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13-01-2015

Thème 3 - De Joseph à Joseph (Version revue)

par : Père Alain Dumont
La figure du patriarche Joseph nous éclaire sur celle du père de Jésus : le juste Joseph, le charpentier de Nazareth.
Duration:23 minutes 15 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/de-joseph-a-joseph.html )

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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article

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Bonjour,

J’aimerais ici que nous fassions un petit exercice d’interprétation typique d’une lecture chrétienne de la Bible en nous posant la question : comment le Juste Joseph, le Patriarche, est-il une clef essentielle pour comprendre qui est le « Juste Joseph » de l’évangile selon saint Matthieu, c’est-à-dire le père adoptif de Jésus.

Rappelons-nous qu’on ne peut pas comprendre les personnages du Nouveau Testament si on néglige les figures essentielles que la Torah a pris patiemment le temps de camper. C’est vrai en particulier du Christ Jésus qui, lui, récapitule toutes les figures de la Torah, depuis Adam jusqu’à Moïse ; mais aussi la figure de Josué, des Juges, des Rois et en particulier David à partir de qui, entre autres, va émerger la figure du MaShia’H, le Messie. Donc vraiment, pour comprendre les figures du Nouveau Testament, y compris celle de Jésus, il est vraiment IMPOSSIBLE de faire l’impasse sur le terreau qui a préparé leur avènement !

Alors posons-nous la question : qu’est-ce qui nous permet de relier Joseph le Patriarche ; YoSSef HaTzaDiQ, Joseph le Juste, à la figure de Joseph, le père de Jésus ? Eh bien tout simplement le jeu des textes entre eux : quand des mots ou des noms identiques sont utilisés en divers endroits, ce sont autant d’indices subtils que ces événements ou ces personnages sont liés d’une manière ou d’une autre, mais de manière voilée pour susciter en nous le désir de chercher, de scruter les Écritures.

Prenons un exemple dans l’évangile selon saint Matthieu : « Voici quelle était la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, se trouva enceinte de par l’Esprit Saint avant qu’ils eussent habité ensemble. Joseph, son époux, qui était juste, ne voulait pas faire d’elle un exemple et il fit le dessein de la délier [de ce mariage] à l’insu de tous. » Quand un juif, ou un chrétien versé dans les écritures, entend parler dans cette généalogie du Juste Joseph, YoSSeF HaTzaDiQ, il sursaute instantanément ! Il comprend aussitôt que ce YoSSeF HaTzaDiQ renvoie au YoSSeF HaTzaDiQ de la Genèse ! Et il comprend que ce que l’évangile est en train de lui raconter n’est rien d’autre que l’aboutissement de tout ce qui a commencé il y a si longtemps, lorsqu’à la suite des Patriarches AVRaHaM, YTsRaK et YaKoV, il s’est agi de faire NAÎTRE le peuple d’Israël. Et il comprend que tout ce qui a été rapporté de la vie et de l’œuvre du Juste Joseph, le patriarche, va éclairer la figure du Juste Joseph, le père de Jésus, et peut-être même inversement…

Alors c’est vrai que l’évangile nous en dit peu sur la figure du père adoptif de Jésus, mais c’est parce qu’il n’a pas besoin d’en dire beaucoup puisque tout ce dont on a besoin de savoir est DÉJÀ dans la Torah. Je vais essayer de vous donner quelques exemples. D’abord Matthieu termine ainsi la généalogie du Christ : « Élioud engendra Éléazar ; Éléazar engendra Matthan ; Matthan engendra Jacob ; Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie de laquelle naquit Jésus, appelé Christ. » Il est évident, pour celui qui a l’habitude de scruter les Écriture, qu’en disant que Joseph, l’époux de Marie, est FILS DE JACOB, Matthieu est en train de nous dire qu’il faut connecter cette généalogie à celle du Patriarche, puisque dans le récit de la Genèse, Joseph est d’abord l’un des douze fils du patriarche Jacob ! Alors d’accord, Luc, lui, écrit que Joseph est fils, non de Jacob mais de son frère Héli. D’après la tradition orale, Héli s’est marié le premier, mais il est mort sans enfant ; donc selon la loi du Lévirat, Jacob a épousé sa belle-sœur et a donné un fils à son frère auquel il a donné le nom de YoSePh. Ce n’est pas impossible ! Rappelez-vous que la tradition orale ne part jamais de rien, mais ce n’était pas l’objet de l’évangile que d’expliciter ces affaires. Quoi qu’il en soit, Luc, dans sa narration, ne cherche pas à connecter les deux histoires : celle de l’évangile et celle du patriarche, parce que ses auditeurs sont des pagano-chrétiens peu sensibles à de tels rapprochements. Matthieu, lui, s’adresse à des judéo-chrétiens, imprégnés de la ToRaH ! Donc il choisit à dessein de privilégier la lignée de Joseph par Jacob, fils de Matthan, parce qu’un juif verra tout de suite le parallèle qui exprime clairement que les deux Joseph sont reliés ! Seulement pour le comprendre, il faut un minimum être versé dans la connaissance de la ToRaH !

