05-11-2016

[Lv] 23 - Les trois peaux de l'Homme

Levitique 14:13-57 par : le père Alain Dumont
Et si l'homme n'avait pas une peau mais trois ? Et si cette manière de concevoir ce triple épiderme était une clef pour comprendre en quoi consiste être chrétien ?
Duration:15 minutes 39 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous continuons notre lecture du ch. 14. Alors on va rester encore un peu sur les Offrandes pour les manquements et pour les délits que doit présenter l’homme dont la pureté a été rétablie, à partir du v. 13.

D’abord, remarquons que l’Offrande pour les délits n’est pas offerte avec un bélier, comme ce qui est prescrit au ch. 5, mais un simple mouton. En même temps, si c’était un bélier, vu ce qui va suivre avec l’imposition du sang sur le lobe d’oreille droite, le pouce de la main droite et celui du pied droit, on aurait un rite identique à celui opéré par Moïse pour l’investiture des prêtres au ch. 8 ; donc sans doute le mouton marque-t-il une différence. En même temps, le rite d’investiture des prêtres, on l’a dit, rejaillissait sur tout le peuple, habilitant du même coup tout le peuple à faire approcher des Offrandes dont les prêtres avaient la charge de faire monter vers YHWH. Donc on est en train de nous dire qu’en éloignant durablement le malade du Sanctuaire, l’infection lui a comme soustrait son caractère sacerdotal, au point qu’il faut refaire sur lui une part… de l’investiture ! Ça va donc très loin, et plusieurs commentaires rabbiniques que j’ai consultés vont dans ce sens. Du coup, ça explique assez bien pourquoi il faut aussi de l’huile, non pas pour une onction en elle-même sacerdotale, mais pour quelque chose qui tout de même ne peut pas ne pas la rappeler !... De sorte que tous ces rites, finalement, désignent moins la gravité de la faute que la RUPTURE sacerdotale occasionnée, dans ce cas précis, par l’impureté. Le marquage sanguin sur les extrémités du corps quant à lui relie charnellement la personne à l’agneau de l’Offrande. Et puis, il y a aussi moyen de lire, à travers les deux rites similaires du sang et de l’huile, deux mouvements qui se rencontrent : le sang évoque d’une certaine manière le mouvement de l’homme vers YHWH, tandis que l’huile évoque le mouvement de YHWH vers l’homme, de sorte qu’on a là comme le signe de leur réconciliation tant attendue, prémice de la Rencontre à laquelle tend tout Fils d’Israël. Du coup, avec l’holocauste du v. 20, le malade purifié renoue avec le système des principales offrandes et avec la capacité de s’approcher de YHWH pour ainsi vivre pleinement sa vocation à l’intérieur du peuple SAINT.

Alors maintenant, en tant que chrétiens, ce rituel est-il juste obsolète ou a-t-il quelque chose à nous léguer ? Ce ne sont que des suggestions, mais pensons par exemple au Sacrement des Malades ! N’y aurait-il pas quelque rapprochement entre d’une part la purification opérée avant de s’approcher à nouveau du Sanctuaire et la confession des péchés proposée par l’Église avant de recevoir le sacrement ? D’autre part entre l’onction d’huile sur l’orteil, le pouce, le lobe d’oreille sur la tête et l’onction sur les mains et sur le front du sacrement chrétien, inspiré par la lettre de Jacques au ch. 5, v. 14 ? Tout ça pour quoi ? Pour remettre le malade dans les mains du Prêtre qui le relève de son impureté et procède pour lui aux Offrandes, dit le Lévitique, tout comme le sacrement des Malades remet le chrétien dans les mains du Christ qui le relève pour unir sa vie marquée par l’épreuve de la maladie à celle du Christ en une véritable Offrande eucharistique ; voire une ultime Offrande dans les cas où la mort se profile — d’où la communion proposée à cet instant ! Vous voyez comment le Lévitique donne un véritable relief au NT comme à la pratique de l’Église ? On n’invente rien ! La forme peut changer, certes, mais le fond s’enracine au plus profond de la ToRaH sur laquelle le Christ lui-même nous a greffés.

Alors rapidement, comme nous l’avons évoqué lors de la dernière vidéo, les v. 21 à 31 reprennent le schéma à l’identique pour le cas où l’homme serait trop pauvre pour apporter deux agneaux et une agnelle : tout comme pour l’holocauste du pauvre au ch. 1, les mêmes rites peuvent être accomplis avec des oiseaux.

