05-11-2016

[Lv] 25 - L'institution du YOM KiPPOuR

Levitique 16:1-34 par : le père Alain Dumont
Ce chapitre est d’une importance primordiale puisqu’il institue une des plus grandes solennités du calendrier des Fils d’Israël : le fameux YOM KiPPOuR.
Duration:18 minutes 52 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Le ch. 16 que nous ouvrons aujourd’hui est d’une importance primordiale puisqu’il institue une des plus grandes solennités du calendrier des Fils d’Israël : le fameux YOM HaKiPPOuRîM, comme l’appellera le ch. 23, qu’on traduit par le Jour des Expiations. On parle aujourd’hui du YOM KiPPOuR, c’est la même chose, qu’on traduit par le Jour du Grand Pardon. KiPPOuR est un mot qui vient de la racine KâPhaR qui signifie « couvrir ». Le substantif, KâPhâR, c’est le village en tant qu’il couvre, c’est-à-dire qu’il protège ses habitants. Vous connaissez au moins le village de KâPhâR NaH.ouM, le village de NaH.ouM qui se traduit par Capharnaüm en français. Mais KâPhâR a aussi donné KiPPoRèT qui est le terme qui désigne tout simplement le couvercle de l’Arche d’Alliance que le v. 2 traduit par « propitiatoire », au sens où c’est là que YHWH se rend propice, se rend favorable à son peuple à travers la nuée qui surplombe le couvercle de l’Arche. Toujours est-il que le YOM KiPPOuR est donc le Jour où quelque chose va être COUVERT, RECOUVERT.

Alors voyons le texte. Le ch. 16 renoue avec l’histoire de NaDaV et ‘AViHOu au ch. 10. Comme si la Loi de pureté qui court des ch. 11 à 17 s’était interposée entre les deux. Au ch. 10, leur mort avait été l’occasion d’une leçon sur l’importance de l’obéissance, même pour des hommes plus grands que Moïse et ‘AHaRoN, et là, elle devient à nouveau une occasion de leçon pour évoquer les risques mortels que le Grand-Prêtre encourt lorsqu’il se présente devant YHWH, à l’instar de ses fils. Il n’est pas dit qu’il ne doit pas entrer dans le Saint des Saints, mais à tout le moins, il ne doit pas y entrer n’importe comment et n’importe quand. Pas n’importe comment : il entre dans le parvis habillé non de son vêtement d’apparat mais de la seule vêture des prêtres, avec un taurillon à offrir en sacrifice pour ses manquements et un holocauste de bélier. Jusque-là, ça va, on n’est pas dépaysé. Sauf que s’ajoutent à partir du v. 5, outre un autre bélier pour l’holocauste, un sacrifice pour le manquement de la Communauté qui nécessite deux boucs… Étrange !

Alors à partir du v. 6, le rite va être déployé en plusieurs vagues, pour ainsi dire. Une première où il nous est dit que ‘AHaRoN fait les offrandes qui le concernent ainsi que sa maisonnée, jusque-là, rien d’anormal. Suite de quoi vient le traitement des boucs par tirage au sort, nous dit-on. Ici, il y a fort à parier que le sort en question est celui des OuRîM et TouMMîM qu’on a vu au ch. 8. On n’y revient pas. Ceci dit, le sort désigne la destination de chaque bouc : l’un ira à YHWH et sera offert en sacrifice pour le manquement ; l’autre ira à ”aZaZeL, qui désigne selon les sources, soit le chef des anges rebelles à tête de chèvre, selon la racine ”éZ, la chèvre, combiné avec ‘âZaL qui signifie s’en aller, se retirer : donc c’est le bouc qu’on envoie à la chèvre dans le désert — c’est d’ailleurs à partir de là qu’on représente traditionnellement le diable avec une tête de chèvre ; soit ce nom est basé sur la racine “aZ, qui signifie fort, violent, tranchant ; d’autant plus tranchant qu’on redouble le Zaïn, et qui désigne alors une montagne escarpée, une falaise dans le désert d’où on précipitera le bouc : c’est le sens que retient Rachi et qui est le plus commun depuis le XIe siècle. On y reviendra avec le v. 22. Le v. 10 quant à lui parle de faire sur lui l’expiation, ce qu’on nous expliquera en détail au v. 21.

