈLoHîM. YHWH, ton ‘ÈLoHîM t’a choisi pour être son peuple en propre, parmi tous les peuples qui sont à la surface de la terre. Si YHWH s’est épris de vous... » (Dt 7,3-6).

Pour résumer : « YHWH est UN, Il vous a élus et s’est épris de vous ! Faites en sorte de ne pas sortir de cet ENTRE-DEUX, parce que hors de YHWH, vous ne pourrez rien faire ! Vous ne saurez pas interpréter les SECOUSSES D’ÊTRE de votre histoire. Vous n'aurez à terme aucun autre choix que celui de QaYîN face à HâVèL et faute de lumière, le monde restera enfermé dans l’impasse de la Malédiction : il restera esclave de sa propre violence meurtrière. » L’enjeu n’est donc pas mince.

Maintenant, allons plus loin : YHWH ne dénonce pas la méchanceté de la violence en exhortant simplement à être gentil ! Méfions-nous toujours de ceux qui s’adonnent à ce genre de propos : ce sont les premiers à exploser lorsqu’ils rencontrent eux-mêmes des SECOUSSES D’ÊTRE, ne sachant pas quoi en faire. Tout à l’inverse : YHWH assume dans un premier temps la violence de son peuple, ce qui est le seul moyen de pouvoir la mettre en travail et la transformer peu à peu en puissance de vie. Ça passera par le prophète ‘ÉliYâHOu ; par le mystérieux Serviteur Souffrant de YeSha“eYâHOu / Isaïe ; ça passera par l’Exil où, pour le coup, tout semblera s’effondrer puisque YeROuShâLaYiM sera rayé de la carte par les troupes babyloniennes.

Mais même au milieu de cette tourmente, YHWH restera fidèle, et la flamme de YiSseRâ‘éL ne s’éteindra pas. Il subsistera ceux que YeSha“eYâHOu / Isaïe appellera le « Petit Reste », c’est-à-dire en définitive les scribes, Fils de LéWî, qui resteront coûte que coûte à l’écoute de la mémoire des prophètes pour l’interpréter au nom de TOUT YiSseRâ‘éL. Même en Exil, et encore par la suite, ils continueront de récolter les annales royales et les mémoires patriarcales, pour pouvoir peu à peu tisser une histoire où se révèle une trajectoire d’ÉLECTION qu’ils conjugueront en termes d’AMOUR ; et d’amour nuptial, s’il vous plaît, dont nous voyons ici la validation au cœur même de la TORâH ! Pourquoi ? Parce que seul l’amour nuptial justifie une Alliance entre l’ÊTRE et son peuple sans compromission possible ! C’est parce que YHWH s’est épris de son peuple qu’Il se doit de lui être fidèle ! Rappelons-nous saint Paul : « Si nous sommes infidèles, Lui — ‘ADoNaï, le Seigneur — demeure fidèle parce qu’Il ne sait pas se renier Lui-même. » (2Tim 2,13). C’est cette fidélité de YHWH, tant chantée par les Psaumes, qui fait de cet amour, de cet ENTRE-DEUX entre l’ÊTRE et TOUT YiSseRâ’éL une BÉNÉDICTION ; une Alliance indissoluble ! Et là, ça va loin parce que cette indissolubilité va être le moteur de l’ESPÉRANCE juive dès lors qu’à la suite des SECOUSSES qui ne cesseront d’ébranler TOUT YiSseRâ‘éL, le « Petit Reste » comprend que, dans le fond, « Tout est Noces » pour reprendre le magnifique titre de Marie-Madeleine Davy. Manière d’exprimer à quel point toutes choses vont deux par deux, comme le disaient encore une fois le Siracide et QoHèLèT au temps des sages.

Ceci dit, mis à part tout ce qu’on vient d’évoquer, il faut peut-être préciser qu’en elle-même, cette pratique d’effacement des cultes étrangers est absolument commune ; elle est de tout temps et de tout lieu ! Prenons quelques exemples :

– Quand, au XIVe siècle avant J.-C., le pharaon AKhéNaTôN veut substituer la vénération du dieu AMÔN au dieu ATÔN, il fait marteler tous les signes, toutes les inscriptions du culte de AMÔN, de la surface de l’Égypte ! Et à l’inverse, à sa mort, tous les prêtres de AMÔN qui reprendront le pouvoir abattront de la même manière tous les monuments voués à ATÔN.