Bien. À partir du v. 33, on passe à l’infection des habitations en vue de l’époque où Israël sera sur la Terre de KaNa”aN. Alors là, mine de rien, on a un passage important parce qu’il s’agit de viser désormais non plus seulement la discipline du peuple dans le désert, mais l’installation en Terre de KaNa”aN. Le thème va revenir désormais de plus en plus. La fin du verset est cependant un peu étrange : YHWH dit littéralement que lorsqu’une infection apparaîtra sur les maisons, c’est Lui, YHWH, qui en sera l’instigateur, alors que partout ailleurs, l’expression est au passif au sens où l’infection n’est pas tant le fait de YHWH que de la séparation d’avec Lui, pour une raison ou pour une autre. Ici, non seulement l’expression est à l’actif, mais de plus, elle N’EST MÊME PAS CONDITIONNELLE ! C’est-à-dire que YHWH ne dit même pas : « Si vous êtes infidèles, je frapperai… » comme on le trouve dans les traductions, mais Il dit littéralement : « Quand vous serez en terre de KaNa”aN […], je donnerai une frappe d’infection ! » (Lv 14,33) Wouaille !

Alors pourquoi YHWH frappe-t-il ? Eh bien on ne nous le dit pas parce que ça n’est pas l’objet du livre qui, depuis le début, ne travaille pas sur les causes mais sur les réhabilitations. Ceci dit, on ne peut pas s’empêcher de se poser la question. Alors voilà comment certains rabbins expliquent : d’une manière ou d’une autre, il sera inévitable que les Fils d’Israël soient affectés par les coutumes des habitants de KaNa”aN qui imprégneront jusqu’à leurs maisons ! Comme quand on dit : « Cette maison a une histoire ! » : c’est un peu la même chose ici dans la mesure où l’homme laisse toujours une empreinte dans les demeures qu’il habite, de sorte que la maison est comme sa “troisième PEAU” — la deuxième étant son vêtement ! Ah ! Tiens : d’un coup, la logique de tous ces chapitres s’éclaire : à bien y réfléchir, on n’y traite jamais d’autre chose que des affections de peaux : la première, l’épiderme ; la seconde, le vêtement ; et la troisième : la maison. Dans ce dernier cas, seul YHWH est en mesure de mettre en lumière une impureté qui ne procède pas d’un manquement de la part de celui qui habite cette maison — d’ailleurs, pas plus que pour les vêtements il ne sera question d’offrir un sacrifice — mais qui procède de L’HISTOIRE propre de cette maison.

C’est un peu dans ce même sens que les chrétiens ont l’habitude de faire bénir leur demeure : c’est assez profond tout ça : ma maison est comme ma troisième peau et j’ai besoin qu’elle soit en harmonie avec ce que je vis à l’intérieur de moi, c’est-à-dire qu’elle n’entrave pas mon désir de SAINTETÉ pour pouvoir m’approcher du Seigneur en vérité. Vous voyez ? Quand on achète une maison, il ne suffit pas de refaire l’aménagement. La maison n’est pas qu’un objet inerte. Rappelons-nous qu’en Hébreu, il n’y a pas de mot pour dire « objet » : toute chose est avant tout une « parole », DaVaR. Toute chose parle, et donc la maison parle et j’ai la main sur ce que je veux qu’elle dise ; j’ai la main sur son histoire qui est conjointe à la mienne de sorte que si l’histoire antécédente est idolâtre, eh bien je fais en sorte que ça ne perdure pas et surtout que ça n’entrave pas le chemin qui me mène vers YHWH. Alors là, je vous donne l’interprétation qui me semble la plus recevable, mais les rabbins orthodoxes en donnent d’autres, assez simplistes à nouveau, comme quoi l’infection de la maison serait le signe de l’avarice de ses membres, ou le signe de leur égoïsme, ou encore le signe de leur médisance, et j’en passe. Ceci dit, il y en a une qui est intéressante, tout à fait originale : c’est celle de Rachi, le grand commentateur Troyen de la ToRaH du XIe siècle qu’on lit dans le Talmud : l’infection serait un indice déposé par YHWH pour découvrir les trésors cachés dans les murs par les Cananéens avant l’arrivée des Fils d’Israël pour qu’ils ne les trouvent pas ! Dans le fond, pourquoi pas ? Et là, c’est peut-être avec Jean de la Fontaine qu’apparaît la clef de compréhension, grâce à la fable du laboureur et de ses enfants : le plus beau trésor, c’est de se mettre au travail ; c’est de se donner de la peine ! Ta maison a une infection ? C’est YHWH qui l’inflige pour que tu ne t’installes pas sur un fond idolâtre, et du coup, qu’il y ait ou non un trésor caché, cette infection est une bénédiction que YHWH t’accorde ! Donc oui : « J’infligerai une infection sur les maisons », dit YHWH, pour que le cas échéant, vous vous mettiez au travail et que vous bâtissiez une nation sur des fondations saines, des fondations pures ! Enfin voilà : c’est un peu laborieux je l’avoue, mais c’est parce qu’il faut bien reconnaître que le sens du texte n’est pas évident.