À partir du v. 11, on reprend la même séquence mais en donnant quelques explications supplémentaires, dont ce moment unique où le Grand-Prêtre, revêtu simplement de ses habits de lin, passe par-delà le voile du Saint-des-Saints avec une pelletée de charbons ardents en provenance de l’autel extérieur — comme quoi il ne s’amuse pas à allumer un feu profane ! Le rituel a d’autant plus d’impact que l’aventure malheureuse de ses deux fils aînés le précède —, tout ça pour faire fumer deux bonnes poignées d’encens afin d’être protégé du rayonnement de la Nuée dans laquelle même Moïse, rappelez-vous, n’avait pu pénétrer lorsqu’elle avait investi le Sanctuaire, à la fin du livre de l’Exode. Donc voilà : c’est un rite risqué, mais indispensable parce qu’il relie explicitement l’holocauste extérieur non plus seulement à l’autel de l’encens, mais à l’Arche elle-même qui constitue le marchepied du trône de YHWH, comme dit le Psaume. Et cela en deux fois : d’abord avec le sang de l’holocauste offert en faveur de la personne du Grand-Prêtre, puis avec le sang de l’holocauste offert en faveur du peuple. Et le v. 16 est ici très intéressant, parce qu’il dit bien qu’il y a un paradoxe dans le fait que le Sanctuaire demeure au sein d’un peuple impur… Alors un peuple impur, certes, mais un peuple qui, par son obéissance aux commandements, travaille sur lui-même, veille et fait TeShOuVaH, en particulier en ce jour où il revient vers YHWH en demandant humblement pardon pour ses manquements. Alors ne tombons pas dans le piège qui consiste à dire que c’est « facile ». Si c’est le cas, que les nations païennes mettent en œuvre le même genre de confession collective pour leur éviter de tomber dans la dépression chronique qui les habite systématiquement aujourd’hui ! Et là, on voit bien que ça n’est pas si simple ! Revivre CHAQUE ANNÉE depuis plus de 3000 ans, d’une manière ou d’une autre, ce grand Jour de YOM KiPPOuR, voilà qui façonne l’âme d’un peuple ! Voilà qui le rend vigilant et le convoque à une véritable humilité, sachant que l’humilité est une force : elle est la vertu de ceux qui savent se présenter devant plus grand que soi, sans fard et sans prétention mais aussi avec honneur et loyauté ! Eh bien, voilà ce que, selon l’expérience chrétienne, le Christ mène à son accomplissement sur la Croix où, nous dit le NT, il s’offre lui-même en offrande dont le sang est versé pour couvrir les manquements de la multitude (Mt 26,28). Mais c’est précisément ce qui implique que le peuple chrétien, et de manière exemplaire encore, emboîte le pas au Christ sur le chemin du retour au Père ! Et ce chemin est un chemin d’humilité du même type que celui du YOM KiPPOuR que nous vivons, pour notre part, pendant le Triduum Pascal, c’est-à-dire pendant les trois jours commémoratifs de la Passion, de la mort et de la résurrection du Christ. Disons, pour faire bref, que la différence avec le YOM KiPPOuR est que nous ne demandons plus ce pardon comme s’il n’avait pas encore été donné. Nous demandons pardon PARCE QU’il nous a été donné, acquis en Christ. Non qu’il ne nous faille plus faire d’effort pour autant, mais l’effort du chrétien est de s’attacher au Christ comme à cette victime sans tache offerte une fois pour toutes pour la rémission des péchés de la multitude, pour reprendre le vocabulaire traditionnel ; une fois pour toutes pour le recouvrement des manquements de la communauté, pour le dire en termes lévitiques. N’oublions pas que la multitude chrétienne n’est pas la somme des individualités mais le rassemblement communautaire des enfants de DIEU en un seul corps qui est le Christ.

