22-03-2023

[Dt] Passer du Réel à la Réalité

Deuteronomy 12-28 par : Père Alain Dumont
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Pourquoi le Nom de YHWH est-il imprononçable ? Que signifie pour l’homme une telle richesse spirituelle ? Et comment l’homme, en entendant la Voix de YHWH, devient-il le lieutenant de la Parole dans la création ?
Transcription du texte de la vidéo : 
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous restons encore un peu pendant cette vidéo — un peu longue et je m’en excuse — dans l’ENTRE-DEUX qui relie l’événement du Salut de YeROuShâLaYiM à celui du Buisson-Ardent, et nous poursuivons notre découverte du Nom biblique de YHWH, de l’ÊTRE-TEMPS, comme aime l’appeler Daniel Sibony. On va essayer d’en décrypter les implications ; en particulier de discerner comment notre attachement à ce NOM permet au RÉEL dans lequel nous sommes plongés, de devenir cette RÉALITÉ par laquelle notre existence va pouvoir se déployer.

XV. QUAND LE RÉEL DEVIENT RÉALITÉ

Alors on l’a vu : la divinité qui révèle son nom à Moïse dans l’épisode du Buisson-ardent se présente d’abord par cette phrase : ‘ÈHeYèH ‘aShèR ‘ÈHeYèH : « Je suis Celui qui est, qui était et à-venir » ; mais la parole ne s’arrête pas là : « ‘ÈLoHîM dit à Moïse : “ ‘ÈHeYèH ‘aShèR ‘ÈHeYèH !”. Tu diras ainsi au Fils de YiSseRâ’éL : “YHWH, le ‘ÈLoHîM de vos pères, le ‘ÈLoHîM de AVeRâHâM, le ‘ÈLoHîM de YiTseRâQ, le ‘ÈLoHîM de Ya“aQoV, m’a envoyé vers vous ! Voilà Mon nom à jamais, voilà Mon mémorial, de génération en génération ! » (Ex 3,14-15).

Voilà donc le fameux TÉTRAGRAMME SACRÉ dont la tradition nous dit qu’il est imprononçable, raison pour laquelle les Juifs prendront l’habitude, en le lisant, de dire : « le Nom », YHWH en hébreu ; ou ‘ADoNâY — mon Seigneur — ; ou ‘ÈLoHîM ; etc. Ceci dit, posons-nous la question : pourquoi ce TÉTRAGRAMME est-il imprononçable ? Peut-être tout simplement parce qu’il est TROP PLEIN DE SENS, dans tous les sens du mot SENS !!!

Avant de nous lancer dans une explication quelconque, restons sur une autre particularité de la langue hébraïque qui s’avère une maîtresse de haut vol dans l’art du jeu de mots comme du jeu de LETTRES. Et là, je ne vous parle pas uniquement de racines ou de chiffres, mais aussi de cette manière propre à l’hébreu de jouer avec les anagrammes pour visiter et enrichir le sens des mots de manière très inspirante ! L’hébreu peut aller jusqu’à s’amuser au HîPOuR, c’est-à-dire à l’inversion des lettres d’un mot pour tenter de l’entendre à l’endroit autant qu’à l’envers, et de voir si ces deux directions n’auraient pas quelque chose d’inspirant à révéler.

Par exemple, prenons le nom hébreu de Moïse : MoShèH, מֹשֶׁ֔ה. Comme tel, si on inverse les lettres, on s’aperçoit que ce nom compose le HîPOuR strict de YHWH : הַשֵּׁם, une inversion qui exprime assez fortement l’intimité du lien qui unit YHWH à MoShèH, son prophète…

Alors évidemment, ce genre de lien est ANALOGIQUE et je conçois que ça puisse choquer la pensée rationnelle occidentale. Sauf que voilà : l’ANALOGIE est une forme de pensée tout aussi essentielle que l’analyse rationnelle et la pensée orientale a fait le choix de ne pas la mettre sur la touche. Et c’est tant mieux parce que cette pensée ANALOGIQUE est très inspirante ! Il est rare qu’un analyste se mette à écrire des poèmes à partir des fruits de son travail ! En revanche, la pensée ANALOGIQUE, elle, est la porte d’entrée de toute inspiration artistique : poèmes, musique, peinture… comme de toute inspiration mystique : sagesse, religion, philosophie… Et c’est vrai que là où le rationnel ne jouit que de rentabilité, d’efficacité, d’exactitude ; l’analogie, elle, se réjouit du bon — pas souvent rentable —, du beau — rarement efficace —, et du vrai — à ne pas confondre avec l’exactitude.

