20-09-2017

[Nb] 24 - La révolte du peuple

Numbers 14:1-19 par : le père Alain Dumont
Attention : petite erreur à 10‘23” : la citation n’est pas Dt 30 mais bien Nb 14,11-12 

Suite au rapport des explorateurs, le peuple gronde, menace de lapider Moïse et refuse d’entrer en terre de KaNa“aN. YHWH entre en fureur jusqu’à évoquer l’éradication pure et simple de ce peuple à la nuque raide !
Que va faire Moïse ?
Duration:18 minutes 23 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/message/nb-24-la-revolte-du-peuple.html)
Tous droits réservés.
Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
______________________________________________________________

Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 14 du Livre des Nombres, un chapitre sombre. Un chapitre sombre mais qui va nous apprendre bien des choses sur le sens de l’histoire, de l’Alliance, de la liberté. On se souvient que les explorateurs ont fait leur rapport sur ce qu’ils ont vu sur la terre de KaNa“aN, les uns étaient pour que le peuple franchisse la frontière, les autres étaient contre et évidemment ont étayé leur avis par la description des géants mythologiques face auxquels les petits Fils d’Israël ne sont que des sauterelles. De quoi bien alimenter les fantasmes populaires. Et voilà que le peuple, contre toute attente — n’oublions pas tout de même qu’il a traversé le désert POUR ÇA, pour entrer en KaNa“aN, la terre des ancêtres — murmure contre Moïse et ‘AHaRoN et le projet de YHWH. Alors n’oublions pas non plus qu’il faut lire à travers ces lignes la grande interrogation de l’Exil qui anime les rédacteurs : faut-il ou non revenir, maintenant que Babylone est tombée et que l’empire Perse le permet et même l’encourage, sachant néanmoins que la situation en Judée est très agressive. Du coup, comment discerner ? Eh bien, dit le rédacteur, faisons mémoire de notre arrivée avec Moïse, à l’époque où nos ancêtres marchaient dans le désert ! Il ne s’agit pas d’un éternel recommencement mais bien de l’accomplissement des figures qui se sont inscrites dans la mémoire du peuple POUR ÇA ! Pour apprendre à discerner. S’il n’y avait pas ces figures, si aucune mémoire ne se transmettait de génération en génération, alors la vie ne serait qu’un éternel recommencement, sans origine et sans but ! Mais s’appuyant sur l’expérience, sur la mémoire CHARNELLE des pères — non pas un enseignement qu’ils donnent mais une expérience qu’ils offrent en témoignage pour les générations à venir, fût-elle peu glorieuse — ; en s’appuyant donc sur la mémoire de l’histoire, alors il y a des chances pour que le peuple ait des éléments, précisément pour ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé et discerner ce qu’il doit vivre au milieu des nations. Ça c’est de l’inspiration ! Et c’est unique ! Israël porte ici un trésor UNIQUE, même si c’est dans des réceptacles d’argiles, donc fragiles, raison pour laquelle YHWH en prend tellement soin ! « Les juifs sont la prunelle de l’œil de Dieu ! » disait saint Bernard de Clairvaux. Et l’Église, par le Christ, a pris le relai pour étendre ce principe de vie à toutes les nations : tu veux discerner quoi faire ? Appuie-toi sur la mémoire des pères : alors, comme eux, tu engendreras un avenir, et un avenir fécond, quelles que soient les difficultés qui pourront se présenter ! Alors donc : à notre tour de lire le récit et de nous en imprégner comme des fils qui reçoivent l’enseignement de leurs pères !

