17-12-2017

[Nb] 44 - Nulle nation ne peut se substituer à Israël

Numbers 23:1-30 par : le père Alain Dumont
BâLâQ, roi de MO’âV, tente de soudoyer YHWH pour qu’il maudisse le peuple élu. Par deux fois dans ce chapitre, il monte des autels, des sacrifices en espérant que YHWH agisse à sa botte… Comment YHWH va-t-Il réagir ? Va-t-il revenir sur la bénédiction d’Israël suite à tous les murmures qui ont jonché le temps de l’errance dans le désert ?
Duration:19 minutes 32 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 23 du Livre des Nombre pour découvrir quels vont être les trois premiers oracles que BiLe”âM va prononcer sur Israël. Alors évidemment, dans un premier temps, se met en place tout un scénario : BâLâQ, nous a dit la fin du ch. 22, fait monter BiLe”âM sur le BaMoT-Ba“aL d’où il pourra voir le peuple, mais pas en son entier néanmoins : seulement un bout, précise le v. 41. Manière de nous dire déjà, sous forme de boutade, qu’il ne pourra pas avoir la main sur le peuple en son entier.

Toujours est-il que BiLe”âM demande à BâLâQ de bâtir 7 autels pour 7 sacrifices, suite de quoi le devin se retire pour attendre que YHWH vienne à sa rencontre. Alors là, il y a déjà plusieurs choses à relever. D’abord pourquoi 7 sacrifices ? Là, il faut chercher dans ce qui s’est passé dans l’histoire, et on va le faire avec les rabbins : où trouve-t-on 7 sacrifices dans la ToRaH ? Dans la Genèse : en tout, ‘AVeRâHâM en a offert 4, YTseRâQ 1 et Ya“aQoV 2, ce qui fait bien 7. Or où ont-ils offert ces sacrifices ? Sur la terre que YHWH a promise à leur descendance, et donc la tradition comprend les 7 sacrifices de BiLe”âM et de BâLâQ comme la prétention à se hisser au même rang qu’Israël sur cette même terre, comme pour dire à YHWH : « Tu vois, nous aussi, nous savons offrir des sacrifices ! », et en l’occurrence ici des holocaustes. Certes, sauf qu’il y a plusieurs différences de taille : d’une part, ces sacrifices n’ont pas été demandés par YHWH contrairement à ceux des patriarches. La démarche est donc très différente : d’un côté l’obéissance, de l’autre la séduction pour ainsi dire. Dans le même sens, les sacrifices d’Israël reflètent la réponse du peuple élu à la présence de YHWH pour s’élever jusqu’à Lui, Lui qui s’est abaissé jusqu’à établir sa demeure dans le MiShKâN où il agrée les offrandes ; non pas d’ailleurs les offrandes en elles-mêmes ou pour elles-mêmes, mais l’élévation du peuple qu’ils représentent en réponse, encore une fois, à l’abaissement de YHWH et en vue de la Rencontre Nuptiale à laquelle toute l’histoire d’Israël est chargée de faire entrer la création. On chercherait en vain la même démarche chez BiLe”âM ou BâLâQ ! D’autre part, aucun rite de pureté, c’est-à-dire d’ascèse, de désir d’élévation n’est lié aux sacrifices offerts par BiLe”âM et de BâLâQ : il n’y a que la perspective d’un contact — on ne parle même pas ici de relation — avec YHWH suscité par les sacrifices, et encore : « PEUT-ÊTRE YHWH se présentera-t-Il », dit BiLe”âM au v. 3 ! Donc « s’il y a contact », comme par « accident », ce qui relègue plus cette pratique sacrificielle à du spiritisme qu’à autre chose : on « invoque » les esprits, mais s’ils répondent, c’est par accident, de façon complètement aléatoire, presque par hasard ! Mais ça va encore plus loin, parce qu’avec ce genre d’incantation, quelle histoire voulez-vous construire ? La force de la ToRaH de Moïse, c’est d’avoir saisi qu’entre YHWH et Israël, il y avait une RELATION — alors là, utilisons le mot avec force ! —, une RELATION FILIALE, d’ENGENDREMENT menant à une RELATION NUPTIALE et non pas seulement de servage. YHWH n’est pas seulement une divinité tutélaire et intouchable surplombant les peuples de sa superbe : ça, c’est la définition de l’État par les jacobins et la Franc-Maçonnerie, et plus généralement par l’ensemble des nations, mais ça n’a rien à voir avec la ToRaH !