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Pour le dire rapidement, la pensée analogique a pour tâche de rendre le RÉEL habitable, INTERPRÉTABLE ; autrement dit, la pensée analogique sait faire passer du RÉEL à la RÉALITÉ. Analyser le RÉEL, en découvrir les lois physico-mathématiques est une chose, indispensable sous bien des aspects ; mais si c’est pour en rester au pur fonctionnement de ce RÉEL aux lois duquel l’homme se voit sommé de se plier, ce RÉEL en devient INHUMAIN ! Car l’homme vit d’une autre dynamique — appelons-la SPIRITUELLE au sens où l’Esprit est ce par quoi l’homme est un être de COMMUNION, donc un être d’APPEL : l’homme, au plus intime de lui-même, ne vit que d’être APPELÉ par un autre que lui-même ! Ici, je ne résiste pas à vous lire Saint Augustin :

« Bien tard je t’ai aimée,
ô beauté si ancienne, ô beauté si nouvelle ;
bien tard je t’ai aimée !


Et voici : tu étais au-dedans de moi,
quand moi, j’étais au-dehors de moi-même où là,
je te cherchais…
Tu étais avec moi ; moi, je n’étais pas avec toi…


Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as répandu ton parfum, je l’ai respiré
et voilà que, haletant, j’aspire à toi.
Je t’ai goûtée, et voilà que j’ai faim et voilà que j’ai soif ;
tu m’as touché et je me suis enflammé pour ta paix.


Quand je me serai attaché à toi de tout moi-même,
nulle part il n’y aura plus pour moi ni douleur, ni labeur ;
et vivante sera ma vie toute pleine de toi.
Mais pour l’heure, n’étant pas rempli de toi,
toi qui allèges celui que tu remplis,
me voici pour moi-même comme un poids. »


(Saint Augustin (354-430), Confessions, Livre X,XXVII-XVIII

Voilà : là, on n’est pas dans l’analyse ! On est en plein dans le royaume de l’ANALOGIE qui permet Saint Augustin de s’approprier le RÉEL qu’il est lui-même — il s’affronte avec lui-même, un peu comme saint Paul : « Je fais le mal que je ne voudrais pas faire, et le bien que je voudrais faire, je ne le fais pas ! » (Ro 7,19). Mais voilà que l’ANALOGIE lui permet d’INTERPRÉTER ce RÉEL de telle sorte qu’il y perçoit un APPEL. Cet APPEL lui permet de s’approprier le RÉEL qui devient en lui cette RÉALITÉ au sein de laquelle il va parvenir à EXISTER pleinement : « Vivante sera ma vie ! ».

Et là il faut insister : jamais L’ANALOGIE n’aura pour effet de nous faire évader du RÉEL ! C’est tout le contraire : l’ANALOGIE nous permet d’HABITER LE RÉEL en le rendant INTERPRÉTABLE, et notamment interprétable dans le TEMPS, donc dans l’HISTOIRE. Voilà le passage du RÉEL à la RÉALITÉ, qui ne touche pas d’abord les individus mais les familles, les clans, les peuples, car c’est de CULTURE, c’est de CIVILISATION qu’il est question. Et en définitive, la Bible, c’est ça : c’est un traité de CIVILISATION qui offre à l’homme de s’approprier le RÉEL pour en faire une RÉALITÉ SPIRITUELLE au sein de laquelle il se sent APPELÉ à EXISTER. On retrouve là l’APPEL DE L’ÊTRE, l’APPEL À ÊTRE… encore et toujours.

