20-11-2016

[Lv] 35 - Dans la paix du MiShKâN

Levitique 24:1-23 par : le père Alain Dumont
Après avoir déployé le faste des sacrifices, des commandements cultuels et des sanctions, des fêtes qui rythment l’année, le Lévitique nous fait pénétrer à l'intérieur de la Demeure. Une atmosphère de paix règne alors, qui rompt avec le brouhaha de l'extérieur.
Mais ATTENTION : suite à cela, il va falloir faire un choix, et non des moindres...
Duration:13 minutes 16 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/dans-la-paix-du-mishkan.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Après les considérations sur les Offrandes, sur le pur et l’impur, sur ce que le peuple puis les prêtres sont appelés à vivre dans l’ordre de la sainteté, tout à coup, avec le ch. 24, on va retrouver le calme du MiShKâN… La foule disparaît — celle des assignations ; seuls restent Moïse et ‘AHaRoN devant HaShèM LeHa‘aLoT NéR TâMîD dit le texte, c’est-à-dire « pour faire monter une lampe perpétuelle », un terme peu banal qui désigne, nous dit la tradition, la MeNoRaH. NéR TâMîD, c’est le nom que donnent les juifs aujourd’hui à la lampe qui demeure éclairée en permanence dans les synagogues, et on va comprendre ici pourquoi. Un peu comme les lumières devant les tabernacles dans l’Église latine, si vous voulez, ce qui pourrait d’ailleurs nous en faire retrouver le sens. D’abord : LeHa‘aLoT : c’est le verbe monter, “âLaH, qui sert à parler du “oLaH, de l’holocauste, ce qui associe tout comme l’autel de l’encens, la MeNoRaH à l’intérieur du Tabernacle aux « montées » de l’autel extérieur. De sorte qu’à son tour, la MeNoRaH a un lien intime avec les Offrandes de l’autel extérieur dont je vous rappelle que les parties brûlées sont toujours déposées par-dessus l’holocauste, par-dessus la « Montée » — ; un autel dont on nous a dit par ailleurs que son feu lui aussi devait être perpétuel (c’est au ch. 6, v. 5 et 6).

Reste qu’il faut aller plus loin : la MeNoRaH constitue EN ELLE-MÊME une offrande devant HaShèM, une MONTÉE perpétuelle vers Lui. Elle est cet Arbre de Vie qui brille mais auquel ne peuvent accéder que les Saints d’Israël, c’est-à-dire ceux qui obéissent aux commandements de la sainteté qui occupent le cœur du livre du Lévitique. Et quand le v. 4 parle de la pureté de la MeNoRaH, on se souvient qu’en Ex 25, le chandelier avait été moulé d’un seul tenant d’or pur. Alors on sait que cette vision du sanctuaire est assez tardive : beaucoup d’indices montrent qu’en l’état, cette description représente plus le Temple de Jérusalem idéalisé que le sanctuaire du désert qui devait nécessairement être plus modeste, sans quoi on ne voit pas comment tout cela aurait juste pu être trimbalé à travers le désert. Mais n’oublions pas le principe qui veut néanmoins qu’il n’y ait pas de fumée sans feu : la tradition orale ne part jamais de rien, donc il y a certainement eu, dans le sanctuaire du désert, quelque chose comme cette lampe perpétuellement brillante devant le rideau de l’Arche. Maintenant, à quoi ressemblait véritablement le mobilier, on n’en sait trop rien et qu’importe ? La mémoire sait qu’il y avait ce lampadaire et cela seul suffit. Que le Lévitique se serve de schémas qui lui sont contemporains — babyloniens en l’occurrence — lorsqu’il met écrit le livre est on-ne-peut-plus normal : l’objectif n’est pas de faire des reconstitutions historiques ; il n’est pas de dire : « C’était comme ça avant ! », mais de dire : « Voilà comment nous vivons AUJOURD’HUI ce que Moïse nous a légué. » Ce qui importe, c’est qu’on ne perde pas de vue ce mouvement d’élévation qui nous occupe depuis le premier chapitre du livre qui nous décrivait les Montées, les holocaustes.