Eh bien voila : avec BiLe”âM et BâLâQ — et bien que BiLe”âM soit la figure du plus grand prophète païen de l’histoire — avec BiLe”âM et BâLâQ donc, on nage en définitive dans le paganisme le plus caricatural et le plus pervers qui soit : on cherche à séduire le Dieu d’Israël et on tente de le réduire à sa merci. Et de fait, au lieu de recevoir Israël comme ce frère aîné par lequel effectivement YHWH veut entrer en RELATION, et pas seulement en “contact” avec tous les peuples ; au lieu de recevoir Israël comme le peuple élu, BiLe”âM et BâLâQ cherchent à se substituer à Israël ! On ne saurait imaginer un péché plus grave, et malheureusement, les chrétiens, toutes confessions confondues, ne se sont pas toujours tenus à l’abri du piège de la substitution. Vous entendez : je dis bien : « les chrétiens », et non l’Église ! Alors ça n’est pas notre objet de faire ici de l’histoire, mais à tout le moins, j’aimerais rappeler quelques textes essentiels. Le premier, tiré du catéchisme du Concile de Trente qui s’oppose très fort à Luther sur ce point : « Puisque ce sont nos crimes qui ont fait subir à Notre-Seigneur Jésus-Christ le supplice de la Croix, à coup sûr, ceux qui se plongent dans les désordres et dans le mal crucifient de nouveau dans leur cœur, autant qu’il est en eux, le Fils de Dieu par leurs péchés, et Le couvrent de confusion. Et il faut le reconnaître, notre crime à nous dans ce cas est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre, s’ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne L’auraient jamais crucifié. Nous, au contraire, nous faisons profession de Le connaître. Et lorsque nous Le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur Lui nos mains déicides. » (Catéchisme du Concile de Trente Par.1, ch. 5 Du 4e article du Symbole). 500 ans plus tard, il faut entendre la quatrième partie de la déclaration Nostra Ætate consacrée au judaïsme : « Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S'il est vrai que l'Église est le nouveau peuple de Dieu — au sens où le peuple de Dieu s’ouvre, par le Christ, à toutes les nations —, les Juifs ne doivent pas pour autant être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n'enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l'Évangile et à l'esprit du Christ. » Tout cela a fait écrire des lignes très fortes au Cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger : « Il nous faut aujourd'hui accepter qu'Israël soit lui-même, que les juifs soient eux-mêmes et se définissent comme ils l'entendent. Il ne faut pas idéaliser. Ils sont, comme les chrétiens, un peuple de pécheurs qui a à se convertir, à être fidèle à la grâce qui lui est faite. [...] Enfin, l'antisémitisme chrétien apparaît non pas comme un problème particulier de racisme parmi d'autres, mais en vérité comme un péché ; un péché dont l'énormité est significative d'une infidélité profonde à la grâce du Christ. Dans ce que les chrétiens récusent d'Israël est attesté ce qu'ils rejettent du Christ et qu'ils n'avouent pas comme un refus. [...] Les juifs ne sont ce qu'ils sont que dans la mesure où ils sont d'abord les témoins de l'Élection. Leur rejet est, de la part des chrétiens, que ceux-ci le veuillent ou non, une appropriation abusive ou blasphématoire de l'Élection. C'est refuser concrètement la réalité du don de Dieu, des chemins de Dieu. »

Il est donc bien évident qu’il faut donc absolument bannir toute idée d’une substitution au peuple juif du peuple chrétien comme de tout autre peuple — et soyons clairs, je parle ici des musulmans ! Or c’est déjà ce que visent BâLâQ et BiLe”âM dès l’arrivée d’Israël sur la Terre de la Promesse au moment où ils offrent leurs sacrifices. Comme quoi ce combat ne date pas d’hier, mais surtout cet épisode est à entendre par Tous les peuples de Toutes les générations comme un avertissement de YHWH en Personne !