Par ailleurs, c’est bien grâce à l’ANALOGIE, et sûrement pas grâce à l’analyse, que l’homme s’entend appelé à s’attacher au mémorial de ses origines pour, à partir de là, pouvoir vivre une HISTOIRE qui d’un côté dépasse sa simple personne, et de l’autre l’élève, le fait sortir de lui-même et, grâce à la famille dans laquelle il s’insère, découvrir toujours mieux tout le potentiel que cette ORIGINE a déposé en lui pour qu’il le déploie à sa manière dans le monde, dans le RÉEL.

Pour la Bible, cette SORTIE DE SOI, cet au-delà de nos états limites, répond au sens profond du fait d’EXISTER : EX-SISTERE, en latin : se TENIR devant soi, en avant de soi, HORS-DE-SOI pour se lever, pour sortir de soi et ainsi s’élever ! Sortir de soi ne signifie aucunement ici devenir un autre que soi : tout au contraire : sortir de soi, c’est s’émerveiller de découvrir tous les POSSIBLES à ma disposition et que je ne sais pas imaginer par moi-même. Sortir de soi, EX-SISTER, c’est donc VIVRE, ce que le livre de l’Exode met magnifiquement en récit avec la SORTIE de MiTseRaYîM ! Où l’on comprend par conséquent que ne pas sortir de soi, c’est MOURIR…  En définitive, EXISTER, c’est se manifester dans le RÉEL ; l’affronter avec cœur pour y tenir sa place en l’intériorisant et en le faisant devenir la RÉALITÉ au sein de laquelle, en communion avec notre famille, « vivante est notre vie ! ».

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Alors j’insiste : la RÉALITÉ, c’est vraiment le RÉEL illuminé par le SPIRITUEL. Je n’accède pleinement à la RÉALITÉ que par le TRAVAIL DE L’ESPRIT qui tisse entre les hommes une COMMUNION D’ÊTRE, et donc une COMMUNION D’EXISTENCE. Sans cette dimension spirituelle, le RÉEL aura raison de nous,. Si on ne se dégage pas de la folie de l’individualisme ambiant, celui-ci aura raison du genre humain en le réduisant à une masse d’individus. On le voit très bien aujourd’hui : le règne de l’argent réduit le politique à une pure gestion technocratique des masses ! Or c’est tout l’inverse du projet de l’ÊTRE. Ce que tisse l’ÊTRE, ce que tisse la TORâH, c’est avant tout la constitution d’un PEUPLE SPIRITUEL — c’est presqu’un pléonasme. Et Jésus ne visera pas autre chose. La RÉALITÉ n’est donc jamais que le RÉEL assumé par l’esprit. Elle relève d’un mouvement d’INSPIRATION dont le moteur, dans le fond, est toujours l’ÉTONNEMENT. L’étonnement d’un PARTAGE possible du RÉEL ; l’étonnement d’une COMMUNION possible au cœur même du RÉEL sauvage et brutal. Voilà ce que visent tous les appels de l’ÊTRE, toutes les SECOUSSES D’ÊTRE : « N’oublie pas qu’à mon image, tu es un ÊTRE de COMMUNION ! »

Une fois qu’on a dit ça, revenons aux lettres qui composent le Nom imprononçable de la divinité à laquelle est initié Moïse dans l’épisode du Buisson-Ardent.

XVI. LE MÉMORIAL DE L’ÊTREYHWH

Si on a compris les enjeux qu’on vient d’énoncer, voilà donc quatre lettres, Yod-Hé-Waw-Hé, qu’on va pouvoir faire jouer ANALOGIQUEMENT entre elles pour tenter d’entendre ce qu’elles ont à dire à l’homme pour l’APPELER à entrer dans ce travail spirituel qui va illuminer son EXISTENCE ; qui va rendre sa vie VIVANTE.