– Quand, au VIIIe siècle après J.-C., les musulmans ont envahi l’Espagne, ils remplacent la Basilique de Cordoue par une Mosquée ! Et quand les chrétiens reprennent l’ascendant au XIIIe Siècle, ils recouvrent la Mosquée et la font disparaître en l’intégrant comme chapelle à un édifice gigantesque qui deviendra une cathédrale.

– Quand, au XVIe siècle, les calvinistes détruisent pas mal d’œuvres d’art et d’édifices catholiques comme la cathédrale d’Orléans, c’est, selon leur point de vue, pour édifier des temples dépouillés qui permettent de chanter en vérité la Gloire de Dieu ! La vérité calviniste…

– Au XVIIIe siècle, quand la Révolution Française, comme on dit, détruit les abbayes comme Cluny ou martèle les faces des statues sur tout le territoire de la République à laquelle Talleyrand et les autres veulent imposer le culte de l’Être Suprême, c’est le même processus.

– Idem  au XXe siècle avec les Communistes révolutionnaires : on efface ! On efface ! Et on efface avant tout l’histoire !
– Et aujourd’hui, songeons à la profanation des églises, des cimetières ; ou à l’abattage des statues : même combat ! Que font les laïcards, sinon marquer leur territoire pour effacer les ENTRE-DEUX qui pourraient mettre en danger leur système de pensée ? Rien de nouveau sous le soleil, comme dit encore et toujours le grand QoHèLèT !

On pourrait multiplier les exemples. Alors évidemment : selon qu’on est athée, juif, musulman, chrétien ou bouddhiste, pour ne citer que de grands ensembles, on sera d’accord dans un sens et pas dans l’autre : pour un chrétien, que des églises soient construites sur d’anciens sites païens à partir du IVe siècle est normal… mais du point de vue des païens en question, c’était violent ! Pour un Turc, transformer la Basilique constantinienne Sainte-Sophie en mosquée est juste… mais du point de vue chrétien, c’est un acte injuste, un acte de guerre !

Tout ça pour nous prévenir : faire la moue devant les exactions prônées par nos versets est trop facile ; et en définitive, cette moue n’est jamais que le symptôme de notre propre immaturité aveugle sur sa propre violence. Ça n’est pas pour faire un mea-culpa que la TORâH relate les élans de violence qui ont parsemé son histoire. Si elle les mentionne, si elle les confesse, c’est parce qu’elle ouvre la trajectoire d’une canalisation de cette violence en la mettant sous l’obédience de YHWH et de son amour ! Et il vaut mieux en passer par là parce qu’on va pouvoir alors espérer que cette violence, transpercée par des SECOUSSES D’ÊTRE, des SECOUSSES DE MISÉRICORDE, saura peu à peu se laisser transformer en une puissance de vie ; en une puissance qui donne la vie ! Qui combat pour que la vie soit victorieuse sur la mort !

Certains d’entre vous pensent peut-être à ce stade que mes propos sont utopiques. Alors laissez-moi vous raconter une histoire : nous sommes en Pologne dans les années 1980. Après la domination nazie pendant la guerre de 39-45, le pays tout entier est sous emprise communiste. Une ville comme Varsovie a été auparavant complètement rasée par les Nazies ; les populations décimées. Le pays est entré dans une misère chronique. Plusieurs révoltes ouvrières vont alors se succéder, violemment réprimée par le parti. En 1978, élection de Karol Wojtyla comme pape ; il fait un premier voyage en Pologne et réveille l’espérance de toute la population. Se lève alors à Varsovie, sans du tout l’avoir prémédité, un petit prêtre : le père Jerzy Popiełusko qui, par la seule force du chapelet et illuminé par l’exhortation de saint Paul : « Sois vainqueur du mal par le bien ! » (Rm 12,21), va accompagner la révolte des ouvriers en sublimant sa violence par la foi en Christ, alors même que face à la colère du peuple, les communistes déclarent l’État de guerre sur toute la Pologne. Ils prennent le père Popiełusko comme cible de propagande, le harcèlent, le menacent de mort, mais rien n’y fait : les messes pour la Patrie qu’il célèbre chaque mois rassemblent des milliers de personnes en leur offrant momentanément un espace de liberté, au cours desquelles le père exhorte ses frères de ne pas répondre au mal par le mal. Les rassemblements sont d’une dignité exemplaire alors même que les Polonais ont en eux une colère furieuse ! Le 19 octobre 1984, le père Popiełusko est sauvagement assassiné. Ses obsèques seront célébrées par plus d’un demi-million de personnes, sans un cri, sans un débordement. Malgré sa colère, seule règne la détermination d’un peuple chrétien assuré de la victoire s’il s’attache à sa foi en Christ. Et ils gagnent. En 1989, les régimes prosoviétiques s’effondrent. La Pologne reprend en main son destin, et aujourd’hui, reste un peuple à la tête haute, chrétien jusqu’au bout des ongles. Eh bien voilà : ils ont gagné en transformant leur violence intérieure en puissance de vie ; en SE transformant intérieurement, et ils en sont ressortis grandis ! Grâce à leur attachement sans compromis au Christ Jésus, dans le droit fil de l’enseignement de la TORâH de Moïse.

