05-11-2016

[Lv] 24 - Écoulements et épanchements

Levitique 15:1-33 par : le père Alain Dumont
Qu'il s'agisse de sang ou de sperme, ce qui sort du corps de la femme comme de l'homme est impur dans le cadre de l'Alliance. Cela ne manque pas de surprendre nos mentalités occidentales, et pourtant, il y a un sens à tout cela.
Duration:13 minutes 20 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/ecoulements-et-epanchements.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 15 du Livre du Lévitique qui va s’intéresser à la question des épanchements, non pas seulement sanguins mais de tout liquide qui sort du corps, c’est au v. 2. Alors de quels liquides s’agit-il ? Contrairement à ce qu’on lit d’habitude, notamment depuis le XIe siècle avec l’interprétation de Rachi, je ne pense pas qu’il s’agisse d’emblée de l’écoulement de sperme, puisque quand c’est le cas, le texte en parle explicitement comme au v. 16. En revanche, le terme ZouV désigne, notamment en Jérémie 49, au v. 4, un écoulement sanguin par le pénis qui peut être du à une infection, voire, mais pas seulement, une blennorragie qui est une maladie sexuellement transmissible. Ce qui s’inscrit tout à fait dans l’ensemble du chapitre qui traite des écoulements sanguins de la femme, mais qui chez elle sont un phénomène naturel puisqu’il s’agit des menstruations. Dès lors, touchant au sang, on comprend que l’homme qui souffre de tels écoulements doive se reconnaître impur, avec tout le cortège de purification qui s’ensuit lorsque cessent les écoulements. Et là, on retrouve tout le rituel autour de l’impureté et de sa purification qui nous est familier, ce qui fait que la lecture ne pose plus de problème particulier.

Avant ça, notons que le v. 1, YHWH s’adresse à Moïse et ‘AHaRoN, mais en réalité ici, les prêtres n’interviennent pas pour le discernement ; tout juste, au v. 14 et 15, pour l’Offrande pour le manquement et celle de l’holocauste. En revanche, il y a un ENSEIGNEMENT spécifique à livrer que cible particulièrement l’expression unique en son genre : « DaBeROu ‘èL BeNéY YSeRâéL Va‘aMaReTèM ‘aLéHèM » « Parlez aux Fils d’Israël et dites-leur… » Nulle part ailleurs on ne trouve une telle formulation, ce qui dit l’importance primordiale de l’INSTRUCTION qui fait partie de la mission sacerdotale. Vous voyez : le prêtre n’est vraiment pas uniquement ce « sacrificateur » que certaines traductions donnent à imaginer. Les prêtres ont d’autres fonctions aussi importantes que d’opérer les sacrifices, à savoir d’une part distinguer entre l’impur et le pur, et d’autre part enseigner. En l’occurrence ici, cet enseignement porte sur un sujet précis : les écoulements sanguins par les organes génitaux. J’insiste : contrairement aux sous-titres que vous pourrez trouver dans vos bibles, il ne s’agit pas en soi des épanchements proprement séminaux qui n’apparaissent explicitement qu’au v. 16. Toujours est-il que l’enseignement est clair : tout écoulement sanguin par le pénis rend impur celui qui en est l’objet, ainsi que toute personne et tout ustensile qui auront été au contact de cet homme ou son écoulement. D’où les consignes de purifications et le rituel de réparation qui s’ensuivent. Maintenant, redisons-le : l’impureté n’est pas une condamnation ! On ne nous dit pas non plus que c’est une abjection : c’est une inaptitude toujours MOMENTANÉE en raison du sang répandu, sur un laps de temps plus ou moins long, à participer au chemin de SAINTETÉ propre aux Fils d’Israël. Et quand l’impureté est discernée, c’est toujours en vue d’indiquer le moyen de purification qui rétablit l’homme ou la femme dans ce chemin qui mène aux Offrandes du Sanctuaire.