Par exemple :

• Hé-Waw-Yod-Hé, HaWaYaH, est l’ancienne forme du verbe « ÊTRE » = « Il est », HaWaYaH — c’est d’ailleurs une forme qu’utilisent les rabbins pour nommer YHWH sans enfreindre le commandement. Ce faisant, ils appellent YHWH : « Il est », ou « Celui qui est ».

• Maintenant, prenons l’ordre : Waw-Hé-Yod-Hé, WéHaYaH, qui veut dire « c’est ». WéHaYaH, c’est donc aussi l’ÊTRE, au sens où « ça a été, et depuis, c’est ». Ce  fameux accompli de l’hébreu biblique ; ce fameux présent qui garde en mémoire le passé.

Mais attention, parce s’en tenir à ça eut été trop simple !  Il se trouve qu’en hébreu, on peut considérer le Waw initial comme un “Waw inversif” dont l’effet est de transformer l’accompli en inaccompli ! C’est toujours un présent, mais cette fois qui est en cours. Le verbe signifie toujours « C’est », mais sur le mode : « c’est en train d’être et ça n’est pas fini d’être… » : c’est à-venir ! Où l’on retrouve  le « Je suis celui qui est, qui était et à-venir. »

• Si on essaye cette fois la combinaison Yod-Hé-Waw-Hé, YéHoWéH, c’est encore un inaccompli qui signifie : « ça vient et ce sera là ! » C’est encore une fois à-venir, non pas comme le flottement d’un futur indécis, mais  comme une PROMESSE posée au fondement même de l’ÊTRE dont le rôle reste de maintenir ouverts  tous les POSSIBLES.

Donc si le Nom, YHWH, est imprononçable, c’est en définitive parce que les quatre lettres qui le composent sont TROP RICHES pour être réduites à une seule forme ! Impossible de privilégier un ordre de lettres plutôt qu’un autre puisque Yod Hé Waw Hé, c’est le verbe ÊTRE dans tous les sens, à tous les temps à la fois. Encore une fois, c’est bel et bien l’ÊTRE comme  ‘ÈHeYèH ‘aShèR ‘ÈHeYèH, autrement dit : l’ÊTRE-TEMPS.

La meilleure traduction en français du Nom — YHWH — tel qu’il est communiqué à Moïse reste donc bien, de façon un peu globalisante, le verbe ÊTRE ; mais sans trop vite le substantiver s’il vous plaît : YHWH, c’est l’ÊTRE en tant que bouillonnement d’ÊTRE, et non pas l’ÉTANT, comme disent les philosophes, à savoir l’ÊTRE posé là comme une masse inamovible !

Maintenant allons plus loin : ‘ÈHeYèH ‘aShèR ‘ÈHeYèH, ou Y-H-W-H, a un impact remarquable sur le monde, en particulier sur les hommes, puisqu’il se dévoile à eux — et à eux seulement — comme l’ÊTRE-PARLANT, c’est-à-dire : l’ÊTRE dont la VOIX donne de PARLER. Une parole dont l’homme se découvre le LIEUTENANT au nom de toute la Création, entendons par là : l’homme est le LIEU-TENANT de la parole ; le TENANT-LIEU de la parole, autrement dit : l’homme — ‘ÂDâM — est le LIEU où, dans la Création, se TIENT la PAROLE en réponse à l’APPEL que lui lance la VOIX de l’ÊTRE.

XVII. LA VOIX DE L’ÊTRE-TEMPS

Revenons au concret de l’histoire, parce que c’est vraiment à partir de là que se construit une pensée digne de ce nom sans tomber dans l’idéologie pure et simple.

Posons d’abord que, dans l’ÉVÉNEMENT du Salut de YeROuShâLaYiM en 701, l’ÊTRE-TEMPS s’est, dans le même moment, découvert à TOUT YiSseRâ’éL comme l’ÊTRE-PARLANT.