Or c’est paradoxalement de nos versets, entre autres, qu’une telle transformation devient possible, grâce aux SECOUSSES D’ÊTRE qui mettent TOUT YiSseRâ‘éL en travail face à la violence qui l’habite et que YHWH entreprend de transformer.

Donc en définitive, ces quelques versets posent un RÉEL ,violent  à interpréter : que tu sois Juif ou chrétien, comment toi et ta génération gérez-vous, la violence qui vous est propre ? Au service de qui la mettez-vous ? Comment accompagnez-vous la violence de votre peuple pour l’élever jusqu’à une victoire qui transcende au nom de YHWH toute tentation meurtrière ? Or ce n’est là rien d’autre, dans le fond, qu’une reformulation de l’appel de l’ÊTRE lancé à QaYîN lorsqu’il sent monter sa violence contre son frère HâVèL : « Pourquoi t’embrases-tu et pourquoi tes traits faciaux sont-ils tombés ? Assurément — la formule interro-négative en hébreu est une affirmation renforcée — : si tu agis bien, tu sauras porter [cet embrasement]. Mais si tu n'agis pas bien… Un péché est tapi à l’ouverture ! Son désir est vers toi ! Domine-le ! » (Gn 4,6-7) On retrouve la sentence sise à l’autre bout de la TORâH, qui forment une vaste inclusion qui nous dit : « Toute la trajectoire est là ! » : ­« Vois, Je mets devant toi la Vie et la Mort, la Bénédiction et la Malédiction : choisis la vie ! » Dt 30,15).

Voilà l’APPEL D’ÊTRE que la TORâH nous transmet, et c’est d’amour qu’il est question. Sauf qu’il faut du temps pour en arriver là, et nos versets 2-3 du ch. 12 du Dt s’inscrivent dans les premières avancées de cette trajectoire. Attention donc de ne pas juger la violence des anciens à la mesure du chemin qu’ont pu parcourir les générations après eux et GRÂCE à eux ! D’abord parce que tant qu’on n’a pas atteint le niveau du désir qui animait nos pères, nul ne peut espérer être meilleurs qu’eux — c’est la phrase de mon vieux professeur face aux séminaristes présomptueux que nous étions : « Messieurs, avant de dépasser, il faut d’abord atteindre ! » — ; ensuite parce que sans ces anciens, sans le peuple Juif, aucun chemin n’aurait pu être décrypté !

Savoir lui en être gré n’a donc rien de déplacé, surtout quand on est chrétien ; d’autant plus qu’au demeurant, que je sache, c’est encore le peuple Juif qui a donné Jésus aux nations ! En tous les cas, c’est le rôle de versets comme ceux que nous lisons de nous stimuler à sortir de lectures simplistes qui n’ont pour effet que de nous réduire à notre propre violence, incapables d’interpréter notre propre agressivité, et donc incapables de sortir de son emprise meurtrière ! Alors oui, interprétant la TORâH en lui surimposant sa figure, le Christ peut dire : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire ! » (Jn 15,5) ; ce qui signifie : « Avec moi, dans l’ENTRE-DEUX qui ouvre le chemin de la Bénédiction à tout homme, tout est possible, y compris de transformer votre violence en puissance de vie, dans un AMOUR sans compromission qui fonde l’entre-deux avec YHWH et que je viens renouveler dans l’élan de ma résurrection pour l’ouvrir à la multitude, en rémission des péchés ! » Et l’histoire nous apprend que ça n’a rien d’une utopie, contrairement à ce qu’une certaine propagande tente de nous le faire croire !

Alors on verra la prochaine fois ce que ça signifie au regard de YHWH. D’ici là, je vous souhaite une lecture féconde de ces trois petits versets dont il fallait, me semble-t-il, prendre le temps d’essayer de décrypter le sens. On ira sans doute plus vite par la suite.

Je vous remercie.
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