19-12-2014

[Gn] 26 - Le combat de Jacob (1/2)

Genèse 32 par : Père Alain Dumont
Au moment de franchir le Yabboq, voici qu’un homme va combattre Jacob et se rouler avec lui dans la poussière jusqu’à ce que monte l’aurore...
Rubrique :Jacob
Duration:14 minutes 57 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/le-combat-de-jacob-partie-1.html )

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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Jacob a coupé les ponts avec sa belle famille et se prépare donc à franchir le Jourdain pour rejoindre son père, et pour cela descend vers le Sud pour passer au gué du Yabboq.

Alors Jacob descend, il rencontre un “camp de DIEU”, avec des anges…

Le Talmud a ici une très belle lecture. Ces Messagers — les anges sont des Messagers — renvoient à ceux de l’escalier sur lequel des anges montaient et descendaient. Ils montaient avant de descendre parce que ceux qui montaient étaient les anges chargés de veiller sur Jacob en Terre Sainte, et ceux qui descendaient étaient ceux qui veilleraient sur lui en Exil. Alors ayant établi une frontière nette avec Labân, au moment de revenir en Terre de la Promesse, le camp des Messagers qui l’attend, c’est le camp des anges chargés de veiller sur Jacob en Terre Sainte. Ils sont redescendus, en quelque sorte. Et il semble bien que Jacob ait envoyé des messagers de ce camp pour prévenir Esaü, un peu comme nous disons que nous envoyons notre ange gardien en avant de nous quelque fois, spécialement quand une situation est délicate.

Quand ils reviennent du pays d’Edom où vit Esaü, ils disent à Jacob que son frère s’est mis en route et 400 hommes avec lui !!! Autant dire que c’est une armée. En face, Jacob, lui, conduit une caravane, certes imposante, mais composée de troupeaux, de serviteurs, de femmes et d’enfants… Elle pouvait peut-être résister à Labân et à ses fils, mais face à 400 hommes ?

Alors Jacob reste l’homme perspicace. Il sépare sa caravane en deux, espérant qu’une partie pourra échapper si Esaü attaque l’une ou l’autre. Et enfin, il prie. C’est la première fois ! Et on vous dit : « Il eut grand peur et l’angoisse le saisit ». Peur d’être peut-être tué, et aussi peur de devoir peut-être tuer, disent les rabbins.

Et là, que fait-il ? Il fait mémoire… Magnifique prière, très humble… typique : appel des ancêtres, affirmation de l’humilité, évocation de la peur, et de la foi en DIEU (v.10-13) 

Holààà ! Où est passé l’orgueilleux Jacob ? Où est le roublard ?


Alors, parce qu’il ne faut jamais attendre passivement le miracle, rappelez-vous, il compose un présent pour son frère : 200 chèvres et 20 boucs ; 200 brebis et 20 béliers ; Trente chamelles à l’allaitement et leur petit ; 40 vaches et 10 taureaux ; 20 ânesses et 10 ânons. Et ce n’est que du prélèvement !!! Et il envoie le tout à Esaü pour le précéder et apaiser son frère… Et il dit bien : « Vous parlerez ainsi : c’est ton serviteur Jacob qui envoie un cadeau à mon seigneur Esaü » : ce sont les courbettes du Moyen Orient… Jacob reste diplomate, ou séducteur comme on veut.

Et vient la nuit. Il est dans le camp quand tout à coup il prend ses deux femmes, ses deux esclaves, ses onze fils (Benjamin n’est pas encore né et on ne dit rien de la fille, Dinah) et il passe le gué du Yabboq. Et puis il fait passer tout le monde, de sorte qu’il reste seul sur la rive… quand s’approche « un homme », pour se rouler dans la poussière avec lui jusqu’à la montée de l’aurore.

Qui est-il ? Difficile à dire. Là je vous livre deux traditions : la tradition chrétienne, et la tradition rabbinique qui, il faut bien le dire, sont carrément opposées !

La tradition juive : c’est l’ange d’Esaü, l’ange de sa nation (vous vous souvenez : les anges qui montent et descendent peuvent être interprétés comme les anges qui veillent sur chaque nation) qui porte ses valeurs qui ne sont plus celles de Jacob ! Parce qu’en terme de conflit, il ne suffit pas de gagner physiquement : il faut gagner en esprit ! Dans l’Antiquité, Rome a vaincu la Grèce physiquement, mais c’est la Grèce qui a gagné le combat de l’esprit !!! C’est la même chose ici.

Jacob est le plus fort ! Pourquoi, diront les rabbins ? Parce qu’en Jacob, il y a plus que Jacob : il y a les mérites d’Abraham à droite, et les mérites d’Isaac à sa gauche ! Et lui-même est irréprochable, puisqu’il s’est voué à DIEU et qu’il n’a jamais transgressé la Torah !

Alors l’homme, mystérieusement, lui touche la hanche qui se déboîte. Pour les rabbins, l’ange d’Esaü a voulu blesser le lien de la circoncision qui est le signe de l’Alliance de Jacob avec DIEU. Mais il n’y parviendra pas.

« Laisse-moi partir car l’aurore est montée ! », dit l’ange, parce que c’est un ange de ténèbres qui ne supporte pas la lumière.