Alors certains diront : le Messie ne doit-il pas être fils de Juda, plutôt que fils de Joseph ? En réalité, ce que peu de chrétiens savent, c’est qu’avant l’avènement du Messie Fils de David, les juifs attendaient un Messie Fils de Joseph, à la fois guerrier et souffrant. Ce serait trop long d’expliquer ici. Disons seulement que la généalogie fait précisément descendre le Joseph, le père de Jésus, de la lignée de Juda, par David, ce qui signifie que Jésus est à la fois Fils de Joseph et Fils de David. Il réunit en sa personne les deux figures messianiques de la Délivrance Finale ! C’est sûr que lorsqu’un juif entend parler d’un Joseph fils de David, ses oreilles bourdonnent. Mais voyez, c’est comme ça qu’on écrit dans l’antiquité, et en particulier l’antiquité biblique : on raconte avec les codes de la mémoire ! Tout s’articule, tout s’harmonise lumineusement : Jésus, ressuscité d’entre les morts, s’inscrit magnifiquement dans la tradition que la Torah a semée. Matthieu ne peut pas être plus clair !

Alors maintenant, posons-nous une autre question : qu’est-ce qu’un JUSTE selon la Bible ? Un JUSTE, c’est un fils d’Israël attaché à la Torah comme à sa vie pour obéir aux commandements de YHWH. Le JUSTE est celui qui scrute l’Écriture jour et nuit — dans les moments de lumière de ténèbres —, qui se met à l’école de ses pères, de la tradition orale autant sinon plus que de la tradition écrite. Donc en parlant du JUSTE JOSEPH, Matthieu nous dit que le père de Jésus un professionnel de la Torah, voire même un Docteur de la ToRaH. On dirait aujourd’hui qu’il était Rabbin. En ce sens, pour le professeur David Flusser, enseignant de l’université hébraïque de Jérusalem qui s’est intéressé toute sa vie au Jésus historique, il est indéniable que si Jésus a pu être retrouvé au Temple en train de discuter pied à pied avec les docteurs de la Torah, c’est qu’il avait reçu une éducation juive exemplaire. Et toujours d’après David Flusser, le Maître de Jésus n’a pu être que son propre père, en tant que Maître de la ToRaH. Pour avoir une idée de cette éducation, on peut lire Robert Aron, l’écrivain juif qui a écrit : « Les années obscures de Jésus »,

« À l’époque où vit Jésus, et où il arrive pour la première fois dans le Temple de Jérusalem, le talmud n’a pas encore été codifié. C’est encore une tradition orale que se transmettent les Docteurs, et à l’intérieur de laquelle ils confrontent la diversité de leurs opinions ; les nuances de leurs commentaires sur la Parole de Dieu. C’est dire que l’on ne peut pas reconstituer exactement les conversations auxquelles Jésus a assisté ou même participé. Toutefois, ce dont on est sûr, c’est que de tels échanges de vues lui ont été familiers pendant ses années obscures, puisqu’on retrouve dans ses propos que citent les évangiles, beaucoup de pensées ou même de formules talmudiques. Jésus a donc connu la tradition talmudique. Il n’a certes lu ni la Mishna, ni la Guemara qui lui sont postérieurs. Mais du fait que dans ces ouvrages se trouvent des analogies avec le texte des évangiles, il résulte et il est certain que le talmud fait partie de l’univers spirituel dans lequel Jésus a vécu. »



Alors comment David Flusser peut-il affirmer que le Juste Joseph fut le Maître de son fils ? Parce que les évangiles synoptiques rapportent tous que Jésus était charpentier, fils de charpentier… Écoutons David Flusser à ce propos :

