16-09-2016

[Lv] 8 - Le manquement du Grand-Prêtre et de la Communauté

Levitique 4:3-21 par : le père Alain Dumont
Selon son positionnement social, le manquement involontaire n'a pas les mêmes conséquences.
Duration:20 minutes 52 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous avons vu la dernière fois la notion de manquement, le H.éT‘ en hébreu, et nous avons dit que pour le Lévitique, ce manquement aux obligations de la ToRaH est réparable dans la mesure où il est commis involontairement. C’est donc autour de cette notion de manquement que s’organise le ch. 4 qui va hiérarchiser les affaires, non pas en fonction de la gravité du péché mais du statut de la personne qui le commet. Et là on nous dit quelque chose d’assez essentiel pour AUJOURD’HUI où on a tellement de mal à penser le peuple et ses dirigeants autrement qu’en termes de collectivité anonyme, alors qu’anthropologiquement, une société digne de ce nom se constitue comme un CORPS dont tous les membres sont interdépendants et coresponsables selon des postes clairement attribués. Alors que dans une pure collectivité, que vous soyez Président de la République ou gardien de cirque, ce qui compte, c’est que le système fonctionne en faisant en sorte que chacun sauve ses fesses, point final ! Qu’est-ce que vous voulez construire d’autre avec ça sinon une dictature totalitaire qui maintienne en place les forts tandis que les faibles seront leurs esclaves ? Or précisément, la ToRaH, elle, vise tout autre chose ! Elle vise la LIBERTÉ, et pour ça, elle met en œuvre cette fameuse pensée analogique dont on ne peut décidément pas faire l’économie pour comprendre ce qui se passe.

Je vous rappelle que penser analogiquement, c’est faire une association a priori entre des réalités qui, analytiquement parlant, n’en ont pas. C’est faire le pari par exemple que l’univers s’organise selon le modèle du corps de l’empereur de Chine, souvenez-vous ! Ou ici, c’est faire le pari que la LIBERTÉ ne peut être établie en vérité que sur une pensée dont le modèle est le MiShKâN ! Le MiShKâN comme la demeure du DIEU Libérateur, du DIEU Libre qui rend libre. Donc si l’on veut vivre de la Liberté qui rend libre, il ne faut pas seulement « venir » à la source du MiShKâN ; il ne faut pas seulement s’y abreuver ; il faut « penser » la source ; il faut qu’elle s’intériorise en moi comme le référent de TOUTE ma vie, de toutes mes actions. De la même manière que les chrétiens ne font pas que penser « au » Christ ; ils ne le prennent pas simplement en « exemple ». Un chrétien, c’est celui qui « revêt » le Christ, dit saint Paul. Nous ne pensons pas « au » Christ : nous pensons PAR le Christ. Le Christ n’est pas un exemple : il est pour nous un MODÈLE au sens fort du terme, au sens où IL NOUS MODÈLE. Dit autrement, nous ne suivons pas le Christa au nom des valeurs : l’amour n’est pas une valeur, ni la liberté, ni la fraternité ! Le Christ aime, le Christ est libre, le Christ est notre frère, et c’est le Christ en nous qui nous inspire comment aimer, comme être libre et comment vivre en fraternité. Oublions le Christ, et l’amour, la liberté comme la fraternité sont réduites à des valeurs soumises à d’autres valeurs comme le profit ou la technique, et du coup, amour, liberté et fraternité prennent un tout autre sens ! L’amour devient l’égalité — on est au niveau des valeurs, pas des émotions —, la liberté devient la licence et la fraternité devient la solidarité… Maintenant pourquoi associons-nous le Christ à la source de l’amour, de la liberté et de la fraternité ? Il n’y a pas de raison scientifique ni philosophique : ça échappe à la raison. C’est ce que veut dire Blaise Pascal quand il écrit dans les Pensées : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point »… mais il n’empêche que cette association purement analogique éclaire la raison et porte des fruits que la raison remise à son seul conseil est incapable de porter…