Alors redisons-le : par « l’ÊTRE PARLANT », la Bible  n’entend pas un “ÊTRE QUI PARLE” pour dicter ses consignes — ça, ce serait plutôt la version Coran —. Lorsque la Bible découvre l’ÊTRE-PARLANT, c’est en tant que l’ÊTRE est INSPIRANT ! Il DONNE À PARLER, et dans l’enfilade : DONNE À PENSER ! C’est comme ça par exemple que les prophètes développent leurs discours : ils vivent un ÉVÉNEMENT, comme une VISION : « L’année de la mort du roi “ouZZîYâHOu/Osias, — l’arrière-grand-père de H.iZeQiYYâHOu/ Ézéchias — je vis ‘ADoNâY assis sur un trône haut et élevé dont les pans [de manteau] remplissaient le Temple.  Des SséRâPhîM se tenaient au-dessus de lui. Six ailes ! Six ailes chacun ! De deux, il couvrait ses faces ; de d’eux il couvrait ses pieds et de deux il volait. L’un à l’autre criait et disait : « Saint, Saint, Saint ! YHWH TseVâ‘OT ! Tout le Sol est plein de Sa gloire ! » Les coudées des seuils vacillèrent à la voix de celui qui criait et la Maison se remplit de fumée. Je dis : “Hélas pour moi ! Je suis anéanti ! Car je suis un homme impur de lèvres au sein d’un peuple impur de lèvres ; et mes yeux ont vu le Roi, YHWH TseVâ‘OT !” L’un des SséRâPhîM vola vers moi, un charbon ardent dans sa main qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il en toucha ma bouche et il dit : “Voilà ! Ceci a touché tes lèvres : ta faute est écartée et ton péché absout.” J’entendis la voix de ‘ADoNâY qui disait : « “Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ?” Je dis : “Me voici, envoie-moi.” » (Is 6,1-8).

Voilà : ça, c’est ce qu’on pourrait appeler une vision-ÉVÉNEMENT, un songe à partir duquel le cœur de YeSha“eYâHOu/Isaïe va s’ouvrir et y mettre des mots. Voilà comment une vision devient PARLANTE au sens où le prophète va tenter d’INTERPRÉTER ce qu’il a vu afin de PARTAGER cette vision à son peuple ; afin d’en TRANSMETTRE la vie qu’il y a perçue. Donc, pour résumer : la VOIX de l’ÊTRE se fait entendre au prophète par un songe — ça peut être par d’autres moyens, mais en l’occurrence ici, c’est en songe — ; et c’est en mettant en mots ce songe que le prophète rend audible à tous la VOIX DE L’ÊTRE. Et ce faisant, il tient son rôle d’homme, en tant que LIEUTENANT de la PAROLE INSPIRÉE par la VOIX de l’ÊTRE.

Ceci dit, vous l’avez compris, une étape singulière est franchie en 701 dans la mesure où la VOIX de l’ÊTRE n’est plus seulement entendue par un prophète mais par le PEUPLE tout entier ! Par  TOUT YiSseRâ’éL ! Que s’est-il passé dans l’ÉVÉNEMENT du Salut de YeROuShâLaYiM ? Dans le passage d’un souffle ténu, nocturne  — rappelez-vous Élie au Mont H.oRéV —, au nom de TOUT YiSseRâ’éL, les Fils de LéWî ont entendu une VOIX ! La VOIX de l’ÊTRE-TEMPS qui se révélait de manière inattendue comme l’ÊTRE-PARLANT. L’ÉVÉNEMENT a parlé. Une VOIX s’est fait entendre, non pas seulement au sens où « ça leur a parlé », où on pourrait reconnaître un hasard ou un destin, mais au sens où QUELQU’UN leur a parlé. C’est quoi, la différence ?

On peut dire par exemple d’une œuvre d’art qu’elle « nous parle ». On veut dire par là qu’on la trouve belle, stimulante, élevant, réconfortante, que sais-je ? Ça peut être un tableau de génie, une musique particulièrement inspirée, ou un paysage grandiose… Mais il n’empêche : ni ce tableau, ni cette musique, ni ce paysage ne suscitera pour autant une parole vivante — je veux dire : ça ne fera pas entendre un « Je » de leur part.

