05-11-2016

[Lv] 22 - Allons à la Maison de YHWH !

Levitique 14:1-32 par : le père Alain Dumont
Il ne suffit pas de diagnostiquer les infections ! Il faut aussi savoir discerner les guérisons et réintégrer les anciens malades dans le sein de la Communauté d'Israël pour pouvoir reprendre le chemin d'élévation à travers les Offrandes du Tabernacle.
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 14 du livre du Lévitique, qui répond au ch. 13. Autant le ch. 13 était un chapitre de diagnostic, autant le ch. 14 va nous parler de la réintégration des malades une fois guéris, et là encore, pas plus qu’il ne suffisait d’avoir des taches sur la peau pour être déclaré impur mais qu’il fallait le diagnostic du prêtre ; autant pour être reconnu pur à nouveau, il ne suffit pas d’être guéri : le diagnostic du prêtre est à nouveau requis, mais cette fois, son sacerdoce en tant que tel prendra une part active à cette réintégration puisqu’ayant retrouvé la pureté, l’ancien malade peut et doit à nouveau prendre part à l’offrande des Offrandes dans le Sanctuaire. Sauf que pour ça, il faut qu’il passe d’abord par un rituel de purification qui le réintègre DANS LA COMMUNAUTÉ. N’oublions jamais que personne en Israël n’offre d’Offrande en son seul nom : c’est toujours en tant que MEMBRE DU PEUPLE ÉLU qu’il est habilité à offrir, de sorte que son élévation propre est toujours, d’une manière ou d’une autre, le fruit de l’élévation de TOUTE la Communauté.

Bien. Alors : la première chose qu’on va faire, c’est repartir hors des frontières du camp. Un peu si vous voulez comme quand on célèbre un baptême : on commence symboliquement hors du bâtiment de l’église pour y entrer rituellement ; d’ailleurs on va voir que les deux rites ne sont pas complètement étrangers. Donc le prêtre se rend à l’extérieur du camp avec l’ancien malade pour diagnostiquer sa guérison potentielle. Si c’est le cas, on enclenche le rituel de réintégration que décrivent les v. 4 à 7. Alors là, c’est un rituel qui n’a rien à voir avec la discipline des offrandes. Ici, on est comme en amont : il s’agit de se purifier, de sortir de l’impureté. On aurait pu imaginer qu’un simple bain d’eau suffise, puisque la matière principale de toute purification reste l’eau. Mais non. Et là, même les rabbins avouent que le sens des éléments autour de cette eau échappe à l’entendement. On appelle ça un H.oQ, c’est-à-dire un USAGE édicté dont les raisons sont dans la logique de YHWH mais que la logique humaine ne parvient pas à élucider. Il n’y en a pas beaucoup ; le plus célèbre est le rituel de la Vache Rousse qu’on verra dans le Livre des Nombres et dans lequel on retrouve des éléments semblables à ceux qu’on rencontre ici. La tradition rapporte que Salomon, dans toute sa sagesse butait sur ces H.ouQîM, pluriel de H.oQ. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas leur attacher de sens, mais ces interprétations seront toutes aléatoires. Et à tout le moins, ces H.ouQîM obligent les fidèles à l’humilité : ils n’ont pas la main sur le sens du rite, eh bien : à la Gloire de DIEU ! Malgré tout, on obéit, et on s’aperçoit que ça porte du fruit.

Bien. Donc pour ce rite, on a besoin de deux oiseaux — sans doute pour que ce rituel reste accessible à tous, même aux plus pauvres ; rappelons-nous l’holocauste d’oiseaux de la fin du ch. 1. S’y ajoute du bois de cèdre, signe de force, mais aussi du peuple puisqu’un cèdre, normalement, pousse en forêt. Le prophète Balaam bénira Israël en lançant : « Qu’elles sont belles, tes tentes, Jacob ! Tes demeures, Israël ! Comme des cèdres auprès des eaux ! » (Nb 24,3-4) L’écarlate est ce pigment rouge abondamment utilisé pour l’édification du Sanctuaire, ce qui pourrait signifier la réintégration, la réincorporation pour ainsi dire du Fils d’Israël à l’être même du Sanctuaire. On se souvient que lorsqu’on a étudié la construction du MiShKâN, on a justement parlé de ça, c’était à propos des dons du cœur, au ch. 25 de l’Exode. L’idée est la même que lorsque saint Pierre écrit : « Avancez-vous vers [le Seigneur], la pierre vivante rejetée par les hommes mais élue, précieuse devant Dieu et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, laissez-vous bâtir en maison spirituelle pour un sacerdoce saint, en vue d’offrir des Offrandes spirituelles, agréées de Dieu par Jésus-Christ ! » (1P 2,4-5). Vous voyez ? Quand on entre, un tant soit peu, dans la lecture charnelle de l’Écriture à laquelle nous initie le Lévitique, et plus généralement la ToRaH, on ne lit plus le NT de la même manière ! Là où Pierre semble ne proposer qu’un symbole, qu’une allégorie, on s’aperçoit qu’il s’agit de tout autre chose. Pierre est totalement habité par la pensée analogique du MiShKâN qu’il transpose en Christ, mais le Christ regardé lui-même comme l’accomplissement du MiShKâN. Du coup, de la même manière qu’un Fils d’Israël se sent complètement associé à l’édification, à l’être même du MiShKâN, les chrétiens sont complètement associés à l’être même du Corps du Christ comme Temple du Dieu Vivant ! Saint Paul utilisera les mêmes ressorts dans l’épître aux Éphésiens et dans la première épître aux Corinthiens.