Si je devais prendre une image, c’est un peu comme la muse des artistes : ils pensent par elle sans s’expliquer pourquoi, et ça donne des poèmes, des tableaux ou des pièces musicales extraordinaires, d’une liberté géniale qui n’auraient jamais vu le jour sans elle. C’est ça la pensée analogique : elle INSPIRE ceux qui la reçoivent, sans qu’ils puissent expliquer scientifiquement, analytiquement pourquoi. C’est d’ailleurs par le terme d’INSPIRATION que les chrétiens parlent de l’action du Christ en eux par l’Esprit de sainteté ! Et quand on est plusieurs à revêtir le Christ, et avant lui le MiShKâN comme modèle de la pensée, ça donne un PEUPLE, et un peuple d’une solidité à toute épreuve qui devient un phare pour le monde entier ! Ça échappe encore une fois complètement à la pensée analytique qui, elle, ne sait penser que la nation administrative, mais il n’empêche : le germe est là, l’arbre plante ses racines et prépare le fruit à venir, qui sera le Messie. Grâce à ces racines, cette histoire se poursuit de millénaire en millénaire, alors même que toutes les cultures alentour qui parviendront à s’imposer se maintiendront tout au plus quelques siècles avant de toutes s’effondrer en se reniant les unes les autres. Voilà, si je vous redis tout ça, c’est d’une part pour bien comprendre l’esprit qui habite le livre du Lévitique et sans lequel on passe à côté de son rôle FONDATEUR de l’âme du peuple d’Israël. Et d’autre part pour recevoir la lumière de ce livre qui, à sa manière, éclaire ce que nous vivons aujourd’hui, ne serait-ce qu’en nous prévenant que se livrer à la seule raison raisonnante comme une déesse moderne en se séparant des racines de la vraie liberté nous conduit dans l’impasse que nous connaissons aujourd’hui. Le livre du Lévitique est une parole vivante, une parole de feu, une parole solide et efficace ! À nous de choisir de nous laisser inspirer par elle.

Alors pour en revenir au MiShKâN, je voudrais qu’on sente bien à quel point tous ces chapitres du Lévitique ne sont en aucune manière purement formels ! Ils établissent la base, le fondement d’une pensée qui aura une fécondité à nul autre pareil, puisqu’encore une fois, elle donnera au monde le Messie ! Enlevez cette pensée analogique greffée sur le MiShKâN, et vous perdez le Christ dont la pensée était Lui-même tout entière imprégné du modèle du MiShKâN ! Une pensée dont nous avons le privilège d’assister à la naissance, là, au beau milieu de la ToRaH ! Voyez, quand bien même sa rédaction est tardive, l’esprit qui l’anime, lui, remonte à Moïse, remonte au MiShKâN à travers la tradition de cette tribu vraiment exceptionnelle que sont les fils de Lévi.

Donc, parlant du manquement dans ce ch. 4, le Lévitique ne fait qu’appeler les Fils d’Israël à ne jamais quitter cette référence fondamentale, et si c’est le cas — puisque le propre du péché c’est d’éloigner précisément le Fils d’Israël du MiShKâN et de la Sainteté à laquelle il mène —, eh bien les sacrifices sont là pour réparer cette brisure. Avec cette conscience que le manquement n’a pas le même impact sur l’élévation de la communauté vers YHWH selon qu’il est commis par le Grand-Prêtre, un Chef ou un simple Fils d’Israël, ou encore que ce manquement soit le fait de tout le peuple dans son ensemble. Et là, pas question pour les magistrats de se considérer au-dessus de la loi et d’assouvir leurs vices dans le dos du peuple ! C’est devant YHWH que les choses sont jugées, et là, ça ne plaisante pas ! En même temps, c’est le seul moyen pour que le peuple ne soit pas entravé dans sa vocation ! Ceci dit, ce ne sera pas si facile à mettre en place, mais bon. L’auteur, qui écrit aux environs de l’Exil, ne le sait que trop bien !