« Les scribes n’étaient pas des mandarins. Ils demandaient à chacun d’enseigner un métier à son fils et eux-mêmes, pour la plupart, étaient artisans. Les charpentiers étaient considérés comme particulièrement instruits. Ainsi, lorsqu’une difficulté surgissait, ils demandaient : “Y a-t-il parmi nous un charpentier ou le fils d’un charpentier qui puisse résoudre pour nous ce problème ?” Or Jésus était « fils de charpentiers ». Ce qui signifie à tout le moins que son père faisait partie de l’élite des rabbins de son époque, même habitant dans le village insignifiant de Nazareth. Les grandes villes n’étaient pas loin. Et n’oublions pas que comme Joseph, des grands noms de cette époque cités dans la Mishna, c’est-à-dire les premiers écrits du Talmud, Rabbi Shammaï était charpentier ; et Hillel, de son côté, était bucheron. »



Vous voyez… David Flusser nous permet, à nous chrétiens, d’être un minimum logiques avec notre propre tradition : Si vraiment Jésus est le Verbe de DIEU qui s’est fait chair — ce que je crois —, alors sa formation humaine n’a pu être confiée qu’à un éducateur éminent et sur le plan humain, et sur le plan de la science. Si Jésus était destiné à venir nous libérer en nous ouvrant le chemin de la vie et de la vérité, son père et Maître, le JUSTE Joseph, ne pouvait être qu’un grand Rabbi. Tout comme le patriarche Joseph fut un Juste qui su garder les traditions des pères, c’est-à-dire l’esprit de la Torah qui est parvenue jusqu’à Moïse qui l’a couchée par écrit. Et on peut dire que Joseph a été un Rabbin infiniment béni dans la mesure où son élève l’a infiniment dépassé en sagesse et en Justice. Et peut-être aussi en charpente, qui sait ?

Bien. Autre question : pourquoi la naissance du Christ a-t-elle eu lieu à BeThLéHèM ? Parce que le Messie devait venir de BeThLéHèM, comme David. Certes. Mais n’oublions pas non plus que BeThLéHèM, c’est le tombeau de RaH°eL, la mère du patriarche Joseph : donc là encore, que Joseph, fils de Jacob, vienne donner naissance à Jésus près du tombeau de RaH°eL, ça a un sens ! Les deux Joseph se rejoignent là, en quelque sorte, comme si un immense pont se dressait entre l’histoire du Patriarche et celle du père de Jésus pour nous dire que cette histoire est la même et que s’accomplit avec la naissance de Jésus un projet qui était visé dès l’époque du Patriarche !

Et puis il y a la question des songes de Joseph. Le père de Jésus, nous dit Matthieu, a eu des songes sur l’identité du personnage qu’il devait prendre pour fils : « Marie enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Mt 1,21). Bel avenir ! Oui, mais que Joseph ait eu des songes n’est pas étonnant si on se rappelle que le patriarche Joseph le premier a fait l’objet de songes qui touchaient à son avenir glorieux à travers lequel ses frères seraient sauvés de la famine, et donc de la mort. Joseph le patriarche a donc eu pour mission de sauver son peuple, dont d’une certaine manière, il devient comme le père protecteur. Et c’est de ce peuple que sortira le Messie ! Et ce que disent les visions de Joseph le charpentier, c’est que son Fils accomplira l’œuvre annoncée au Patriarche. On est dans le même registre, sans pour autant que ce soit du copier-coller… Mais Jésus se trouve un peu comme le fils des deux Joseph à la fois !

Et quand on nous dit que Joseph, le père de Jésus, descend en Égypte à cause d’Hérode qui veut le mettre à mort, la connaissance de la ToRaH nous permet de comprendre qu’il ne s’agit pas simplement d’une « fuite en Égypte » ; c’est la mémorisation du départ de Joseph le Patriarche qui, rappelez-vous, est descendu en Égypte à cause de la malveillance de ses frères qui avaient fait le projet de le tuer, même s’ils n’avaient pas été jusqu’au bout de leur projet. Donc Matthieu est en train de nous dire que Joseph, le père de Jésus, part en Exil, comme le Patriarche, à cause de la malveillance de ses propres frères à travers la figure d’Hérode le Grand. Que fera-t-il en Égypte ? On ne le dit pas, mais à l’époque, les communautés juives y étaient nombreuses et très bien implantées ! Un Rabbin qui arrive, on l’accueille dans la communauté locale, on lui donne de pouvoir exploiter son art de charpentier et on discute avec lui de la ToRaH.