Mais Jacob s’agrippe à lui, comme il s’était agrippé à Esaü : il reste le talonneur ! Et il lui dit : « Bénis-moi ! » car si l’ange d’Esaü le bénit, alors Jacob est reconnu comme l’élu, et en même temps, il fait rejaillir sa bénédiction sur son frère : « Je bénirai ceux qui te béniront » avait dit DIEU !

L’ange lui renvoie la balle : « Quel est ton nom ? » Comme s’il l’enjoignait ici à dire enfin qui il est, en vérité ! Se fait-il toujours passer pour Esaü ? Non : il est Jacob. Alors les choses sont remises dans l’ordre : et l’ange le bénit de la part d’Esaü.



 

Rien à voir avec la tradition chrétienne qui lit ici l’intervention de DIEU Lui-même !!! Vous voyez, c’est complètement à l’opposé ! Ce combat est la Nuit de Jacob pour que son retour d’Exil soit un véritable retour du cœur ! Une teshouva : il faut ici que Jacob ne fasse pas qu’utiliser DIEU à son bénéfice, mais qu’il réponde vraiment à son appel.

C’est donc avec DIEU que Jacob se roule dans la poussière, et DIEU, en quelque sorte, va comme le laisser gagner. Non pour se moquer de lui, mais comme un père se laisse battre par un fils moins fort que lui, pour encourager sa volonté. Ce que DIEU aime, ici, c’est la niaque de Jacob. Une niaque qui le fait se donner tout entier dans ce combat, et qui lui vaut une vraie victoire.

En même temps, pour se dégager, DIEU blesse Jacob ! Pourquoi ? Eh bien parce que c’est un vrai combat, et qu’on ne se bat pas sans que l’on soit blessé, meurtri jusque dans son corps, même — et surtout peut-être — dans un combat avec DIEU. Parce que la blessure est le signe du combat. Il est le signe qu’on s’est vraiment donné. Je sais bien que les femmes ont du mal à comprendre ça : quand leur garçon revient de l’école tout égratigné parce qu’il s’est battu, une mère ne comprend pas qu’il soit fier ! Même s’il a mal. C’est un peu la même chose ici. Sauf que c’est du sérieux : DIEU a voulu savoir jusqu’où j’étais prêt  à aller, puisque j’étais l’élu. Plus tard, Jésus, dans un combat qui sera vraiment le combat de DIEU avec les hommes, ira jusqu’à la mort… La mort de DIEU, voilà un mystère abyssal !!! Mais nous n’en sommes pas là.

C’est là qu’on peut comprendre que ce combat est un rite initiatique. C’est à dire un rite qui fait advenir l’homme à lui-même. Car je deviens un homme lorsque j’ai accepté d’aller jusqu’au bout de mon appel, et que je n’ai pas eu peur de la blessure. Une blessure qui me fait quitter l’enfance parce que désormais, je n’ai plus peur de partir. C’est une des redécouvertes de l’anthropologie masculine de ces dernières année de comprendre que, pour qu’un homme devienne un homme, il faut qu’il soit marqué d’une divine blessure, comme le dit Christine Kelen dans un admirable ouvrage. Tout départ est une déchirure. Si elle n’est pas accompagnée par le père, elle n’est que cela. Mais il elle est accompagnée par le père, mieux : si elle est infligée par le père qui introduit ainsi le fils à son départ prochain, alors cette meurtrissure devient une blessure de fierté ! J’ai été le plus fort, et je ne crains plus de partir ! Ici, Jacob ne craint plus de revenir, de quitter la fuite, de signer l’Exil par un retour, non plus du fils, mais de l’Homme !

Et quand vient l’aurore, DIEU se retire : Il ne peut être vu en plein jour sans que Jacob n’en meure. Mais Jacob ne le laisse pas partir : il s’agrippe ! Là encore, il est le Talonneur ! Il porte décidément bien son nom. Il talonne autant les hommes que DIEU, et encore une fois, DIEU aime ça. Est-ce que ça veut dire qu’on assiste à une nouvelle naissance avant de traverser le Jourdain pour entrer dans la Terre de la Promesse ?

« Pas avant que tu ne m’aies béni ! » répond Jacob… Il veut vraiment être béni, celui-là ! Et oui, mais encore une fois, on doit se poser la question : ne serait-ce pas une nouvelle filiation qu’il demande, puisque la bénédiction vient du père ?

« Quel est ton nom ? » demande le mystérieux personnage…  Wouaille ! Que va-t-il dire, cette fois ? Quand son père lui avait demandé, il s’était fait passer pour un autre, mais aujourd’hui, que répond-il ? « Jacob ! » : Ça y est ! Ouf ! Il accepte son identité ! Il est droit, il est un homme ! Donc il va pouvoir porter la Promesse, parce qu’il faut être un homme Droit pour cela. Non pas un homme parfait, mais un homme de FOI !

Vous voyez ? Deux traditions complètement divergentes. Laquelle choisir ? Parce que je suis chrétien, je prends parti pour la seconde, mais la première n’est pas dénuée de sens pour autant… Bon, alors nous allons rester dans la lecture chrétienne pour poursuivre. Mais ce sera la prochaine fois !

Je vous remercie.