Donc, au v. 4 on nous dit que ‘ÈLoHîM se présente à BiLe”âM — et là il faut bien entendre : c’est ‘ÈLoHîM qui parle, et non YHWH qu’en définitive, BiLe”âM ne connaît pas, même s’il croit l’inverse. Alors BiLe”âM de Lui dire : « Tu vois, j’ai fait des sacrifices ! » Sauf que YHWH va faire avec lui comme ce qu’il a fait avec l’ânesse : Il va mettre en sa bouche des paroles et BiLe”âM ne pourra rien proclamer d’autre. Et voilà qu’il proclame, du v. 7 au v. 10, ce qu’on appelle en hébreu un MâShâL, c’est-à-dire une parabole par laquelle il établit d’abord une fin de non-recevoir à toute tentative de malédiction du peuple d’Israël. En ça nulle surprise : c’est l’affirmation du v. 12 du chapitre précédent. Le v. 9 reprend ce que le livre du Lévitique avait exprimé explicitement au ch. 20, v. 24 : « Moi, YHWH, Je vous ai distingués d’entre les peuples ! ». Alors ici, le prophète ne nomme pas YHWH, mais le seul fait qu’il utilise le passif laisse entendre que l’élection ne vient pas d’une présomption d’Israël mais bel et bien d’un choix irréductible de YHWH. C’est ce qu’on appelle communément un « passif divin », très souvent utilisé dans toute la Bible. Quant au v. 10, il reprend les termes de la bénédiction d’‘AVeRâHâM en Gn 13 : « Je rendrai ta semence comme la poussière de la terre ; si on pouvait dénombrer la poussière de la terre, on dénombrerait aussi ta semence ! » (Gn 13,16). On a la même expression en Gn 28, v. 14 avec Ya“aQoV. Donc véritablement : ce que YHWH a béni, nul ne peut le maudire ! Et BiLe”âM de clore son MâShâL d’une envolée lyrique au v. 10 : « Puisse ma NèPhèSh mourir de la mort des hommes droits et ma fin être comme la leur ! », manière de dire que la cause d’Israël est juste et qu’en proclamant ces paroles, BiLe”âM, en vrai prophète, se doit d’être loyal, ou honnête. Les bibles traduisent la plupart du temps hommes droits par « juste ». Or on ne lit pas ici le mot TsaDDîQ mais le mot YâShâR que les rabbins rapprochent souvent du nom YiSseRâ’éL parce que les deux mots sont formés par les mêmes consonnes. En ce sens, un des « petits noms » d’Israël est YeShouROuN : celui qui est droit, notamment dans le livre du Deutéronome, pour signifier qu’il est né de Ya“aQoV, c’est-à-dire celui qui est droit dans son cœur alors même qu’après le combat avec l’ange de YHWH, il est boiteux à l’extérieur. Alors on peut prendre ce souhait de deux manières : les rabbins raillent souvent le vœu de BiLe”âM en disant : « Avant de mourir comme un Juif, il faudrait commencer par vivre comme un Juif ! », ce qui n’est pas sans sagesse, mais on peut aussi le comprendre positivement, et les oracles suivants iront dans ce sens, à savoir entrer dans l’attente d’Israël qui est celle du Messie, et donc de reconnaître l’appel singulier d’Israël, de bénir Israël pour entrer enfin dans la bénédiction promise à tous les peuples. Souvenons-nous des premières paroles de YHWH à AVeRâHâM : « Par toi seront bénies toutes les familles de la terre ! » (Gn 12,3). Comme quoi, dans ce sens, BiLe”âM a vraiment un éclair de lucidité et du coup, cette prière pourrait être celle des chrétiens qui se perçoivent comme greffés sur l’arbre de la ToRaH, l’arbre de Vie. Nous aussi, nous attendons le Messie, alors non pas au sens où il ne serait pas venu puisque nous le reconnaissons en Jésus par qui la ToRaH s’est ouverte aux nations païennes, mais enfin voilà : il y a une attente, une espérance commune qui n’a rien à voir avec celle des musulmans qui, eux, se considèrent comme BâLâQ, c’est-à-dire comme un peuple de substitution !

