31-03-2020
[Dt] Partez vers vous !
Que se cache-t-il derrière ce commandement de YHWH : « Faites face et partez vers vous, conquérir la montagne des Amorites ! » ? Bien plus qu’il n’y paraît !
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Transcription du texte de la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/partez-vers-vous.html?mode=watchTous droits réservés.Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article______________________________________________________________
Bonjour,
Nous continuons notre lecture du début du Deutéronome. Alors je sais, on ne peut pas dire qu’on aille à la vitesse TGV, mais comme toujours : patience ! Comme je vous l’ai déjà dit, tout ce que nous posons maintenant sera autant d’acquis pour la suite et nous permettra de ne pas nous perdre en route. Les v. 1 à 5 que nous avons vus lors de la dernière vidéo nous ont permis de réfléchir sur l’enjeu majeur du Deutéronome : manifester la paradoxale MISÉRICORDE de YHWH. À présent, commence le premier discours de Moïse qui va nous emmener quasiment jusqu’à la fin du ch. 4, avec un récit de mémoire qui s’étend jusqu’au ch. 3. En termes rabbiniques, on pourrait parler ici d’une HaGGâDâH, c’est-à-dire d’un récit de mémoire — en hébreu, la racine NaGâD signifie RACONTER. Alors à strictement parler, une HaGGâDâH concerne avant tout le récit de la sortie d’Égypte, mais là, disons qu’on n’en est pas loin. Et comme toujours, la HaGGâDâH est suivie d’une HaLaKhaH, un autre terme hébreu tiré cette fois de la racine HaLâKh qui signifie aller ; LeKh leKha, c’est le verbe HaLâKh. La HaLaKhaH, c’est donc le chemin, la voie qu’il faut emprunter, mais toujours à la lumière d’un récit qui la fonde, de cette fameuse HaGGâDâH. Ceci d’une part pour que le récit ne reste pas lettre morte et qu’il porte du fruit concrètement dans les actes de la vie quotidienne. Et d’autre part pour que les actes de la vie quotidienne reçoivent un SENS ; qu’ils n’en restent pas au seul rang du « devoir » à la manière de la morale d’Emmanuel Kant, complètement anhistorique ! Donc imbuvable !
Or voyez, Israël a conscience, très profondément, d’être précisément un peuple en marche, donc un peuple nomade. Et normalement, un chrétien devrait être habité du même sentiment, d’autant que Jésus se présente clairement comme « le chemin » ; le chemin dont l’histoire fondatrice n’est autre que la HaGGâDâH de la sortie d’Égypte dont la TORâH est le déploiement. Et c’est bien la raison pour laquelle il dira qu’il n’est pas venu abolir mais accomplir cette TORâH : il est la HaLaKhaH la plus parfaite de la HaGGâDâH de Moïse. La HaLaKhaH de la Charité.
Ceci est important parce que les lois d’un peuple en chemin sont obligatoirement différentes de celles d’un peuple sédentaire : les lois nomades ouvrent un horizon, fixent des objectifs à atteindre, des défis à relever ; prenez la pureté : c’est un défi ! La justice, c’est un défi ! La sainteté, c’est un objectif, et non un état naturel. Alors que les lois sédentaires, elles, ne vont nulle part, ne visent aucun horizon autre que celui de se prémunir de ce qui pourrait troubler l’ordre public… et après ? Pour aller où ? Pour bâtir quoi ? Le « Meilleur des mondes », comme l’appelait Aldous Huxley ? Un monde sans remous, mais sans histoire et sans vie ? Nombre de hauts fonctionnaires en rêvent parce qu’ils ne sont habités par aucune histoire, et donc ne voient pas pourquoi la nation en aurait besoin ! Rappelons-nous ce pauvre M. Peillon.
C’est en tout cas ce qui fait que la TORâH est une TORâH de VIE : elle est fondée sur une HaGGâDâH, sur un récit qui fonde son chemin, sa HaLaKhaH. Du coup, on comprend mieux pourquoi, quand Moïse veut instaurer des préceptes spécifiques à l’entrée prochaine en KaNa“aN, il est impératif qu’il les fasse précéder par un RÉCIT de mémoire qui fonde ce qu’on appelle l’ALLIANCE. Et c’est là toute la différence entre un simple CONTRAT, — qui n’est qu’une simple transaction et n’a besoin d’aucun récit fédérateur — et l’ALLIANCE qui, elle, ne peut pas exister sans RÉCIT. C’est la différence essentielle par exemple entre la CONTRAT de mariage civil, qui n’a besoin d’aucune histoire, et l’ALLIANCE qui constitue le mariage sacramentel qui, lui, se fonde sur une histoire qui précède les époux et les accrédite pour en prolonger le récit du cœur de l’amitié qui les relie ; un récit sur lequel il faudra impérativement veiller, évidemment, ne serait-ce que pour en perpétuer la transmission !