Alors maintenant, pourquoi cette NéR TâMîD du MiShKâN se retrouve-t-elle dans les synagogues ? Mais pour manifester le lien entre la Synagogue et le MiShKâN évidemment ! Le lien entre les prières de la Synagogue et les Offrandes qui, si elles ne sont plus offertes aujourd’hui à cause de la destruction du Temple, l’ont à tout le moins été aux temps fondateurs de Moïse, ce qui suffit pour se répercuter sur l’ensemble des générations qui s’attacheront à HaShèM jusqu’à aujourd’hui ! Vous voyez comment nous avons tellement de mal à penser dans le temps ? Nous réduisons toujours tout à l’espace alors que la ToRaH, elle, pense d’abord TEMPORELLEMENT, c’est-à-dire proprement HISTORIQUEMENT : la pensée biblique est par essence historique, au sens où elle FONDE L’HISTOIRE, ce qui ne veut pas dire qu’elle regarde en arrière mais qu’elle est au contraire toute tendue vers l’avant : tout ce qui est vécu par Moïse n’est pas vécu pour lui mais pour l’espérance des générations à venir dont il se sait être le Maître choisi par HaShèM, MoShé RaVéNOu comme disent les rabbins, « Moïse notre Maître ». Alors maintenant, on comprend peut-être mieux le sens des lampes devant le Tabernacle chrétien : cette fois, ce n’est pas la lampe en elle-même qui signifie le lien mais bien la réserve eucharistique qui, de génération en génération, rattache les chrétiens qui communient à l’Offrande du Christ sur la Croix et à son Élévation, sa Montée vers le Père.

Vient ensuite la table des pains qu’Ex 25 nous a décrite en son temps. Et là encore, le Lévitique relie ces pains aux offrandes de l’autel extérieur. Par l’encens, déposé dans des cassolettes, les pains deviennent eux-mêmes une élévation devant HaShèM, en particulier lorsqu’ils sont mangés par les prêtres. Rappelons-nous là encore tout ce que nous avons dit sur l’acte de manger à propos du ch. 9.

Sans transition, un court récit sert de jurisprudence à la sanction de mise à mort par lapidation pour tout blasphémateur du Nom de HaShèM. Alors on se dit : qu’est-ce que ça vient faire ici ? En fait, on a déjà vu ce procédé littéraire plusieurs fois : on prend le temps de bien marquer le chemin d’élévation et de vie que constituent l’entretien journalier de la lumière et le renouvellement hebdomadaire des pains devant HaShèM, et en opposition, on manifeste le chemin de mort de tout Fils d’Israël qui maudirait HaShèM. D’autre part, aussi curieux que ça puisse paraître, c’est vrai que parmi les dizaines de comportements interdits, il n’a jamais été interdit de blasphémer HaShèM, sans doute parce que ça paraissait absolument inconcevable ! Or voilà : la chose s’est produite, non pas tant de la part d’un fils d’Israël, mais d’un… résident, ce que confirme le v. 16 ! Voyez d’ailleurs comment le texte insiste : il n’arrive pas à dire que cet homme était un Fils d’Israël !!! Il est « le fils d’une femme d’Israël » en même temps qu’il est fils d’un Égyptien… Ce qui montre au demeurant que le fameux lignage juif par la mère n’était pas de mise à l’époque, parce que si c’était le cas, étant explicitement né d’une fille d’Israël, qu’il soit ou non de père égyptien n’eût rien changé au problème : il était Fils d’Israël et le texte n’aurait pas eu à s’encombrer de périphrases. Cette tradition de la lignée juive par la femme ne date en réalité que des premiers siècles de l’ère chrétienne, pour des raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, d’autant que tout le monde n’est pas d’accord sur la question. Bref. Toujours est-il que l’inconcevable s’était produit ! Que fallait-il faire ? Eh bien en ces temps fondateurs, on ne peut pas se permettre de laisser un opposant faire son trou au milieu du peuple, donc la sanction est la mort par lapidation. Alors nous, ça nous paraît choquant parce qu’on vit dans le confort d’une société suffisamment structurée pour se permettre d’éradiquer la peine de mort, mais à l’époque qu’on le veuille ou non, ça n’était pas le cas ! Ceci dit, SI aujourd’hui nous pouvons nous targuer d’avoir éradiqué la peine de mort dans certains pays chrétiens, c’est bien grâce à la ToRaH que Jésus porte à son accomplissement ! Si quelqu’un pense que ce sont les vertus des Lumières qui ont conduit à ça, sa naïveté est grande, voire même dangereuse parce que complètement idéologique. Simplement, la ToRaH, comme l’Église d’ailleurs, marche avec l’histoire, prend les hommes là où ils en sont et les transforment en profondeur, mais… PATIEMMENT. Toutes les révolutions n’ont donné que des fruits amers et se sont effondrées quelques années après leurs exactions parce qu’elles sont portées par des idéologues qui veulent toujours « transformer le monde », comme disait Marx, mais sans tenir compte de la CHAIR. La philosophe Marguerite Léna fait très justement remarquer, à propos de l’éducation, que les transformations les plus profondes sont toujours les plus patientes : entre la graine et les grands arbres, il y a parfois plus de cent ans de croissance pour une transformation non seulement totale, mais féconde. Et là, il n’est pas question d’idées ou de valeurs, mais de CHAIR ! Telle est la ToRaH de HaShèM, comme un arbre immense qui prend le temps de croître et de donner ses fruits en son temps. Alors à l’époque que nous étudions, la sentence de lapidation était prononcée contre certains débordements ? Un jour viendrait où il faudrait l’abandonner, mais attention de ne pas mépriser à peu de frais des hommes et des femmes sans qui, vous et moi serions encore aujourd’hui dans le chaos le plus total !