Les v. 1 à 3 sont construits en crescendo : un désespoir du peuple décrit en termes pathétiques : des cris, des pleurs, des murmures traduisent les sentiments de la foule dont la peur va dégénérer en panique ! Et là, on touche à la cause première du péché, à savoir la PEUR : on oublie que YHWH est présent, du coup l’avenir se lit comme une impasse et on n’a de cesse que de vouloir revenir au passé ! Et de fait, s’en prenant à Moïse et à ‘AHaRoN, le peuple en vient encore une fois à préférer la mort en Égypte et dans le désert plutôt que de risquer d’entrer en KaNa“aN ! Et le v. 4 nous livre la conclusion logique de cette peur panique : le choix d’un autre chef — alors là pour le coup on a bien Ro‘Sh, la tête au sens de celui qui marche en tête ; on pourrait traduire : « donnons-nous un autre prince ». Sauf que là c’est vraiment grave, parce que face à Moïse et ‘AHaRoN, ça veut dire ni plus ni moins : « Donnons-nous un autre dieu ! » Et là, tout de go, Moïse et ‘AHaRoN se prosternent. Litt. : « Et il est tombé, Moïse, et ‘AHaRoN, [tous deux] sur leur face pour la face de toute l’assemblée de la communauté des Fils d’Israël. » Donc le texte ne dit pas qu’ils se prosternent face à la communauté mais « pour elle » — on pourrait traduire LiPeNéi par « vers elle » mais ça n’aurait aucun sens. C’est « pour elle » qu’ils se prosternent en direction évidemment du MiShKâN, c’est-à-dire immédiatement pour intercéder ! Pas un mot, rien : l’heure est grave !

Se lèvent alors les deux figures de Josué — tiens, le revoilà celui-là : il avait disparu lors du rapport des explorateurs… et de KâLéV — je ne vous l’ai pas dit, mais KâLéV signifie « chien », c’est ce qui a donné, via l’arabe, le ”clebs“. Alors ça n’est pas très glorieux comme nom, mais en fait, le chien est ambigu dans la Bible : ok ça peut être une insulte, mais le chien est aussi l’image de la fidélité comme dans le livre de Tobit et c’est évidemment cette signification qu’il faut retenir ici. Ce qui fait sens d’ailleurs au niveau symbolique : d’une part Josué — YHWH Sauveur — et d’autre part KâLéV — le chien — rassemblent à eux deux YHWH et sa création qui l’un comme l’autre n’attendent qu’une chose : que la communauté entre dans cette terre ! On songe ici à Saint Paul : « La création tout entière attend la révélation des Fils de DIEU ! », et c’est exactement la même dynamique : le Christ Jésus —YéHoShoua“, Josué, Jésus, c’est le même nom rappelez-vous — est entré dans la Jérusalem céleste — ça c’est ce que nous dit l’épître aux Hébreux — et il nous dit : Allez ! Vivez en homme et en femmes LIBRES ! Et face à cette injonction, que répondons-nous ? Voulons-nous vraiment de cette liberté qui est une liberté de COMBAT ? Combien de fois, lorsque se profile une lutte au nom de Jésus, nous déclarons forfait ? Nous préférons nous taire, c’est-à-dire que, CHARNELLEMENT, nous nous transformons en esclaves consentants d’un monde qui se fait de plus en plus ennemi du Christ ! Comme quoi la situation de notre chapitre nous concerne complètement, d’autant que cette génération, par le Christ, est celle de NOS PÈRES dans la foi ! Donc quelque part, s’ils nous livrent humblement ce moment peu glorieux de leur épopée, ça n’est pas pour que nous les regardions de travers, mais pour que nous nous saisissions de courage au moment même où la peur nous étreint face au combat ! C’est bien beau d’avoir de grandes idées sur la liberté, mais est-ce qu’elle se vérifie CHARNELLEMENT dans nos choix, dans notre manière d’être ? Si à la première occasion de lutte, comme ici, on se détourne, alors c’est que nos idées ne sont que des mensonges faits pour nous rassurer, rien de plus…