La prière, c’est la même chose ! Toutes les oraisons de la prière commune de l’Église commencent TOUJOURS par faire mémoire : « Seigneur notre Dieu, toi qui as fait ceci, ou cela, en mémoire de ça, nous te demandons ceci ou cela… » Quand le Christ dit, à propos du pain et du vin de son dernier repas : « Faites ceci en MÉMOIRE de moi », c’est la même chose ! C’est la MÉMOIRE qui relie ce pain et ce vin à son sacrifice sur la croix ! C’est la MÉMOIRE, donc le récit qui autorise le sacrement, parce que c’est la MÉMOIRE qui fonde l’ALLIANCE en Jésus.
Alors pour en revenir à notre livre, on a là en fait le son schéma global : d’abord la mémoire, la HaGGâDâH de Moïse, sur laquelle pourront alors — et seulement alors — se greffer les préceptes, c’est-à-dire la HaLaKhaH. Bon, on reviendra sur ces questions d’ALLIANCE parce qu’on n’en a pas tout dit ici, mais l’idée principale est là.
Le discours de Moïse commence donc au v. 6 du ch. 1 par un prologue historiqueUE qui va jouer sur l'alternance FIDÉLITÉ / INFIDÉLITÉ liée à l’alternance succès / échec. Ça, c’est très caractéristique de l'histoire deutéronomiste — on retrouve ça tout au long des livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois qui sont tous de la même école de rédaction.
Ceci dit, on se serait spontanément attendu à ce que le discours commence par l’évocation de la sortie d’Égypte, mais non ! Etonnamment, Moïse part du mont HoRèV : « YHWH, notre ‘ÈLoHîM, nous a parlé à l’HoRèV » (Dt 1,6). Et ça doit nous interroger : pourquoi passer sous silence la sortie d’Égypte ? Sans doute parce que quand ils sortent d’Égypte, les Hébreux — pour parler comme Pharaon — ne constituent pas encore le « peuple » d’Israël à proprement parler. Comme le dit l’Exode au ch. 12, la foule qui prend le départ n’est encore qu’une sorte de conglomérat qu’unit certes une soif commune de liberté, mais ça ne suffit pas pour façonner un PEUPLE comme un CORPS.
Maintenant, pourquoi la constitution d’un peuple comme d’un CORPS est si essentiel ? Mais tout simplement déjà pour des raisons de survie ! Là, je laisse la parole au philosophe André Guigot qui peut nous éclairer à sa manière : « Originellement, la survie nécessite de prendre soin de son corps et cela mobilise à l’état de nature les facultés de représentation et d’anticipation où l’autre joue un rôle d’allié objectif de cette survie avant d’être un ennemi. N’oublions jamais que nous faisons partie de la nature, que les lois sont faites pour compenser les souffrances qu’elle génère, qu’elles [ces lois] sont fragiles et qu’il est temps d’en finir avec l’idéologie du darwinisme social qui n’est qu’une fable sinistre. Non, le bonheur n’est pas un idéal moral autonome ; être heureux n’est pas en soi moral ; réussir seul, à tout prix contre les autres ne prouve pas que l’on ait raison. Dans la nature, ce sont les espèces les plus solidaires qui survivent, la “loi du plus fort” est une illusion stupide, une instrumentalisation individualiste des découvertes de Darwin sur l’origine des espèces. […] La solidarité est la vraie puissance ; la générosité compte plus que la performance intellectuelle ou physique — individuelle toujours. L’individu n’est donc qu’une abstraction du point de vue anthropologique. Les moins forts sont [ceux qui sont] les plus égoïstes, car personne ne sait survivre seul. » (André Guigot, Petite Spiritualité de l’Amitié, Bayard (2018), p. 33-34)
L’argument d’André Guigot, qui promeut ici la nécessaire amitié entre individus, peut s’entendre plus largement à la nécessité de la constitution d’un peuple. Définitivement, il ne peut jamais s’agir de construire uniquement une nation administratrice, purement fonctionnelle et impersonnelle. Pour que le monde ait un sens, il est incontournable qu’un PEUPLE se reconnaisse comme un CORPS, avec une histoire « solidaire » pour reprendre les termes d’André Guigot. Alors personnellement, je ne dirais pas que l’amitié serait ici à promouvoir, mais bien plutôt la FRATERNITÉ. Ce qui suppose de savoir déterminer qui est le PÈRE de ce peuple ; donc quelle est l’HISTOIRE qui façonne ce peuple de génération en génération et lui donne ainsi sa CHAIR. C’est bien parce que les frères s’appuient sur un même père, sur une même origine, donc sur une MÉMOIRE commune que le livre des Proverbe peut dire très justement qu’ « Un frère appuyé sur un autre frère est une forteresse ! » (Pr 18,19 (lxx)). Pas d’histoire ? Pas de fraternité, et pas de peuple ! On voit les dégâts en direct aujourd’hui où l’histoire comme récit a volontairement été effacée. Reste peut-être encore les manifestations sportives, et encore… beaucoup d’émotion, mais quelle histoire ?
