10-09-2017

[Nb] 21 - Dieu tient toujours parole !

Numbers 11:15-35 par : le père Alain Dumont
« Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6,34). Dieu tient toujours Parole !
Duration:19 minutes 27 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous sommes toujours au ch. 11, un chapitre essentiel pour comprendre les enjeux de toutes les révoltes qui vont avoir lieu une fois la route prise pour rejoindre KaNa“aN. Et donc vous vous souvenez : nous avions laissé Moïse pris entre la plainte du peuple face à la Providence de la manne qui devenait insupportable à force de durer et la colère de YHWH. Et nous avons dit à la fin de la dernière vidéo qu’en substance, l’intercession de Moïse ne signifiait pas tant le désespoir que l’appel de foi, l’appel filial lancé à YHWH pour que l’impossible à vue purement humaine — porter ce peuple de râleurs — devienne possible avec Dieu. Maintenant, il ne s’agit pas d’une petite prière prononcée un peu légèrement par un homme qui, dans le fond, ne se sentirait pas personnellement menacé : non non : « Si Tu veux que je porte ce peuple seul, tue-moi ! Que je ne voie plus mon mal ! », dit Moïse au v. 15. Là, on est vraiment à l’extrême de la souffrance qui fait désirer mourir plutôt que vivre, mais ne nous y trompons pas : Moïse ne se plaint pas ! Il pèse de tout son poids dans la balance, ce qui est autre chose ! Il faut relire ici le passage de l’Exode après l’épisode du taurillon d’or : « Moïse parla ainsi à YHWH : “Hélas ! Ce peuple a commis un grand manquement ! Ils se sont fait un dieu d’or. Pourtant, si Tu enlevais leur péché ! Sinon, efface-moi, de grâce, de ton livre que Tu as écrit ! » (Ex 32,31-32) Vous entendez ? C’est une intercession, et on a la même chose ici ! « Moi tout seul, même pas en rêve, plutôt mourir ! Mais moi avec Toi, alors là oui : on pourra mener ce peuple jusqu’au bout, l’élever à la hauteur des noces auxquelles Tu l’as convié ! » Et c’est bien entendu cette intercession que YHWH entend, à laquelle il répond par l’élection des 70 anciens aux côtés de Moïse — un récit qu’on avait déjà eue en Ex 24. Ils étaient alors montés avec Moïse sur la Montagne et ici, le schéma est le même : ils sont disposés autour du Sanctuaire qui est comme un HoRèV qui se déplace d’une certaine manière, jusqu’à la véritable montagne qui sera celle de Jérusalem.

Alors qui sont ces anciens ? Ce sont les membres d’un conseil tout simplement. On va les trouver dans toute l’histoire d’Israël, mais en particulier à partir de l’Exil — tiens, étonnant… Et bien entendu, ces 70 anciens choisis par Moïse composent l’origine traditionnelle, ou plus exactement confèrent sa légitimité au conseil qui siégera à Jérusalem à partir du second Temple, le fameux Sanhédrîn du Nouveau Testament. Ceci dit, en tant qu’institution, les anciens sont plutôt rattachés à un mode de vie sédentaire : leur rôle est de siéger aux portes de la ville pour négocier au nom de la Cité et rendre la justice. Mais bon : dans le fond, on peut aussi se dire qu’Israël se dirige vers la Terre de KaNa“aN pour s’y sédentariser, donc l’idée d’une institution mosaïque d’un tel conseil n’est pas sans une certaine logique.