Maintenant, que vient faire là aux v. 17 à 22 la fameuse loi du Talion qu’on a par ailleurs déjà vu en Ex 24, v. 18 à 20 ? Eh bien elle vient préciser que si lapidation il y a dans le cas du blasphème, celle-ci ne saurait relever d’une vengeance personnelle. Le v. 16 dit explicitement que c’est à la COMMUNAUTÉ d’assumer la sentence et non l’individu. Du coup rappeler la loi du talion dans les versets qui suivent explicite bien qu’il ne s’agit aucunement d’une vindicte individuelle mais d’une décision de toute la communauté que le blasphème a mise en cause devant HaShèM. On ne fait pas justice par soi-même. Donc à nouveau : chemin d’élévation contre chemin de mort ! À sa manière, par un jeu savant de contrastes, le Lévitique enracine la Communauté dans la même ligne que le Deutéronome : « Choisis la vie ! » Raconter un tel événement malheureux est par ailleurs le meilleur moyen de s’en prémunir dans les générations à venir pour ne plus jamais le voir se produire ! Que ça nous touche, que ça nous bouleverse, que ça nous révolte : c’est le but même du récit ! Il faut que ça nous choque, que ça nous prenne aux tripes parce que du coup, ça nous fait réfléchir et prendre position.

Voilà donc pour ce ch. 24 : après avoir déployé le faste des sacrifices, des commandements cultuels et des sanctions, des fêtes qui rythment l’année, le ch. 24 nous dit : « Maintenant, tu restes libre, mais choisis la vie sans quoi, pour mourir, tu mourras » pour reprendre les paroles de ‘ÈLoHîM à Adam à propos des fruits de l’arbre défendu ! Et si tu n’es pas Fils d’Israël mais que tu vis au milieu de ce peuple, cette injonction est aussi valable pour toi. Ceci dit, dans le fond, le Christ Jésus n’aura pas d’autre appel, sauf qu’il prendra sur lui notre refus et congédiera en la prenant sur Lui la Peine de mort qui aurait dû retomber sur nous, ceci afin que reste toujours ouvert le chemin de la conversion. Mais ce sera pour plus tard. Pour l’heure, il faut que les choses soient dites clairement : choisir la vie, c‘est choisir HaShèM. Le maudire, c’est choisir la mort et c’est donc mourir. Encore une fois, il faut au moins que ça nous interroge, surtout pour ceux d’entre nous dont la foi relève plus du confort personnel que d’un véritable engagement en faveur de la vie. Et en disant ça, croyez-moi, je ne me mets pas en dehors de la question.

Quoi qu’il en soit, je vous laisse sur cette problématique. Laissons-nous interroger par le texte, et encore une fois, s’il nous révolte, c’est bon signe : il a été écrit pour ça. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie.
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