Parce que c’est l’histoire, c’est la mémoire qui nous montre que toute fraternité a ses lois, et qui fait surtout naître le désir de les respecter. C’est précisément, entre autres, ce que gère la TORâH qui n’est décidément pas cette pure LOI, comme on traduit habituellement en français. Toutes les lois de la TORâH sont inscrites dans la trame d’un récit, et c’est alors qu’elles peuvent commander les liens spirituels qui cousent les frères les uns aux autres et les constituent comme des ALLIÉS CHARNELS, donc SPIRITUELS, par-delà les générations, donc comme un PEUPLE.
Ce que je veux dire, c’est que la fraternité entre les membres d’une même génération n’est possible qu’au sein d’une fraternité intergénérationnelle, qu’il s’agisse des générations précédentes comme des générations suivantes. Par la CHAIR, par l’histoire qui se tisse génération après génération, on vit ainsi une COMMUNION spirituelle qui inspire les décisions individuelles, au sens où l’on a charnellement conscience que toute détermination privée engage le corps du peuple tout entier, soit en vue de la bénédiction, soit en vue de la malédiction… Or c’est précisément sur ce thème que s’achèvera le discours de Moïse à la toute fin du livre.
Alors revenons au texte. La TORâH n’a pas été donnée pour que le peuple reste planté au pied du Mont HoRèV : « C’est assez pour vous d’habiter cette montagne. Faites face et partez ! » (Dt 1,6-7) PeNOu OuÇe“Ou LâKhèM, litt. : « Faites face et partez vers vous ! » Alors d’accord, le v. 7 est un décalque du v. 25 au ch. 14 du livre des Nombres, mais j’espère que vous entendez qu’il relaie surtout l’appel d’Abraham : LèKh LeKha, « Va vers toi ! » en le déployant cette fois à toute sa descendance : OuÇe“Ou LâKhèM, « Partez vers vous. ! » Allez ! Partez à l’intérieur de vous ! Mettez-vous en marche pour rejoindre le sol intérieur que la TORâH de YHWH vous montrera.
Voyez, là, il y a toute la puissance de l’analogie entre la marche extérieure, horizontale pour ainsi dire, et la marche intérieure, verticale cette fois : la marche extérieure n’a pas pour seule finalité de décompresser ou de rester en bonne santé. Tous ceux qui pratiquent la marche le savent : on en revient toujours spirituellement plus serein, plus lumineux, plus enraciné en soi, mais pour mieux s’élever ; un peu par analogie avec les plantes qui montent par héliotropisme, sauf qu’ici, il s’agit — du moins quand on a la foi — de Théotropisme — Je viens d’inventer ce mot, mais je l’aime bien. Je le trouve très motivant et très réconfortant à la fois, parce que du coup, on sait que l’homme ne grandit pas dans n’importe quelle direction. Dit autrement, l’homme enraciné dans l’histoire de son peuple, de sa famille, peut alors s’élever en s’abreuvant de la Lumière de YHWH. Qu’il s’agisse du LèKh LeKha ou du OuÇe“Ou LâKhèM, il s’agit dans les deux cas de s’enraciner pour ne pouvoir que mieux relier la terre et le Ciel, et ainsi donner CHAIR à l’ALLIANCE.