Alors venons-en maintenant au v. 16 qui, lui, parle non plus d’un écoulement, ZOuV, mais d’un épanchement, ShiReVâH, et très précisément d’un épanchement de semence, un ShiReVâH ZâRa”. Là, il s’agit bien de l’éjaculation, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire lors d’un rapport sexuel ou en dehors. Et là encore, quelles que soient les conditions de cette éjaculation, si elle rend l’homme impur, c’est toujours en vue des offrandes du Sanctuaires dont l’homme doit se garder jusqu’au soir, mais en soi, ça ne dénonce pas l’éjaculation comme une abjection ! Et ça n’est pas non plus une condamnation de l’éjaculation lors d’un rapport sexuel dont parle le v. 18. Littéralement : « Et une femme à qui un homme épanchera un épanchement de semence, ils se laveront dans l’eau et seront impurs jusqu’au soir. » Simplement, le texte a conscience que s’il ne s’agit pas de sang, il s’agit tout de même d’un liquide vital, puisqu’il donne la vie. Nos anciens n’étaient pas débiles, et même sans en connaître tous les aspects biologiques, ils avaient bien fait le rapprochement entre l’éjaculation et la naissance qui pouvait s’ensuivre ! Parler de l’éjaculation comme d’une saleté ne trouve pas d’appui dans la Bible. On le doit aux Stoïciens, et en particulière à l’un de ses plus grands porte-parole qu’est Marc Aurèle, qui fait de l’éjaculation une description charmante : « un peu de morve avec un certain spasme ! » C’est dans les Pensées pour moi-même, au livre VI. Ceci pour dire simplement que lorsque Jean-Paul II donne son enseignement sur la beauté de la sexualité, il est complètement dans le droit fil de la conception biblique et contribue à nous libérer de la pensée stoïcienne qui elle, tout en ne manquant pas de noblesse morale, est proprement castratrice ! Encore une fois, s’il y a impureté, ça n’est pas parce qu’il s’agirait d’un acte abject, mais parce qu’il s’agit d’un fluide vital qui, au même titre que le sang, fait que l’homme touche à la sphère réservée du divin. Donc dans ces moments particuliers s’il en est, il y a un mélange entre cette sphère divine et la sphère de la création ; mélange qui demande une purification avant de pouvoir faire approcher des Offrandes dans le Sanctuaire. Reste que, et c’est là tout le paradoxe : par cette part de divin inscrite dans l’acte sexuel, l’impureté qui s’ensuit révèle la GRANDEUR de l’acte conjugal puisqu’il touche au divin ! Puisqu’il le frôle dans une sorte d’extase dans laquelle le couple ne sait pas demeurer mais qui est tout de même comme tangentiel à l’éternité ! D’ailleurs ne parle-t-on pas de l’orgasme comme d’une « petite mort » ? Alors vous me direz : « Pourquoi, si c’est si grand, la ToRaH dit que c’est un acte impur ? » Sauf que la Bible ne dit pas que l’acte est impur ! Il dit qu’il y a quelque chose dans cet acte qui relève à la fois de l’ordre de la vie et de l’ordre de la mort qui sont deux mouvements contradictoires ; c’est un acte où se vivent à la fois de l’amour et de la violence, où la différenciation danse étrangement avec la fusion et où potentiellement peut mystérieusement apparaître une nouvelle vie !... Vous voyez ? Tout ça nage imperceptiblement entre l’humain et le divin ! D’ailleurs, quand on aime, quoi de mieux que le langage religieux pour traduire l’intensité de ce qu’on vit ? « Je t’adore ! » « j’ai foi en toi ! » « Je t’aimerai éternellement ! » « Avec toi c’est l’extase ! » « On vit une communion infinie ! » « Je me sacrifierai pour toi ! ». Or le Lévitique est formidable ici parce que précisément, à travers cette notion d’impureté, c’est ce frôlement de l’humaine et du divin qu’il met en évidence, non pas comme une violation de territoire mais comme un prémice d’accomplissement de l’Alliance. Et si l’homme et la femme demeurent impurs jusqu’au soir, ça n’est ni un deuil, ni une lamentation, ni rien que ce soit de triste ! C’est un temps réservé où l’un et l’autre prennent conscience de la nature exceptionnelle de l’instant qu’ils ont partagé.

Du coup, à sa manière, le Lévitique rejoint la vision prophétique qui fait de la relation conjugale une icône de la rencontre entre YHWH et son peuple ! Sauf que cette rencontre ultime vers laquelle tend la SAINTETÉ ne sera plus objet d’impureté dans la mesure où elle s’opérera sans plus de risque de confusion, sans plus de risque de mélange : dans cette rencontre, YHWH restera pleinement YHWH, l’ ‘ADâM, l’homme accompli, restera pleinement et charnellement l’ ‘ADâM, de sorte que cette rencontre nuptiale portera un fruit de vie infini et éternel ! Et ce fruit, les chrétiens en reconnaissent l’accomplissement dans la personne du Christ Jésus, le Verbe fait CHAIR en qui YHWH rencontre la nature humaine, s’unit à elle librement sans que nul des deux ne s’anéantisse en l’autre mais qu’au contraire, la nature humaine s’en trouve pleinement illuminée. C’est très mystérieux, mais vous voyez comment, à travers des considérations a priori triviales, on pointe paradoxalement le sommet du Mystère qui prépare dès Moïse et le culte qu’il instaure l’avènement du Christ Jésus et du christianisme !

Alors la suite, à partir du v. 19 jusqu’au v. 31, parle des écoulements de la femme, c’est-à-dire de ses règles. De ce point de vue, regardez comment le texte est admirablement construit : le v. 18 opère une transition absolument parfaite pour passer de l’homme à la femme en les unissant dans l’acte grandiose de leur rencontre féconde ! Et à nouveau, la suite nous est familière et ne présente plus de difficulté majeure de compréhension. Donc il va être question de 7 jours avant de retrouver la pureté, d’un huitième jour où elle pourra apporter des offrandes, etc. Mais à présent, vous connaissez les codes de lecture, donc inutile qu’on s’y attarde. Alors ceci dit, insistons, tellement la chose est malencontreusement inscrite dans notre inconscient collectif : d’un point de vue biblique, les menstruations ne sont en aucune manière des abjections ! Simplement, comme l’écoulement est sanguin — et cette fois-ci, c’est explicitement précisé —, il touche au domaine réservé de YHWH et rend donc la femme impure pour les mêmes raisons qu’on vient d’invoquer il y a quelques instants. Précisons que ce que les traductions notent comme la « souillure » renvoie en fait à l’hébreu NiDâH, qui signifie simplement la « menstruation ». Comme quoi nos traductions reflètent toujours les difficultés dans lesquelles se débat notre inconscient ! NiDâH vient du verbe NâDaD, qui signifie « fuir ». Non qu’il s’agisse de s’enfuir de la femme, mais de ses « fuites » à elle, pour ainsi dire : ses « fuites de sang ». Ce serait d’ailleurs sans doute la meilleure traduction de NiDâH.

Voilà donc pour ce ch. 15 qui paraît encore une fois bien rébarbatif quand on le lit sans clefs d’interprétation alors qu’il se révèle d’une profonde richesse quand on parvient à les décrypter. Alors avec ce ch. 15, la deuxième partie du Lévitique est presque terminée : le ch. 16 s’attardera sur le Grand Jour du Pardon qui, cette fois, prend en considération la purification de tout le peuple. Nous verrons ça la prochaine fois. Je vous remercie. 
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