Bien. Alors on retrouve à partir du v. 36 le même genre de registre de purification qu’au ch. 13 à propos des vêtements, mais cette fois à propos du mobilier de la maison infectée. Observons encore une fois que l’impureté est avant tout LÉGALE : tant qu’elle n’est pas déclarée, le mobilier de la maison n’est pas infecté ; en revanche, s’il est toujours dans la maison alors que le prêtre a diagnostiqué l’infection, alors le mobilier subira le sort prescrit à tout l’édifice. Qu’est-ce que ça veut dire ? Tout simplement que si tu ne sors pas le mobilier, ça veut dire que tu reconnais qu’il appartient à l’histoire de la maison ! Si tu le sors en revanche, ça veut dire qu’il appartient à TON histoire, et donc qu’il n’entrave pas ton chemin vers YHWH. Et on voit par là que l’impureté n’est décidément pas une simple question de mal contagieux par lui-même. Tout cela concerne le sens que le Fils d’Israël veut donner à TOUTE SA VIE, jusque dans les moindres détails, jusqu’aux choses les plus matérielles qui ont toujours à nous parler de la part de YHWH. Alors après le diagnostic, suit un rite de purification sur le modèle des v. 1 à 7 ; ici, rien de nouveau si ce n’est qu’il n’y a ni bain rituel, ni sacrifice de prescrit par la suite dans la mesure où le sang, ici, n’entre pas en ligne de compte.

Alors vous me direz : en quoi est-ce que ça concerne des chrétiens ? Eh bien à travers le sens de la vigilance de tous les instants pour se maintenir sur le chemin de libération confirmé par le Christ Jésus qui Lui-même s’est inscrit dans cette tradition. Rappelons-nous : quand il guérit les lépreux, il les envoie aux prêtres pour que la guérison soit diagnostiquée (Mt 8,4). Ce qui signifie que le Christ est Celui qui purifie pour ouvrir le chemin de la SAINTETÉ, un CHEMIN qui reste encore à prendre en revêtant le Christ, comme dit saint Paul en Ga 3,27, c’est-à-dire en Le recevant comme notre seconde peau : un vêtement qui ne connaît pas d’infection et nous rend aptes à entrer dans la Maison du festin des Noces pour nous communier à l’Offrande du Christ Grand-Prêtre sur la Croix. Une maison dont nous sommes par ailleurs des pierres vivantes, une image dont on comprend à la lecture de notre chapitre qu’elle est infiniment plus qu’une simple allégorie : il s’agit de participer à l’édification d’une maison dont les pierres sont pures, c’est-à-dire que YHWH n’infectera plus dans la mesure où la pierre angulaire en est le Christ Jésus et les fondements sont les apôtres et les prophètes (Éph 2,20). Du coup, cette maison est LA Maison par excellence, c’est-à-dire le Temple de YHWH où se rassemblent enfin juifs et païens ! D’ailleurs dans le même sens, nombre d’interprétations rabbiniques de Lv 14 comprennent que la maison dont il est question dans les v. 33 à 53 n’est autre que le Temple de Salomon : à une époque où Israël ne sera plus fidèle, disent-ils, YHWH mettra l’infection sur les murs du Temple qui sera détruit en attendant le Temple que le Messie Lui-même construira et qui, lui, sera éternel… Vous voyez comment ce chapitre devient une clef pour dévoiler le sens de l’histoire, alors même que de prime abord, il semble complètement obsolète et inutile. J’espère au moins qu’on aura pu entrevoir dans cet entretien qu’il n’en est rien.

Voilà donc pour quelques éléments qui permettront, je l’espère, de lire ces lignes avec sens. La prochaine fois, nous irons encore plus profondément : il ne s’agira plus de l’infections de la peau, mais des relations sexuelles. Et là, vous imaginez bien qu’il y aura pas mal de choses encore à découvrir ! En attendant, je vous souhaite une bonne lecture de la seconde partie de ce ch. 14. Je vous remercie. 
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