Alors, pour en revenir à notre texte, l’hysope à présent est la branche avec laquelle s’opèrent les aspersions, en particulier à l’occasion de la sortie d’Égypte lorsqu’il avait fallu badigeonner les linteaux des portes avec le sang de l’agneau pour que l’ange de la mort passe par-dessus les maisons des Fils d’Israël (cf. Ex 12,22). On a un peu de ça ici, de sorte que ces trois éléments associent la purification à un mémorial de libération. On les retrouvera d’ailleurs à deux autres occasions : à la fin de notre chapitre pour la purification d’une maison et dans le livre des Nombres au ch. 19 à propos du rituel de la fameuse Vache Rousse. D’autre part, toujours dans le sens de la libération, la mention de l’immolation au-dessus de l’eau vivante recueillie dans un vase d’argile pourrait bien évoquer la Mer des Roseaux traversée pour être libéré des puissances de mort, ce qui ne devrait pas surprendre des chrétiens, puisque c’est justement un des sens de l’eau baptismale. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’à travers le cèdre, le malade recouvre son identité royale ; à travers l’écarlate, son identité sacerdotale ; et à travers l’hysope son identité prophétique si tant est que le prophète est par essence celui qui convoque à la conversion et à la pureté du cœur. Prêtre, prophète et roi : voilà ce qui définit par essence un digne Fils d’Israël lorsqu’il s’avance vers le Sanctuaire pour s’élever vers YHWH ! Et ce sont les titres que confère le baptême chrétien, qui s’enracine de manière encore une fois inattendue dans les rites de purification que nous décrit le ch. 14 du Lévitique.

Toujours est-il que c’est de cet ensemble, c’est-à-dire l’eau vive imprégnée du sang de l’oiseau immolé dans laquelle on a trempé l’oiseau vivant, le cèdre, l’écarlate et l’hysope ; c’est de cet ensemble, donc, qu’on asperge sept fois l’ancien malade d’après le v. 6. C’est un rite qui rappelle le sang aspergé sur les prêtres à l’occasion de leur consécration (Ex 29,21) : encore un lien avec la dimension sacerdotale qui, rappelons-nous, n’appartient pas tant aux prêtres exclusivement qu’à tout le peuple : les prêtres sont les représentants, le signe, le sacrement d’un sacerdoce qui est celui de tout le peuple ! C’est ce que YHWH a dit à Moïse en Ex 19,6 : « Vous serez pour moi un Royaume de prêtres et une nation sainte ! » Voyez, encore une notion sur laquelle se greffe le christianisme qui décidément ne part pas de rien. S’ensuit alors l’échappée du second oiseau dans la campagne pour emporter l’infection : c’est ce que le v. 52 précisera à l’occasion de la purification des maisons infectées. Là, c’est un rite étrange dans le cadre de l’Alliance parce qu’on ne voit pas à quoi il peut se rattacher. Le seul autre épisode où l’on parle d’un lâcher d’oiseau est avec No‘aH, avec Noé, mais le rapport est trop lointain pour pouvoir en déduire quoi que ce soit. Ou alors c’est un peu comme le bouc émissaire de YoM KiPPOuR : on a deux boucs, l’un est sacrifié, l’autre, qui porte le péché du peuple, est lâché au désert comme ici pour les deux oiseaux… En y réfléchissant, ça n’est pas impossible puisqu’il est admis, par ailleurs, que des oiseaux puissent être offerts quand on n’a pas les moyens d’offrir un animal plus gros… L’idée serait alors que, vis-à-vis d’un membre du peuple à réintégrer, quelque chose du YOM KiPPOuR soit requis sans attendre le jour de la fête annuelle. Ça n’est pas impossible, et en l’occurrence, ça nous donne une attache dans le cadre de l’Alliance.