Reste néanmoins que la marche extérieure n’a pas qu’un rôle de faire-valoir ! Elle n’est rien de moins qu’indispensable pour vérifier charnellement que son élévation intérieure n’est pas un pur angélisme ou une pure idéologie. Rappelons-nous que toutes les idéologies partent d’un bon sentiment : la révolution française, le communisme, le capitalisme ou ce que vous voulez ; toutes ces belles idées partent d’un mouvement généreux et messianique : on va sauver le monde ! Ok ! Maintenant, charnellement : quand on met en place ces idées, il se passe quoi ? Si les peuples se jettent les uns contre les autres ; si les rapports entre eux ne sont plus que contractuels et financiers ; si leur histoire est sommée de disparaître, alors ces idées sont des malédictions : leurs chemins sont pourvoyeurs de mort ! Si au contraire, grâce à elles, les peuples s’allient comme s’allieront les tribus d’Israël ; si leur rapport devient fraternel — ce qui ne signifie pas que tout soit rose ; si leur histoire s’abreuve à la source des anciens pour construire un avenir valeureux alors ces idées sont pourvoyeuses de bénédiction ; et c’est là qu’on peut discerner leur véritable INSPIRATION. Voilà en tout cas tout l’objet du Deutéronome : fonder une savante alchimie entre le spirituel et le charnel qui rend la TORâH et la Bible absolument UNIQUES dans le concert de toutes les spiritualités de l’histoire.
Alors maintenant qu’on perçoit un peu mieux les conditions et les enjeux de la mise en route, pour l’heure, il s’agit concrètement de partir à la conquête du sol. Et là, le récit nous présente le territoire de la « montagne des Amorites ». En fait, c’est une expression connue par ailleurs : dans l'usage du Proche-Orient, le terme Amorites en est venu à désigner progressivement toute la population de Syrie et de KaNa“aN, ce que décrit en gros le v .7 en remontant jusqu'à l’Euphrate, un territoire qui correspond au royaume légendaire de David et de Salomon tel que la Bible nous le présente, sans pour autant avoir jamais atteint de telles frontières : ni David, ni Salomon ne sont montés jusqu’à l’Euphrate ; ils n’ont pas même vraiment conquis les rives de la Méditerranée qui sont restées aux mains des Philistins — en gros la bande de Gaza actuelle — et plus au Nord : aux mains des Phéniciens — c’est-à-dire le Liban. Alors ceci dit, l’évocation de l’Euphrate se comprend néanmoins si on s’attache aux « pères » qui sont désignés ici comme étant AVeRâHâM, YiTseRâQ et Ya”aQoV. AVeRâHâM vient du Mitanni ; YiTseRâQ représente la plaine philistine dans laquelle il a habité ; et Ya”aQoV par son séjour en HaRâN, évoque la frontière Nord de l’Euphrate. Un peu comme si, par leurs pérégrinations, les patriarches avaient tracé les limites du territoire donné par YHWH, somme toute assez vaste.
Ceci dit, la question rebondit : quel est le sens d’une donation qui, dans les faits, ne sera jamais conquise totalement ? Eh bien encore une fois, si on entend le « Partez VERS VOUS », on s’aperçoit vite que cette conquête de soi est loin, elle aussi, d’être accomplie dans toute son étendue. Dit autrement, si la totalité de ce territoire extérieur n’a jamais été conquise, c’est peut-être bien le signe que le territoire intérieur des Fils d’Israël est loin de l’être, et c’est là où l’interprétation chrétienne répond à sa manière à ce paradoxe ! Dans la mesure en effet où le Christ Jésus est absolument lumineux intérieurement, l’étendue de son évangile s’étend, par-delà les rives de ces deux fleuves, au MONDE ENTIER ! Plus de limites, plus de MiTseRaYîM : la libération, la délivrance est totale et le projet de la TORâH est porté à son achèvement ; un achèvement qui dépasse de loin ce que Moïse était en passe d’imaginer, mais qui pourtant, dès le commencement, était inscrit dans la TORâH comme l’objectif à atteindre… toujours la marche.