Alors : d’abord le péché involontaire du Grand-Prêtre que le texte désigne comme « le prêtre qui a reçu l’onction », le KoHéN Ha-MaShiaH. Alors là, la législation est un peu floue, on l’a vu dans le livre de l’Exode : une fois Aaron est seul à recevoir l’onction ; une autre fois, ce sont tous les prêtres qui la reçoivent… Mais dans le Lévitique, on le verra, il n’y a que le Grand-Prêtre qui reçoit l’Onction, donc ici, le KoHéN Ha-MaShiaH est bien le Grand-Prêtre. Non que les autres prêtres ne pèchent jamais, mais quand le Grand-Prêtre pèche par inadvertance, si on se souvient de ce qu’on a dit de la relation intrinsèque qui relie le Grand-Prêtre au peuple comme en témoignent ses vêtements — rappelons-nous ses épaulettes et l’ÉPhoD qui est sur son pectoral sur lesquels sont inscrits les noms des 12 tribus — C’est au ch. 28 de l’Exode ; si on se souvient de ça, alors on comprend qu’à travers lui, c’est tout le peuple sur qui rejaillit ce manquement : il rend tout le peuple coupable, dit le v. 3. Vous voyez ? On est aux antipodes les plus absolus d’une simple notion de collectivité à administrer de l’extérieur. Et cette solidarité du corps commence par les entrailles ! Par le Grand-Prêtre qui n’est pas au-dessus des lois, mais celui au contraire sur qui ces lois s’appliquent le plus strictement !

Alors on retrouve à la fin du v. 4 la fameuse imposition des mains qui relie charnellement l’offrant à l’animal qu’il offre. Les v. 5 à 7 décrivent quant à eux un rite particulier qui consiste à porter du sang recueilli de la victime à l’intérieur du MiShKâN pour le projeter 7 fois avec le doigt en direction de l’Arche et en enduire les cornes de l’autel de l’encens, pendant que le reste du sang est versé au pied du grand autel des sacrifices. C’est très rare, parce que normalement, aucun animal, aucune partie animale ne pénètre dans le Tabernacle ! Néanmoins, on voit bien le lien établi entre les deux autels, et on est en train de nous dire que le manquement du Grand Prêtre a comme coupé ce lien ! Comme si les sacrifices du grand autel avaient perdu leur connexion avec l’autel de l’encens chargé de représenter ces sacrifices devant l’Arche ! On a vu ça à propos d’Ex 30. Quant au sang sur les cornes, c’est un rite d’expiation qui n’est normalement prévu qu’une fois par an — qui deviendra le jour de KiPPouR dans la tradition juive. Ce qui veut dire que quand le Grand Prêtre commet un manquement, fut-il involontaire, il y a urgence ! On ne peut même pas attendre KiPPouR ! Et tout ça évidemment est public, ce qui veut dire que le CoHéN Ha-MaShiaH. assume son manquement devant tout le peuple ! Encore une fois, quelle noblesse par rapport à nos petits hauts fonctionnaires qui passent par la porte dérobée avant d’enfourcher un scooter et d’aller commettre leurs forfaits et puis revenir à leur poste comme si rien ne s’était passé ! Là on voit toute l’importance d’un livre comme le Lévitique qui ne condamne pas, mais au contraire vise à la réparation, et donc assume charnellement le fait qu’un manquement au plus haut sommet doit être expié RITUELLEMENT pour que le culte puisse poursuivre sa fonction d’unification et d’élévation de la communauté autour de la figure du Grand Prêtre. Et quand on parle d’expiation, on ne parle pas de coups de fouets ni de destitution du grand Prêtre, ni encore d’une perte de pouvoirs ou je ne sais trop quelle sanction dont René Girard aurait raison de relier au bouc émissaire. Expier, c’est remettre publiquement en action le rite que le manquement de celui qui en a la charge a brisé ; ce qui veut dire que le Grand Prêtre rend des comptes au peuple ! Alors ensuite, on retrouve les mêmes prescriptions que pour le sacrifice de paix : eh oui, parce que c’est ça qu’on vise : pouvoir reprendre ce premier type de sacrifice, c’est au v. 10.