Bref. La suite, au v. 18, nous décrit alors un rite de purification pour l’autel extérieur ; une purification qui reproduit le rite qui a eu lieu dans le QoDèSh HaQoDaShîM, dans le Saint des Saints, ce qui manifeste le lien CHARNEL qui unit, à travers l’aspersion du sang, le grand autel à la présence divine qui est à l’intérieur du MiShKâN. Suit alors au v. 20 l’explicitation du rituel du fameux bouc émissaire dont nous avaient déjà parlé les v. 7 à 10, mais simplement pour introduire le rite, sans plus d’explication. Or là, on assiste à une imposition des mains qui constitue proprement un transfert des FAUTES. La FAUTE, rappelons-nous ce qui a été dit à propos du ch. 4 ; c’est le “aWoN, c’est-à-dire cette fois l’acte grave, qui normalement demande le sacrifice pour les délits — alors que le manquement, le H.éT, lui, est involontaire et ne requiert qu’un sacrifice pour les manquements. Ceci dit, le YoM KiPPOuR permet aussi l’expiation du PèSha”, de la VIOLATION — le 3e degré de péché —, comme le suggèrent les v. 16 et 21, à condition toutefois qu’il y ait un véritable acte de réparation qui l’accompagne pour signifier la vérité du retour à YHWH et du renoncement à transgresser la ToRaH.

Alors autant ça n’est pas le cas pour les autres impositions des mains qui ont pour but d’allier charnellement l’offrant à la victime qu’il présente au prêtre, autant ici non seulement le GRAND-PRÊTRE impose les mains, mais il fait une confession des manquements de tout le peuple. Et les v. 21 et 22 sont clairs : le grand Prêtre transfère vraiment les manquements sur la tête du bouc qui doit les emporter avec lui dans le désert pour être précipité du haut de la falaise. Alors on se dit : c’est horrible ! Et on n’a pas tort. Seulement ça a tout de même un sens qui n’est pas si difficile à comprendre si on se souvient que « holocauste », c’est ‘oLaH en hébreu qui signifie « monter, faire monter ». Et cette montée, signifiée ici par l’holocauste du taureau, recueille, si on se souvient bien, le sacrifice pour le manquement qui est posé par-dessus. Du coup, un des boucs, celui qui est offert pour les manquements, « monte » vers YHWH, et avec lui lu peuple qui lui est uni charnellement dans le désir de demander pardon en même temps dans le désir de s’approcher et de monter vers YHWH ; quant au second bouc, il est chargé des manquements du peuple — ce qui n’est pas le cas du premier bouc, sans quoi on ne pourrait pas l’offrir en sacrifice à YHWH —, ces manquements, donc, qui oblitèrent le chemin qui mène à YHWH et qui tirent en quelque sorte vers le bas ceux qui les commettent ; cet autre bouc est donc destiné à prendre le chemin opposé à l’holocauste. Dit autrement, là où un bouc monte vers la VIE, l’autre descend vers la mort. Alors maintenant, ça n’excuse pas vraiment le sort assez ignominieux qui lui est réservé. Mais précisément : comment dire… cet acte ignominieux est le reflet des manquements qui EUX sont ignominieux ! C’est comme si on signifiait à tout le peuple : « Regardez ! Ce qu’on inflige à ce pauvre bouc, c’est précisément ce produisent que nos manquements ! » ; Comme si, une fois dans l’année, le YOM KiPPouR était donné pour sortir d’une vision confortable de l’élection : « Oui, aujourd’hui, nous le disons en vérité : nous sommes ignobles ! » Et comment mieux frapper la mémoire d’un peuple qu’en mettant charnellement en scène cette ignominie qui nous dit, en réalité, que NOUS mériterions le sort infligé à ce bouc. Or si nous sommes épargnés, c’est précisément que YHWH nous pardonne, à condition que nous reprenions le chemin qui mène à Lui. Alors oui : c’est choquant ! Mais c’est parce que tout à coup, on sort du pur imaginaire ! On sort du domaine tellement confortable des idées pour vérifier ce qu’on est CHARNELLEMENT ! C’est exactement le mérite du film de Mel Gibson sur la Passion du Christ : ceux pour qui cette Passion n’est dans le fond qu’une idée lointaine ont hurlé à la mort face à ce déferlement ignominieux de violence ! « C’est insupportable ! C’est une honte ! » Mais qu’est-ce qui est insupportable ? Qu’est-ce qui est une honte ? La cruauté de la Passion ou la cruauté de nos manquements ? Du coup, on comprend mieux que le bouc émissaire n’est nullement cet animal sur lequel on va se débarrasser à bon prix, symboliquement, des fautes qui pèsent sur le peuple ! Ça, ce sont des considérations de philosophes à la petite semaine qui se gargarisent des systèmes d’idées qu’ils élaborent ! Quand on accepte d’entrer dans la CHAIR que la ToRaH met en travail, alors tout change ! Et l’on comprend mieux comment le YOM KiPPouR marque la mémoire du peuple qui n’en sort jamais indemne, d’une part, mais qui d’autre part en sort d’autant plus fort et plus désireux de ne plus se laisser aller à ces manquements, à ces péchés qui, dans le fond, sont cruellement meurtriers ! À nouveau, le récit du Lévitique prend les chrétiens à partie pour les faire sortir des images d’Épinal qui transforment la Passion du Christ en un simple et vulgaire drame shakespearien…