Ce qui est intéressant ici, c’est le v. 17 qui fondent le prophétisme au sein d’Israël, et ça, c’est assez typique du rédacteur deutéronomiste. C’est lui qui mettra cette parole sur les lèvres de Moïse : « Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. » (Dt 18,15) Donc d’après cette tradition, le prophétisme en Israël remonte à Moïse, ce qui fonde à nouveau — comme pour le conseil des Anciens — la légitimité de la prophétie au sein de l’histoire des Fils d’Israël. Le vrai prophète n’est donc pas celui qui surgit de nulle part : quand il parle, c’est dans la tradition de Moïse qu’il parle, donc c’est au nom de la ToRaH, indépendamment du collège des prêtres, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes comme va le montrer très rapidement le ch. suivant. Mais ce qui est important, c’est qu’il ne s’agit pas d’une institution dynastique comme l’est le sacerdoce ou comme le sera la royauté ; le prophétisme est une institution purement spirituelle. C’est bien de l’esprit de Moïse que sont animés les Anciens — une idée qu’on ne retrouvera qu’une seule fois lors de la transmission de l’esprit d’Élie à son disciple Élisée, au 2cd Livre des Rois au ch. 2. Par ailleurs, c’est une tradition semble-t-il très forte que ces premiers anciens, remontant à Moïse, soient revêtus de l’esprit de prophétie, puisqu’en Exode, s’ils montent sur la montagne avec Moïse, c’est aussi pour vivre une extase. J’espère que vous voyez le lien avec l’événement de la Pentecôte avec l’esprit de Jésus qui est répandu sur les disciples !

Quoi qu’il en soit, grâce à cet esprit prophétique dit le récit, voilà les anciens revêtus de la charge de juges pour les affaires profanes afin de seconder Moïse dans la gestion administrative du peuple. Alors comprenons bien : dans le fond, on est en train de nous dire que quel que soit le rôle des dirigeants en Israël, qu’ils soient prêtres ou juges, c’est de Moïse que les uns et les autres tirent leur autorité, et c’est donc à la ToRaH que les uns comme les autres sont attachés de sorte qu’il ne saurait y avoir de lutte de pouvoir entre les deux. L’histoire montrera que le rapport entre ces deux institutions ne sera pas simple, mais voilà : encore une fois, leur enracinement sur Moïse en personne leur interdira de s’éradiquer mutuellement ! Israël ne saurait se passer de l’une ou l’autre de ces institutions sans en payer un prix exorbitant !

La suite du texte ne pose pas quant à elle de problème majeur. Il confirme l’interprétation que  nous avons faite de la plainte du peuple qui s’avère être en réalité un authentique rejet de YHWH, comme le seront toutes les plaintes et toutes les révoltes qui suivront. Ce qui surprend, c’est le dépit qui semble habiter YHWH : vous voulez de la viande ? Eh bien Je vais vous en donner jusqu’à ce que ça vous ressorte par les trous de nez ! Alors on se dit que c’est pas très sympa de la part de YHWH, mais dans le fond c’est une réponse charnelle : à un cœur qui refuse d’imposer des limites à sa volonté, YHWH va lui donner ce qu’il demande pour que l’homme fasse l’expérience que sa requête ne lui est pas ajustée. Ce n’est pas YHWH qui gave son peuple comme on va gaver des oies ! YHWH envoie les cailles et on va s’apercevoir que les hommes vont s’en empiffrer jusqu’à en vomir, signe CHARNEL s’il en est que leur demande était abusive ! Ça n’est pas facile à comprendre, mais encore une fois, ne s’inscrit dans la mémoire que ce qui est CHARNELLEMENT vécu, donc : pour qu’Israël apprenne à se méfier de ses propres revendications face à YHWH ; pour qu’Israël apprenne à ne plus tenter de reléguer YHWH au rang des idoles qu’on peut manipuler, eh bien : YHWH accède à leur demande abusive pour révéler CHARNELLEMENT aux Fils d’Israël où mènent de telles revendications idolâtres ! C’est comme si YHWH, en négatif pour ainsi dire, révélait à Israël l’importance, l’irréductibilité du CADRE de l’Alliance. Dans ce cadre, ok, c’est la manne quotidienne, mais cette manne est une manne de LIBERTÉ ! Hors du cadre, ok, ce sont les cailles en surabondance, mais ces cailles sont celles de la nausée. Tu fais l’expérience et ensuite tu choisis !