Alors avec tout ça, ça n’est pas fini. Tout ce rituel avait un but cathartique : on expulse le mal pour ainsi dire, mais il faut maintenant entrer dans la dynamique POSITIVE du processus : l’homme guéri nettoie ses habits, se rase totalement et se baigne dans l’eau vive : là, il s’agit de se préparer pour être capable de s’approcher de YHWH. Il réintègre le camp mais reste 7 jours hors de sa tente. Ces 7 jours évoquent forcément un processus de recréation, en même temps qu’un processus de réapprivoisement de cet homme par la communauté qui constate ainsi sa guérison durable. Et puis le 7e jour, rebelote : il se rase et se baigne à nouveau. Alors là, on voit bien l’importance toute particulière de l’EAU, or c’est assez nouveau. Jusqu’ici, l’eau avait surtout servi à nettoyer les offrandes, bien qu’au ch. 8, elle ait servi à purifier les PRÊTRES pour les préparer à leur institution, or on était précisément là au fondement de tous les rituels de purification par l’eau. Dans la mesure où l’objectif de cette toute première purification est d’attacher au Sanctuaire le prêtre qui ne l’était pas jusqu’alors, cette fonction de purification et d’homologation, pour ainsi dire, portée par l’eau rejaillit sur toutes les autres purifications du même genre. Dit autrement, chaque rite de purification par l’eau réinvestit la personne — et à travers elle tout le peuple — dans son être sacerdotal : les prêtres d’une part pour opérer les sacrifices, mais d’autre part, à travers eux, c’est tout le peuple qui assume la mission de s’approcher de YHWH en apportant ses offrandes. Raison pour laquelle, après son bain, l’homme guéri de son infection est prêt à officier le 8e JOUR, nous dit le v. 10, le Jour de l’Accomplissement où il peut à nouveau être cet ‘ADâM qui exprime son désir de s’approcher de YHWH par une offrande et participer ainsi pleinement aux devoirs de l’élection du peuple dans lequel il est réintégré. Et quand, beaucoup plus tard, un Jean-Baptiste convoquera à un bain d’eau dans le Jourdain en vue de la conversion, c’est de ça dont il s’agit : non pas seulement un esprit de conversion, mais une habilitation à offrir en vérité les sacrifices du Temple. Toutes les théories qui voudraient faire de Jean-Baptiste un opposant au Temple sont simplement ignorantes de cette pensée analogique qui est tellement attachée, imprégnée du Sanctuaire qu’il est juste impossible d’imaginer s’en défaire ou en défaire le peuple pour quelque motif que ce soit ! Même le Christ ne s’opposera pas au Sanctuaire : lorsqu’il dira que le nouveau Temple, c’est son Corps, c’est encore au Sanctuaire qu’il se réfère ! Enfin bref : toujours est-il que le Fils d’Israël réintégré au sein de la Communauté est tout à la joie de pouvoir à nouveau participer à la vie du Sanctuaire ! On imagine que si le Psaume 122 avait été écrit à son époque, il aurait crié : « Quelle joie quand on m’a dit : allons à la Maison de YHWH ! » (Ps 122 (121),1)

Alors à partir de là, rien ne nous est vraiment inconnu : l’homme présente deux agneaux et une agnelle — ça coûte cher, mais Dieu merci, s’il est pauvre, la législation se fera plus abordable à partir du v. 21 — et il procède à l’Offrande d’un holocauste qu’il accompagne d’une Offrande pour le manquement et d’une Offrande pour les délits comme on l’a vu au ch. 5. De ce point de vue, une chose est sûre : rien que le fait que des Offrandes soient requises à partir du v. 10 confirme que l’oiseau immolé au v. 5 ne constituait pas en soi une offrande. Ceci dit, la question se pose : pourquoi une Offrande pour les manquements et une Offrande pour les délits sont-ils requises ? Est-ce que l’holocauste n’aurait pas pu — ou n’aurait pas dû suffire ? Alors là, autant le dire tout de suite : on n’aura pas de réponse nette. Simplement, quelque chose s’est déréglé dans la vie de cet individu, et quelque part, il faut bien, dans ce système de pensée, qu’il y ait eu un “bug”… une cause légale à l’origine de l’infection. Et dans le fond, c’est ce que vous et moi cherchons spontanément quand une tuile nous tombe sur la tête et qu’on s’interroge en disant : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon DIEU ? » Eh bien là, c’est la même chose : on ne sait pas ce qu’il y a eu — et pourtant là, les rabbins orthodoxes sont intarissables pour faire correspondre à chaque infection de ce chapitre une faute morale particulière, en utilisant l’argument : « En ce temps-là, c’était comme ça… » Ça, je l’ai entendu des dizaines de fois, mais c’est un peu facile, il faut le reconnaître. En tout cas, le livre du Lévitique ne tombe pas dans ce piège et c’est sagesse, sans doute parce qu’à l’époque où il est rédigé, le livre de Job est déjà bien connu qui met en cause précisément cette facilité trop répandue qui tente d’associer chaque effet nocif à une faute légale… Alors non : le malade guéri n’est pas coupable d’une faute particulière, mais dans le doute, comme pour rétablir un lien qui s’était rompu de fait en ce qui concerne la vie du Sanctuaire, ces deux Offrandes se comprennent assez bien.

Voilà pour la première partie de ce chapitre dont je vous souhaite une bonne lecture. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie.
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