Une fois qu’on a compris les enjeux de ce Grand Jour des Expiations, la suite ne pose plus de difficultés, si ce n’est les v. 23 à 25 qui semblent ne pas être à leur place. Sauf si l’on considère qu’après le rituel de YOM KiPPouR, ‘AHaRoN reprend ses vêtements officiels pour relancer, en quelque sorte, les sacrifices habituels qui seront le lot quotidien du temple, sur le mode des premières offrandes qui ont inauguré son sacerdoce ; et dans cette dynamique, le sacerdoce des autres prêtres se poursuit, de père en fils, sachant que, chaque année, on revivra le YOM KiPPouR pour s’inscrire en vérité devant YHWH, et ne pas s’endormir sur les lauriers de l’élection. On nous précise enfin que ce jour a valeur de ShaBaT : c’est un ShaBaT ShaBaToN, une expression qu’on avait déjà rencontrée en Ex 31,15 : Un ShaBaT de ShaBaT, c’est-à-dire LE JOUR par excellence où l’on RETOURNE vers YHWH, puisqu’une des racines de ShaBaT est ShOuV, qui signifie le RETOUR. Or quel jour plus que le YOM KiPPOuR peut avoir le rang de ShaBaT ShaBaToN ? Ce RETOUR à YHWH nécessite donc, plus encore qu’un simple jour de ShaBaT, la cessation de tout travail profane au sens où ce dernier ne permet pas de se consacrer à ce retour vers YHWH. Qui plus est, c’est un jour d’affliction pour l’âme, pour la NéPhèSh, cette partie de nous-même qui nous renvoie à notre animalité, au sens où cette NéPhèSh pour ainsi dire, prend conscience du danger dans lequel le plonge le manquement. Ceci dit, ça ne veut pas dire que ce jour est triste : au contraire, il y a une JOIE qui habite ce jour puisque c’est un JOUR DE PARDON. Mais une joie, c’est vrai, qui accepte de sourdre du réel, pour ainsi dire, puisque c’est de cette cruauté du manquement, du péché, dont YHWH sauve son peuple ! Un péché d’autant plus présent que le 10 du 7e mois, date fixée pour le YOM KiPPouR, est précisément la date où Moïse est redescendu de l’HoReV avec les nouvelles Tables de Pierre, signe du pardon accordé par YHWH suite à l’ignominie du Taurillon d’Or. Comme si Israël portait cet événement malheureux gravé dans sa mémoire comme LE Péché Originel dont il devrait chaque année, de génération en génération, recevoir le pardon ; car cette faute originelle n’est pas seulement celle d’une génération qui serait à blâmer : c’est celle que porte le peuple au fil de son histoire, pour ne jamais oublier que l’élection est devenue, ce jour-là, une histoire de MISÉRICORDE.

Voilà. Nous en avons terminé avec la deuxième partie du livre du Lévitique, la ToRaH de pureté qui avait commencé au ch. 11. Comme si tout ce discernement entre le pur et l’impur avait pour objectif, non pas d’élaborer de simples normes légales, mais de rester vigilant à faire mémoire que l’existence même d’Israël comme une COMMUNAUTÉ SAINTE ne relève jamais que de la MISÉRICORDE de YHWH qui est au cœur de sa propre SAINTETÉ.

Ouf ! Quelle richesse !!! Et quel dommage que les chrétiens considèrent ces chapitres comme obsolètes ! Alors à présent nous sommes prêts pour lire la suite, c’est-à-dire, après l’étude de la ToRaH de pureté, pour entrer dans la ToRaH de SAINTETÉ. Et là, on franchit encore un cran. Ce sera pour la prochaine fois. Je vous souhaite une bonne lecture de ce ch. 16 du livre du Lévitique. Je vous remercie.
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