Enfin bref, en tout cas, ce que nous dit de manière voilée le récit, c’est que les dimensions du territoire dépendent en définitive de l’écoute de YHWH et de sa TORâH ; et de la JUSTICE qui en découle par GRATITUDE. Ce qui veut dire que ce qui aura pu être CONQUIS ne sera jamais pour autant un ACQUIS, au sens où ce territoire nous appartiendrait pour toujours quoi qu’il arrive… Les prophètes le diront et le rediront : si vous ne pratiquez pas la JUSTICE, le sol vous sera enlevé ! Il suffit de lire “ÂMOS, entre autres : « Ils vendent le juste contre de l’argent, le pauvre pour des sandales. Ils écrasent sur la poussière du sol la tête des faibles et font dévier la route des humbles. Fils et père vont vers la même fille pour profaner Mon saint Nom. Auprès de tous les autels, ils se couchent sur les vêtements pris en gage. Dans la maison de leurs ‘ÈLoHîM, ils boivent le vin de ceux qu’ils ont sanctionnés. Et Moi, j’ai détruit devant eux l’Amorite — on retrouve la Montagne des Amorite du v. 7 —, dont la hauteur égalait celle des cèdres et la vigueur, celle des chênes ! J’ai anéanti son fruit en haut e ses racines en bas. Moi qui vous ai fait monter du sol de MiTseRaYîM, Je vous ai fait aller dans le désert pendant quarante ans pour vous donner en héritage le sol de l’Amorite. J’ai suscité des prophètes parmi vos fils et, parmi vos jeunes gens, des nazirs — c’est-à-dire des hommes consacrés à YHWH —. N’est-ce pas cela, fils d’Israël ? — Oracle de YHWH. Mais vous avez fait boire du vin aux nazirs, et aux prophètes vous avez donné cet ordre : “Ne prophétisez pas !” Eh bien Moi, voici que Je vais vous entasser sur place comme on tasse un char plein de gerbes. L’homme agile ne pourra pas fuir, le fort ne déploiera pas sa force, le brave ne sauvera pas son âme. L’archer ne tiendra pas, l’homme aux pieds agiles n’échappera pas, le cavalier ne sauvera pas son âme. Le plus brave s’enfuira nu, ce jour-là, – oracle de YHWH ! » (Am 2,6-16) Autant dire que ça ne plaisante pas ! Alors “ÂMOS est un prophète du Nord, mais on trouve des passages tout aussi durs chez YeSha“eYâHOu/Isaïe et chez YiReMeYaHOu/Jérémie qui, eux, ont prophétisé dans le Sud. Et ce sont toutes ces prophéties qui travaillent les scribes deutéronomistes de l’intérieur alors qu’Israël est en Exil. Ce que vont comprendre et mettre en récit ces scribes, c’est que si Israël est en Exil, c’est qu’il s’est installé, et qu’il n’a pas vécu la GRATITUDE qui lui aurait fait faire mémoire du DON du sol comme un héritage à faire fructifier, et non comme un acquis, comme une appropriation. C’est toujours la même histoire : à partir du moment où on s’installe, où on devient sédentaire, on est tenté de croire que tout est acquis ; on s’endort, on ne fait plus mémoire — pour quoi faire ? — On se divertit, l’histoire, comme la culture, s’évanouit, et on se croit tout permis : puisque les méfaits me réussissent, c’est que YHWH ne voit rien ! Pô pô pô pô !
Dieu merci, les scribes et les sages d’Israël en exil se rendent donc compte de l’importance essentielle de ne pas s’endormir ! De ne pas devenir esclaves des idoles qui détournent de YHWH, d’une part, et de sa JUSTICE d’autre part. On l’entendra souvent dans les chapitres qui suivent. Mais en attendant, le v. 8, implicitement, relance la MÉMOIRE à travers l’évocation des Patriarches : c’est à eux que YHWH a juré de donner ce sol ; alors, ne serait-ce que par gratitude vis-à-vis de ces pères qui ont accepté de se mettre en marche, il s’agit d’emprunter le même chemin, à savoir le chemin intérieur que vient éclairer la TORâH de Moïse : LèKh LeKha / OuÇe“Ou LâKhèM ! « Va vers toi / Partez vers vous ! » C’est donc à ce voyage intérieur vers la JUSTICE que nous convoquent ainsi, de manière voilée, ces premiers versets du Deutéronome, en espérant qu’ils nous conduiront jusqu’au choix éclairé de la bénédiction, à la toute fin du livre. À condition évidemment de ne pas nous endormir en route pour devenir des rentiers de nos acquis…
Je vous en souhaite une lecture lumineuse. Nous verrons la suite la prochaine fois.
Je vous remercie.
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