Or c’est là la spécificité de l’ÉVÉNEMENT du Salut de YeROuShâLaYiM : derrière cette VOIX que porte cet ÉVÉNEMENT, QUELQU’UN se dévoile ; quelqu’un DIT : « JE » ! L’ÊTRE se dévoile comme un SUJET que les Fils de LéWî vont associer à l’épisode du Buisson-Ardent. L’ÊTRE qui s’est fait entendre dans le bruissement ténu de la nuit où TOUT YiSseRâ’éL a été sauvé, n’est autre que ‘ÈHeYèH ‘aShèR ‘ÈHeYèH dont le tétragramme sacré devient le NOM MÉMORIAL de l’ÊTRE. Le Nom dans lequel TOUT YiSseRâ’éL va désormais se fonder comme en son ORIGINE pour, du cœur de cet ENTRE-DEUX, toujours être capable d’interpréter le PRÉSENT et les ÉVÉNEMENTS de son HISTOIRE, fut-ce dans ses moments les plus catastrophiques. Et grâce à celui qu’on nomme à raison YHWH, le NOM MÉMORIAL, L’ÊTREYHWH pour ainsi dire, TOUT YiSseRâ’éL  prend conscience que, quel qu’il soit, l’à-venir reste pour lui toujours ouvert : « Tu diras aux fils de YiSseRâ’éL : JE SUIS‘ÈHeYèH m’a envoyé vers vous. Dieu dit encore à Moïse : « Tu diras ainsi au Fils de YiSseRâ’éL : “L’ÊTREYHWH, le ‘ÈLoHîM de vos pères, le ‘ÈLoHîM de AVeRâHâM, le ‘ÈLoHîM de YiTseRâQ, le ‘ÈLoHîM de Ya“aQoV, m’a envoyé vers vous ! Voilà Mon nom à jamais, voilà Mon mémorial, de génération en génération ! » (Ex 3,14-15).

YHWH se présente donc comme ‘ÈHeYèH, c’est-à-dire « Je suis » avec toutes les nuances qu’on a apportées. Mais l’important est bien qu’ici, l’ÊTREYHWH dise : « JE ». L’ÊTREYHWH se dévoile donc comme un SUJET, comme une PERSONNE ! Alors ça ne surprend peut-être pas trop les chrétiens que nous sommes, mais il s’agit en fait d’un bouleversement considérable !

XVIII. EXISTER DANS L’ENTRE-DEUX AVEC L’ÊTRE

Disons en gros : jusqu’en 701, l’ÊTREYHWH inspire ses prophètes en songe et en visions. Ce qui change à partir de 701, c’est qu’il touche et inspire TOUT YiSseRâ’éL ; et lorsque les scribes rapportent cet ÉVÉNEMENT à l’épisode du Buisson-Ardent, la portée de son Nom va entraîner une relation absolument inédite dans toute l’histoire des religions entre un peuple et son dieu.

Alors là encore, attention : lorsque l’ÊTREYHWH se présente comme ‘ÈHeYèHJE SUIS, s’il se présente comme un ÊTRE PERSONNEL, ce n’est certainement pas comme un être “individuel”. Persona en latin, c’est le comédien de théâtre qui avance sur scène MASQUÉ. Il est là, mais son masque lui fait échapper à toute emprise visuelle. Le dévoilement ne se fait que par sa parole et son jeu de scène. Or nos pères dans la foi ont compris que la chose est valable pour l’ÊTREYHWH dont les chrétiens disent qu’il est de “nature personnelle” : il y a bien une VOIX — la MèMeRaH en araméen, ou le VERBE pour reprendre le terme de saint Jean — ; il y a bien une VOIX qui se fait entendre, ce qui signifie que QUELQU’UN — l’ÊTREYHWH, en l’occurrence — joue, pour ainsi dire, sur la scène de l’histoire. L’ÊTREYHWH joue le jeu de l’ENTRE-DEUX au sein duquel l’homme se découvre CAPABLE D’ENTENDRE sa VOIX. Mais c’est vrai aussi que l’ÊTRE avance comme masqué, de sorte qu’en entendant sa VOIX, nul homme ne saurait pour autant mettre la main sur Lui pour le transformer en idole. Ce que confirme ce passage du livre de l’Exode où Moïse s’entend dire par l’ÊTREYHWH : « Tu ne peux pas voir mes faces, car le ‘ÂDâM ne peut me voir et vivre ! » (Ex 33,20). Voilà en quel sens l’ÊTREYHWH est vraiment une PERSONNE, ce SUJET PARLANT, dans un vis-à-vis étonnant avec l’homme dont le rôle, on l’a déjà dit plusieurs fois, est de METTRE EN MOTS cette VOIX ; de l’INTERPRÉTER au sein et au nom de la Création.