Alors à partir du v. 21, le récit se déploie. Ici, pas non plus de difficulté : Moïse demande de quelle viande il s’agit, s’il faudra égorger le bétail — sauf que le bétail ne peut être immolé que dans le cadre des offrandes — ; et YHWH lui répond : « Tu bosses pour qui ? Pour un amateur ? J’ai promis, je donnerai ! » En attendant, on assiste à la transmission prophétique du charisme de Moïse aux 70 anciens. Avec un passage un peu comique à partir du v. 26 puisque deux des anciens désignés ne se sont pas présentés devant le Sanctuaire et pourtant, l’esprit de Moïse les saisit et ils tombent en extase au milieu du peuple ! Alors on court prévenir Moïse de ce prophétisme hors cadre, et Moïse de répondre cette phrase admirable : « Qu’il soit donné à tout le peuple de YHWH de prophétiser quand YHWH leur donnera son esprit ! » (Nb 11,29) Et là, on a toute la théologie du rédacteur deutéronomiste : pour le rédacteur sacerdotal, le peuple est tout sacerdotal ; pour le rédacteur deutéronomiste, le peuple est avant tout prophétique, et ça n’est pas incompatible ! C’est comme pour les chrétiens : pour certains, l’Église, c’est l’institution et les sacrements ; pour d’autres, c’est la vie de charité au milieu du monde, mais les deux ne sont pas incompatibles à la condition que l’un comme l’autre soient attachés à la même Écriture, c’est-à-dire à la ToRaH éclairée par l’Évangile du Christ Jésus ! D’ailleurs on a un épisode similaire dans l’Évangile selon Marc : « Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : “Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en Ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent.” Jésus répondit : “Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en Mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de Moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous.” » (Mc 9,38-39)

Enfin voilà : à partir du v. 31 advient le vol de cailles, comme en Exode au ch. 16. Vous irez lire le texte en comprenant bien ce qu’il dit : « La narine de YHWH brûla contre le peuple ! », c’est-à-dire qu’Il leur donne ce qu’ils ont demandé et ils en crèvent ! Ces cailles sont comme l’anti-manne, puisqu’ils en amassent et ils en amassent des quantités « gastronomiques » comme disait Coluche ! C’est saint Augustin je crois qui dit que DIEU punit souvent le pécheur en lui accordant ce qu’il convoite… Eh bien voilà. Après cet épisode douloureux, le peuple panse des plaies et enterre ses morts. Le lieu prend le nom de QiVeROT-HaTTa‘aWâH, qu’on pourrait traduire par « Tombeaux de la convoitise » ! En définitive, quelle est la leçon ici ? Tout simplement d’apprendre à sortir de l’angoisse du manque ! Rien ne sert d’accumuler : aie foi en la Parole de YHWH, parce que YHWH tient parole ! Et Jésus reprendra exactement le même thème : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie  Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6,24-27.33-34) Eh bien Jésus ne s’inspire de rien d’autre que de ce ch. 11 du livre du MiDeBaR, le livre du désert qui se présente non pas comme un lieu seulement aride, mais comme un lieu où l’homme apprend à mettre sa foi en YHWH pour ne pas crever des délires immodérés de sa convoitise ! Où l’on rejoint la parole du Décalogue : « Tu ne convoiteras pas ! » Pourquoi ? Eh bien la réponse est donnée ici, non pas comme une leçon moralo-intellectuelle mais comme une réponse CHARNELLE qui s’inscrira à jamais dans la mémoire du peuple ! On peut être sûr maintenant qu’on ne le reprendra plus à jouer à ce petit jeu, génération après génération ! Et là, à travers un événement peu glorieux, on décèle toute la SAGESSE qui habite les Fils d’Israël qui n’hésitent pas à transmettre ce qu’ils ont appris à leur corps défendant ! C’est autrement plus honorable et plus efficace que de raconter en disant : « Il était une fois un grand prince qui libéra une belle princesse etc. ! » Encore une fois, la Bible, ce n’est pas un conte de Grimm !

Bref. Je vous laisse lire l’ensemble du chapitre. On verra la prochaine fois qu’Israël n’est pas au bout du travail qu’il doit encore faire sur lui-même, mais comme dit Jésus : « À chaque jour suffit sa peine ! ». Bonne lecture donc, et n’oubliez pas : DIEU tient toujours Parole ! Je vous remercie !
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