Alors regardons bien comment ça fonctionne : on a ouvert les entrailles de l’animal dont on brûle les graisses sur l’autel de l’holocauste, mais attention : ces entrailles portent le manquement, donc elles font de l’animal une victime impropre à toute consommation, jusqu’à son cuir. C’est la raison pour laquelle on le détruit à l’extérieur du Sanctuaire, comme si l’animal prenait sur lui la sentence qui menaçait le Grand Prêtre à cause de son manquement, à savoir être écarté du Sanctuaire… Et là évidemment, la tradition chrétienne verra une figure du sacrifice du Christ qui est mis à mort en dehors de Jérusalem : là, ça n’est plus un animal qui est substitué au Grand Prêtre, mais c’est le Nouveau Grand Prêtre, comme dit l’épître aux Hébreux, qui meurt, non en vertu de son propre manquement, mais en vertu du manquement de tous les hommes. Or précisément, juste après le manquement du Grand Prêtre, il va être question du manquement du peuple tout entier, parce que les deux sont intimement liés ! Si intimement lié que le rite est quasiment le même !

À partir du v. 13 donc, et jusqu’au v. 22, on nous décrit le rituel d’expiation pour le manquement du peuple, désigné explicitement comme la “éDâH, littéralement : le témoin. Ça signifie que la communauté n’existe que comme TÉMOIN DE L’ÉLECTION et de l’alliance. Il s’agit toujours un manquement par inadvertance, mais qui est venu au jour, donc qui menace l’unité de cette communauté, qui menace la vérité du témoignage qu’elle porte à la face de YHWH et des nations. Alors là, on prend un taureau plus imposant que celui du grand Prêtre : le manquement, en quelque sorte, prend de l’ampleur, et la similitude du rituel suggère que si le peuple s’est égaré involontairement, c’est à cause du manquement du CoHéN Ha-MaShiaH. ! Voyez les conséquences !

Par ailleurs, ce sont les anciens de la communauté qui viennent imposer les mains, et c’est reparti pour le rétablissement du lien entre l’autel des sacrifices et le MiShKâN avec l’aspersion du sang en direction de l’Arche et l’ondoiement des cornes de l’autel de l’encens. Parce que ce manquement de la communauté a le même poids que le manquement du Grand Prêtre, comme si on nous disait là, à la manière du rédacteur sacerdotal, que c’est tout le peuple qui est prêtre, comme l’a dit explicitement YHWH en Ex 19,6 : « Vous serez pour moi un peuple de prêtres ». Dit autrement, le Grand Prêtre représente devant YHWH le sacerdoce de tout le peuple constitué en assemblée, en communauté. Et c’est par le RITE, charnel, concret, que le manquement est réparé pour permettre aux offrandes de poursuivre leur office au nom de tous ! Alors maintenant, à quoi se réfère ce manquement par inadvertance de toute la communauté, le livre ne le dit pas explicitement, mais en fait, il y a un autre lien qui affecte le peuple : c’est le lien avec son CHEF qu’il suit comme sa figure la plus évidente, de sorte qu’à nouveau, quand le chef commet un manquement, il entraîne avec lui tout le peuple confié à son gouvernement. D’où la séquence qui s’ouvre avec le v. 22 jusqu’au v. 26 et qui concerne le manquement par inadvertance du chef, mais nous verrons ça la prochaine fois.

Percevons bien tout le travail qui est à l’œuvre ici : il s’agit toujours du programme du ch. 1 qui consiste à permettre à l’homme d’élever sa nature, de se réconcilier avec sa nature adamique pour être rendu capable de rencontrer la nature de YHWH et permettre la réalisation de l’accomplissement du projet inscrit dès le commencement dans la Création, à savoir l’union de ces deux natures, adamique et divine, dans une relation qui n’est autre, diront les prophètes, que celle des Noces. Une relation sans confusion, riche d’une éternité de VIE. Et là, des chrétiens ne peuvent pas rester insensibles au dévoilement d’un tel dessein, qui passe non pas par des exhortations morales ou idéologiques qui ne sont que le fruit de notre animalité, mais par des actes CHARNELS qui concernent non pas tant chaque individu de son côté que le peuple dans son entier, constitué en véritable COMMUNAUTÉ de vie, de sens ; tendu tout entier vers l’espérance de ces Noces ! C’est à ce vrai travail de conversion que nous convoque à sa manière, totalement charnelle, le Lévitique. Dans cette perspective, je vous souhaite une bonne lecture de cette première partie du ch. 4 du livre du Lévitique. Je vous remercie.
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