Ce « JE » ne se pose en instance toute-puissante monolithique, affirmant son existence par soi, en soi et pour soi. Pour la Bible, ça n’a strictement AUCUN SENS d’imaginer une telle représentation de l’ÊTREYHWH, sinon à le transformer en une idole — terrifiante au demeurant. Et de fait, quel intérêt de se poser là si c’est pour n’exister que pour soi ?

Donc : la TORâH prend le « Je Suis » de l’ÊTREYHWH très au sérieux, parce qu’elle entend que dire « JE », comme disait le philosophe Juif Martin Buber, c’est NÉCESSAIREMENT initier un « TU » ! C’est FAIRE ÊTRE un « TU ». Autrement dit : dans le même moment où il dit « JE »,  l’ÊTREYHWH fait être un autre que soi. Il crée un « TU » à qui il est donné de PARLER. Par ailleurs, dans le moment même où l’ÊTRE se définit comme « JE », Il crée un ENTRE-DEUX dont les conséquences lui échappent nécessairement et là, c’est là que ça devient VIVANT ! 

Tout l’apport de la TORâH est là : penser la VIE DE  l’ÊTREYHWH, non pas à partir de concepts, mais à partir du retentissement de sa VOIX à travers les ÉVÉNEMENTS qui façonnent l’histoire comme autant de commencements et de recommencements par lesquels l’ÊTRE ORIGINEL, au fondement de tout le créé, maintient ouvert un à-venir tout en ne cessant jamais de rappeler cette ORIGINE dont l’à-venir déploie le potentiel. Une ORIGINE absolue dont l’ÊTRE-TEMPS, l’ÊTRE-PARLANT se pose EN PERSONNE comme l’ÉVÉNEMENT PREMIER, comme l’ORIGINE absolue de tout ce qui est, au sens où cet ENTRE-DEUX enracine en Lui toute vie, toute existence, toute EX-SISTANCE, c’est-à-dire toute possibilité de SORTIE DE SOI qui ne mène à rien d’autre qu’à la JOIE.

Le problème, parlant d’ORIGINE, c’est qu’on la relègue toujours à un “truc  d’autrefois”, il y a “très longtemps”, qu’on laisse dans le placard. On en ouvre parfois les portes pour savoir si c’est toujours là, mais ensuite, on se focalise sur l’unique présent comme s’il existait par lui-même et pour lui-même. Du coup, on est mal avec l’ÊTRE, on connaît un MAL-ÊTRE du fait de ce refus de l’ENTRE-DEUX qui, pourtant, qu’on le veuille ou non, nous maintient dans l’ÊTRE. Cet ENTRE-DEUX permet à l’ORIGINE de se rappeler à nous à chaque fois que nécessaire pour relancer l’APPEL, souvent brutal, de notre vocation première ; l’APPEL PREMIER DE L’ÊTREYHWH qui préside à toute existence, à toute EX-SISTANCE. « ‘AVeRâHâM ! ‘AVeRâHâM  — Me Voici ! Va vers toi ! Sors de ton Sol ! » / « Moïse ! Moïse ! — Me Voici ! Fais sortir mon peuple de MiTseRaYîM ! » / « SheMOu‘éL ! SheMOu‘éL !  — Me Voici ! Va ! Je t’envoie vers ‘IShaï de Bé‘YT LéH.èM car j’ai vu un roi pour moi parmi ses fils ! »