Bref. Là-dessus, évidemment, panique de BâLâQ au v. 12 : « Que m’as-tu fait ?!? Je t’ai fait venir pour maudire et voilà que tu bénis ! » Là, on croirait entendre toutes les revendications des dirigeants athées vis-à-vis de l’Église dont ils voudraient modifier le discours — l’ONU a envoyé des missives aux papes en ce sens qui sont juste hallucinantes —, à quoi l’Église répond qu’elle ne peut dire que ce qui est en accord avec les enseignements et la vie du Christ Jésus ! Voyez : ce passage est une vraie source de décryptage du fond du discours des nations païennes. C’est ce qui fait toute l’actualité de la ToRaH, de génération en génération. Toujours est-il que BâLâQ entraîne BiLe”âM sur un autre lieu de sacrifice : il se dit que là où s’était retiré BiLe”âM, la communication avec le divin était brouillée… Alors il l’emmène sur un sommet, et pas n’importe lequel : le PiSeGGâH où YHWH fera monter Moïse pour observer toute la Terre Sainte où il ne pourra pas lui-même entrer, c’est dans le Deutéronome, ch. 3, v. 27 et à la fin, ch. 34, v. 1. Comme si BâLâQ voulait mettre en concurrence BiLe”âM et Moïse — Moïse qui est le grand absent du récit au demeurant, mais qui est en même temps partout présent en filigrane. Cela dit, pas plus que depuis le BaMoT-Ba“aL, BiLe”âM ne verra toujours pas le peuple en son entier : on vient de le dire : nul homme ne peut mettre la main sur Israël. Et hop : on répète le rituel avec les 7 sacrifices ! Voyez : c’est ça, la manière de fonctionner du spiritisme ou de la sorcellerie : on répète sempiternellement les mêmes invocations avec les mêmes formules en espérant à force faire plier la divinité à son bon-vouloir : c’est pathétique ! Et on a l’impression que YHWH joue et se joue de BâLâQ à la fois, tellement ce personnage monte dans l’angoisse ! Et cette fois, BiLe”âM s’adresse directement à BâLâQ pour lui dire en substance : ‘ÈL n’est pas manipulable ! Il n’est ni un fils d’Adam — là, on pense à Osée : « Je suis ‘ÈL et non pas un homme ! » (Os 11,9), ni une idole ! La fin du v. 19 reprend d’ailleurs à ce propos le discours habituel sur les idoles qui disent et ne font pas, qui parlent et ne réalisent pas. On l’entendra assez souvent, notamment dans les Psaumes. Et la suite ne manque pas de grandeur : malgré tout, BiLe”âM est cet homme droit qui écoute et qui, en définitive, sait reconnaître son Maître ! Il ne prétend pas que sa parole sera plus forte que la Parole de bénédiction de YHWH ! Et les v. 20-21 de poursuivre : « [YHWH] a béni, je ne contredirai pas ! Il ne voit pas d’iniquité en Ya“aQoV, Il ne voit rien de trouble en Israël. YHWH, son ‘ÈLoHîM, est avec lui et en lui retentit l’acclamation d’un roi ! » C’est très fort, parce que là, le récit nous dit que tout ce qu’on a entendu de râleries, tout ce qu’on a raconté des fautes, que ce soit à propos du Taurillon d’or ou de toutes les révoltes qui ont précédé, tout ça ne change rien à l’élection ! Dieu est sans repentance dans ses choix ! Il est fidèle ! Et là bing : toi, BâLâQ, tu n’es qu’un roitelet face à YHWH qui est le ROI acclamé par cette masse innombrable ! Un Dieu qui a marqué ce peuple dans la chair par la sortie d’Égypte, sous entendu face à Pharaon qui était d’une autre trempe que ce pauvre BâLâQ qui se trouve vraiment réduit à de la poudre de perlimpinpin ! Et le v. 23 de poursuivre, en substance : Israël ne fonctionne pas comme toi à coups de magie et de divination, et c’est précisément là où réside sa force de lion : Dieu est au milieu de ce peuple parce qu’Il a choisi d’y être, et non pas parce qu’Israël ferait des incantations ! Wouaille ! Ça chauffe !

Et hop : rebelote : un troisième lieu avec le MÊME rituel : là on sent à la fois la panique et l’endurcissement du cœur de BâLâQ qui fait irrépressiblement penser à l’endurcissement de Pharaon : voilà, YHWH, en jouant le jeu avec les règles mêmes de BâLâQ révèle la noirceur de son cœur ! Alors le troisième et quatrième oracles occupent le ch. 24 que nous ouvrirons la prochaine fois. Pour l’heure, on en reste à cette tension impressionnante. Jusqu’où va aller BâLâQ ?

Mais en attendant d’ouvrir la suite, je vous souhaite une bonne lecture de ce chapitre 23 qui montre bien toute la difficulté qu’ont les païens à accepter la place unique, c’est-à-dire l’élection d’Israël dans le concert des nations, et en ce sens, ce récit n’a rien perdu de son actualité ! Je vous remercie.


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