Qu’il remonte ensuite à Nazareth est plus difficile à légitimer, parce que comme le dira Nathanaël : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » Et de fait : Nazareth est absolument inconnue de la Torah. Mais Nazareth n’était pas loin de Tsipori, une ville déjà importante à l’époque où la communauté juive était nombreuse et sans doute un centre intellectuel renommé. Elle le sera encore plus au IIe siècle, puisque c’est là que sera rédigée la MiShNaH, qui est la première compilation rabbinique de la ToRaH orale qui composera la substance du TaLMuD. Donc Nazareth est certainement un endroit idéal pour la formation de Jésus : à la fois retiré, discret, et proche des sources les plus vivantes de la tradition juive.

Autre question : quel âge avait Joseph lorsqu’il épouse Marie ? Le Protévangile de Jacques, un apocryphe de la fin du IIe siècle, relayé en cela par la tradition orthodoxe, en fait un vieillard. Mais si on a compris comment fonctionne la tradition, allons plutôt regarder à quel âge le Patriarche s’est lui-même marié : il avait 30 ans, nous dit Gn 41,45-46 : « Pharaon appela Joseph du nom de Çaphnat-Panéah et lui donna pour femme Asnath, fille de Putiphar… Et Joseph avait 30 ans lorsqu’il se présenta devant Pharaon, le roi d’Égypte. » Donc pour Matthieu, qui vit de l’Écriture, il est évident que Joseph, l’époux de Marie, a 30 ans lorsqu’il l’épouse et qu’il descend en Égypte. Il fallait avoir au moins 35 ans pour pouvoir prétendre à être Docteur de la ToRaH, donc quand Jésus était en âge de commencer sa formation, Joseph avait toutes les qualités requises en tant que Maître de la ToRaH !

Donc voilà : le Juste Joseph, c’est d’abord ce fidèle à la Torah de vie, sur qui peu de choses sont apparemment écrites, mais ce silence même est là pour nous obliger à aller précisément chercher les indices là où ils se trouvent déjà : dans la ToRaH. En tout cas, il est loin du seul faire-valoir marial, loin de l’iconographie piétiste du siècle dernier imaginant toutes sortes de vertus étrangères aux lumières de la tradition et donc absolument secondaires. Joseph était un homme, un vrai ! Un Samson ayant traversé valeureusement les épreuves de la vie ; un Josué capable de conquérir la terre de sa fiancée ; un Baraq inspiré par la Vierge, capable de repousser les pires dangers ; un Gédéon prêt à livrer bataille ; un Esdras versé dans les Écritures ; un Néhémie rebâtisseur de Jérusalem et de son Temple ; et j’en passe et des meilleurs… Un de ces Justes comme on en fait qu’un par millénaire, et ce fut à lui que fut confiée de veiller sur l’Unique Messie de DIEU, DIEU lui-même venant dans le monde, chez les siens, dans la chair, comme il avait été confié à Joseph de veiller, aux premiers temps, sur le germe d’Israël. Les yeux tournés vers son épouse, certes, mais uniquement en vue de s’appuyer sur le trône de la Sagesse pour tenir courageusement son rôle de Maître et transmettre la tradition des pères au Verbe divin.

D’un côté un Joseph des commencements ; un homme immense, fidèle au DIEU de ses pères veillant sur les prémices du peuple d’Israël ; de l’autre, un Joseph des derniers temps ; un homme immense, fidèle aux DIEU de ses pères, veillant sur les prémices du Salut final accompli en Jésus Christ, le Fils du DIEU sauveur. L’un et l’autre forment ainsi une inclusion parfaite d’un bout à l’autre de la Bible. Ils composent à eux deux comme les berges d’un même fleuve qui s’effacent humblement lorsqu’advient le terme, c’est-à-dire l’Océan. Joseph le Patriarche s’est effacé devant Moïse ; Joseph, l’époux de Marie, s’efface devant Jésus. Ni l’un ni l’autre n’usurpe le pouvoir. Une telle humilité fait d’eux les plus grands saints que l’histoire ait portés.

Voilà saint Joseph, tel que la Torah nous le donne à considérer, et qui rejoint la tradition, à en croire Saint Irénée qui voit en Joseph « l’éducateur joyeux de Jésus » (Haversus Hæreses, IV : 23,1). S’il vaut la peine de le prendre pour modèle, pour appui, pour père, c’est parce qu’il est, de tous les saints, celui qui se présente, à nous aussi, comme notre Maître afin de toujours mieux entrer dans le mystère du Messie qu’a engendré sa génération. N’oublions donc jamais, au moment d’ouvrir l’Écriture pour la scruter, de demander à saint Joseph de nous enseigner comme il a su enseigner le Verbe de DIEU venu faire de la Création sa demeure. Qui peut le plus peut le moins !

Je vous remercie.
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