Donc on en est là  : la communauté a suivi Moïse jusqu’ici, et au moment de prendre une décision d’adulte, au moment de franchir le pas et de valider l’Alliance — rappelons-nous : « Tout ce qu’a dit YHWH, nous le ferons », en Ex 19, v. 8 —, mais de la valider CHARNELLEMENT, la communauté dit : « Non, on ne veut pas ! » Et là, Moïse tombe atterré avec son frère devant YHWH ! Comprenons bien que tout s’effondre ! Tout est prêt : la ToRaH est donnée, le MiShKâN est monté, les tribus sont organisées… Tout est prêt donc, SAUF le peuple en tant que communauté de CHOIX, de TÉMOINS LIBRES parce que LIBÉRÉS par YHWH… Dit autrement, au moment de faire monter la lumière de YHWH au milieu des nations, la communauté dit juste : « Non ! » Alors YéHoShoua“ et KâLéV déchirent leur vêtement en signe de deuil, parce que ce qui se profile, c’est la mort ! Repensons encore une fois à la fin du Deutéronome : « Vois : je mets devant toi la Vie et la Mort, le Bien et le Mal : choisis la Vie ! » Eh bien là, la communauté choisit la mort… C’est tragique ! Et YéHoShoua“ et KâLéV d’en rajouter : « Cette terre est bonne, très bonne ! YHWH nous donne la terre ! Mais ne vous mutinez pas contre YHWH, et n’ayez pas peur du peuple de cette terre ! YHWH est avec nous ! » Mais non, rien n’y fait. On parle même de les lapider, quand tout à coup la Nuée se lève dans le MiShKâN aux yeux de tous, et YHWH de dire à Moïse : « Jusques à quand ce peuple me méprisera-t-il ? Jusques à quand n’auront-ils pas foi en Moi malgré tous les signes que j’ai faits en leur sein ? Je vais les frapper de la peste et le déshériter ! Et je ferai de toi une nation plus grande et plus puissante que lui ! » Alors là, il ne faut pas être surpris : allons relire le ch. 26 du Lévitique, avec les Bénédictions et les Malédictions de l’Alliance ! Et voilà que Moïse se retrouve devant la même épreuve qu’après l’épisode du Taurillon d’Or, ce qui veut dire que la faute est non seulement aussi grave, mais en plus, elle est ratifiée puisque la communauté le réitère : « Choisissons un autre chef ! », c’est-à-dire un autre dieu ! Si vous vous souvenez, on a effectivement parlé d’une épreuve de Moïse à ce moment, dans la mesure où nous, lecteurs, nous savons bien que YHWH n’a nullement l’intention de revenir sur son Alliance — ne serait-ce que parce que l’épisode du Déluge avec Noé dans les temps primordiaux établit bien que faire table rase ne sert strictement à rien —, mais en même temps, impossible de la maintenir s’il n’y a pas parmi le peuple des Fils d’Israël UN ARBRE, c’est-à-dire un JUSTE qui justifie que YHWH ne balaye pas l’élection ! C’était la question de Moïse au ch. précédent, v. 20 lorsqu’il a envoyé les explorateurs pour voir s’il y a ne serait-ce qu’UN JUSTE en KaNa“aN, auquel cas la seule présence de ce JUSTE aurait mis un véto à la conquête du pays ! Israël, rappelons-nous, est là pour établir la JUSTICE sur cette terre promise, ce qui est légitime s’il n’y a PAS de juste, s’il n’y a pas même UN ARBRE en son sein ; sans quoi, s’il y avait eu ne serait-ce qu’UN seul JUSTE en KaNa“aN, toute conquête de la part d’Israël serait INJUSTE ! Seulement la question reflue ici sur Israël : au sein d’un peuple rebelle, subsiste-t-il UN SEUL JUSTE qui permette à YHWH de ne pas revenir sur son Alliance ? Et voilà l’épreuve de Moïse : s’il répond favorablement à la proposition de YHWH, ça veut dire qu’il se désolidarise de son peuple ; ça veut dire qu’il tire son épingle du jeu en disant : « J’en ai marre, je ne veux plus les connaître : on repart à zéro avec moi ! » Sauf que là, Moïse n’est plus cet homme le plus humble que la terre ait porté comme le décrivait le ch. 12 au v. 3 ! Il n’est plus ce JUSTE qui puisse légitimer pour YHWH de garder son Alliance avec le peuple. Et si Moïse lui-même n’est plus JUSTE, alors qui le sera en Israël ? Personne ! Et pour le coup, l’Alliance est perdue ! Mais voilà que Moïse, le Serviteur de YHWH par excellence, l’homme le plus humble que la terre ait porté entend le véritable appel de YHWH qui ne consiste pas à élaborer un plan B mais à pousser LE JUSTE à INTERCÉDER pour le peuple. Si Moïse intercède, alors c’est qu’il est solide dans la JUSTICE ; c’est qu’il est véritablement cet ARBRE qui subsiste vaille que vaille en Israël, signe que l’élection mérite d’être maintenue pour tout Israël ! J’espère que là, vous sentez à quel point Moïse est une figure du Christ Jésus au moment de la passion, au moment où tous le cherchent pour le faire mourir, comme ce qui se passe ici pour Moïse que la communauté cherche à lapider. Et le Christ va intercéder, lui que saint Jacques désignera comme LE JUSTE : « Vous avez condamné LE JUSTE et vous l’avez tué, sans qu’il vous oppose de résistance. » (Jc 5,6), ou alors saint Jean, encore plus explicite : « Si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, LE JUSTE. » (1Jn 2,1).