Voilà comment naît l’HOMME PARLANT, à l’image de l’ÊTRE-PARLANT : quand il sait dire : « Me voici ! ». Quand l’homme arrive à répondre : « Me Voici », alors il consent et assume l’ENTRE-DEUX qui le fait naître. Il s’attache à l’APPEL ORIGINEL de L’ÊTRE — c’est le but de tous les rites religieux — et il n’est plus perdu ; le monde autour de lui devient son LIEU d’ÊTRE. Il sait, dans le cadre de cet ENTRE-DEUX, de cette Alliance, de cet Amour — appelez ça comme vous voulez —, que  l’ÊTREYHWH veillera à toujours maintenir ouvert l’à-venir. Ça va secouer, mais ça va tenir grâce à cet l’ENTRE-DEUX, aussi solidement que l’Arche de Noé au sein de la tempête.

Alors pour aller jusqu’au bout, comprenons que le lien qu’instaure cet ENTRE-DEUX entre l’ÊTRE et l’homme ; entre l’ÊTRE-TEMPS, l’ÊTRE-PARLANT, et le LIEU-TENANT de cette PAROLE ; comprenons que ce lien est celui de la COMMUNION ! Elle relève donc de l’ESPRIT si tant est que, dans la Bible, il apparaît que l’âme relève de la communication avec soi-même ; que le corps relève de la relation avec les autres ; et que l’ESPRIT relève de la COMMUNION avec l’ÊTREYHWH. Est-ce que ça veut dire qu’une communion entre les hommes serait malvenue ? Tout au contraire ! C’est précisément cette COMMUNION avec l’ÊTREYHWH qui fonde l’AMITIÉ entre les hommes, comme le montre magistralement l’Évangile selon saint Jean. Mais cette communion entre les hommes — Homme ici est pris au sens neutre — passe nécessairement par la COMMUNION avec l’ÊTREYHWH, par l’ENTRE-DEUX qui unit originellement toute personne humaine à la personne de l’ÊTREYHWH pour qu’à jamais soient entendus les APPELS D’ÊTRES qui fondent notre existence. « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son ‘ADoN ; mais Je vous appelle amis parce que  tout ce que J'ai entendu de mon Père, Je vous l’ai fait connaître. Ce n'est pas vous qui m'avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis. Je vous établis pour que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Ainsi, tout ce que vous demanderez à mon Père en Mon nom, il vous le donnera. » (Jn 15,15-16). On est là au cœur de toute ÉVANGÉLISATION : avec Jésus, le peuple que se donne de vivre dans l’ENTRE-DEUX avec l’ÊTREYHWH est un peuple d’AMIS — les fameux ÉLUS. Une élection à laquelle TOUS sont APPELÉS, sans exception.

Enfin voilà. Tout ça est évidemment trop rapidement dit, mais je voulais qu’à ce stade de notre lecture du Deutéronome, on s’ouvre un peu aux dimensions attachées à la révélation du Nom ; ce Nom de l’ÊTREYHWH qui s’est manifesté un soir de printemps de l’an 701 à TOUT YiSseRâ’éL et l’a mis radicalement sur les rails de la vie et de la Bénédiction : « Va ! — Me voici ! ». « Quand je me serai attaché à toi de tout moi-même,
nulle part il n’y aura plus pour moi ni douleur, ni labeur ;
et vivante sera ma vie toute pleine de toi. »


Ceci dit, c’est bien beau d’avoir commencé à prendre conscience de qui est YHWH en vérité et de composer les premiers linéaments de la TORâH, à travers les ch. 12 à 28 du Deutéronome ; sauf que, comme par hasard, tout ne va pas se passer exactement comme prévu après la mort du roi H.iZeQiYYâHOu / Ézéchias. Beaucoup de secousses sont encore à venir — c’est ce qui rend la TORâH si vivante ! Mais nous verrons ça la prochaine fois.

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Je vous remercie.
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