Enfin bref, personnellement j’aime beaucoup l’argument de Moïse, qui d’ailleurs en substance est le même qu’en Ex 32 face à la proposition de YHWH de repartir à zéro, déjà à cette époque : « Qu’est-ce qu’ils vont dire les voisins ? Pense à ta réputation parmi les nations : on dira : “Voilà un dieu incapable de tenir ses promesses !” » Et là paraît le GRAND MOÏSE qui va plaider en faisant mémoire des plus profondes qualités d’un DIEU dont lui seul a su pénétrer le Mystère, un passage qui constitue dans le fond le grand CREDO d’Israël : « Maintenant, que grandisse la force de ‘ADoNaï — Mon Seigneur — selon ce que Tu as déclaré en disant : YHWH , long de narine — c’est-à-dire lent à la colère — et riche en miséricorde, portant délit et transgression ! Et pour innocenter, Il n’innocente pas ! Il sanctionne le délit des pères sur les fils sur la troisième et la quatrième [génération] — c’est-à-dire que YHWH est Juste ! Il ne déclare pas innocent ce qui ne l’est pas ! En même temps, Il limite la sanction à 4 générations ! On l’a déjà vu par ailleurs : lors d’une faute grave, la 2e génération en reste marquée comme d’une plaie ; la 3e génération en garde le souvenir encore cuisant qui s’estompe en général à la 4e. Si la colère de YHWH débordait, elle éradiquerait purement et simplement les contrevenants, ce qu’évoque le v. 12. Ceci posé, qui dit Miséricorde ne dit pas nonchalance de la part de celui qui fait Miséricorde ! Néanmoins, s’Il sanctionne, ce n’est pas, Moïse vient de le dire, sous le coup d’un débordement de colère : là aussi se dévoile le DIEU JUSTE. — Pardonne donc le délit de ce peuple selon la grandeur de Ta miséricorde et comme Tu as su porter ce peuple depuis l’Égypte jusqu’ici ! » (Nb 14,17-19) Moïse rappelle ici les paroles même de YHWH lorsqu’Il passe devant lui en le voilant de sa main pour le protéger au sommet de l’HoRèV, c’est en Ex 34, v. 6-7. Difficile de prendre plus YHWH aux mots !

Alors que va faire YHWH ? Eh bien nous le verrons la prochaine fois. Pour l’heure, entrons bien par la lecture de ces v. 1 à 19 dans la tragédie qui se dessine et contemplons le JUSTE à l’œuvre ! On ne perdra pas son temps à regarder si cette justice, qui pour le chrétien vient pas Jésus, YéHoShoua“, trouve en nous une terre où se planter. Je vous remercie. 
______________________________________________________________