16-09-2016

[Lv] 5 - L'Offrande végétale

Levitique 2:1-16 par : le père Alain Dumont
Il n'y a pas que des offrandes sanglantes dans la Bible ! Il y a aussi des offrandes végétales qui ont bien des choses à nous dire !
Duration:15 minutes 48 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Après avoir pris le temps de sonder les enjeux inscrits dès les premiers mots du ch. 2 du livre du Lévitique, nous pouvons maintenant en reprendre la lecture suivie avec plus de profondeur de champ. Ce ch. 2 traite donc de l’Offrande d’oblation, du QâRBâN MiNH.aH., on l’a vu. Cette oblation végétale est composée nous dit-on de farine, sans qu’une céréale particulière soit désignée. D’un point de vue formel, ce don, cette MiNH.âH, peut être présentée cuite ou non cuite. Non cuite, c’est-à-dire avec la fleur de farine imbibée d’huile et accompagnée d’encens — la fleur de farine, c’est simplement la farine blanche, c’est-à-dire pure, séparée du son par tamisage. Ici, l’huile signifie essentiellement, au niveau du culte, la consécration des offrandes ; quant à l’encens, il est l’onguent universel des cultes d’Orient depuis l’Égypte jusqu’en Mésopotamie. Il intervient comme signe d’adoration. Une poignée de farine et tout l’encens sont alors brûlés sur l’autel — c’est ce que le texte appelle la ‘aZKâRâH, de la racine ZâKhaR, faire mémoire ; donc la ‘aZKâRâH, qu’on traduit habituellement par « mémorial », c’est en fait la part-témoin de l’offrande, si vous voulez , tandis que le reste revient aux prêtres.

D’autre part, l’Offrande peut être présentée cuite au four cette fois, sur une plaque dans dans un moule : même chose : une part-témoin est brûlée, l’autre revient aux prêtres dont on nous dit au v. 3 et au v. 10 que c’est un QoDèSh QâdâShîM Mé‘iShY YHWH, littéralement : un « saint des saints issu des feux de YHWH », au sens où le feu imprime à cette offrande une orientation vers YHWH. Il la fait devenir le signe charnel, le SACREMENT de ce mouvement. Voyez encore comment la racine de ce que vivent les chrétiens est plantée dans l’AT : le QoDèSh QâdâShîM, le « saint des saints », c’est le SACREMENT, c’est-à-dire le SIGNE CHARNEL, visible, d’une RÉALITÉ INVISIBLE qui est l’élévation vers YHWH de la vitalité de la Terre à laquelle est associée la NèPhèSh de l’offrant. Toujours est-il qu’une fois marquée, l’Offrande ne sort plus de l’enceinte du Sanctuaire : la part non brûlée devient réservée à ceux-là seuls qui y ont accès, à savoir les prêtres. Comprenons-bien que si l’offrande sortait de l’enceinte du MiShKâN, ce serait comme si le QâRBâN n’avait pas été un don véritable ; comme si le don revenait au donateur et alors où serait l’offrande ? Où serait son association au mouvement d’élévation du QâRBâN ? C’est vraiment ce mouvement qui est essentiel dans les offrandes lévitiques. Il ne s’agit jamais de “faire descendre” YHWH puisqu’Il est là : le SACREMENT de la présence de YHWH, c’est le MiShKâN, le Saint des Saints du MiShKâN ! En revanche, sur la convocation de JaShèM, il s’agit pour le peuple d’Israël de s’élever vers Lui et d’inscrire dans cette ascension la Création. Bien.

Alors maintenant, cette MiNH.âH cuite devait être non fermentée, précise le texte. Ça, ça nous rappelle le Azyme, la MaTsaH confectionnée à l’occasion de la Pâque et qu’on mange exclusivement pendant la semaine qui suit. Ce qui signifie que la Pâque est comme prolongée toute l’année par ces oblations végétales cuites sans ferment, de sorte que quelque part, le peuple garde toute l’année à l’esprit qu’il ne CESSE JAMAIS de sortir d’Égypte… même arrivé sur la Terre. Dit autrement, cette Terre ne peut être reçue que par celui qui sort d’Égypte chaque jour ! C’est une manière de garder en mémoire que cette Terre reste par essence, par nature, une PROMESSE. Quand bien même on vit dessus, elle n’est jamais un acquis. Parce que le danger de l’acquis, c’est qu’on s’endorme dessus et qu’on commence à faire n’importe quoi sous prétexte qu’on croit le posséder sans risque de le perdre... Cette MaTsaH du QâRBâN signifie le lien indéfectible entre le culte lévitique et la Sortie d’Égypte et elle impose, dans les faits, une démarche d’HUMILITÉ : la Terre sur laquelle réside le peuple et dont il offre les fruits n’est pas à lui ! Israël n’est pas riche de cette Terre au sens où il la posséderait ! Et pour le pas l’oublier, il va donc apporter cette offrande de PAUVRE, à savoir une offrande que TOUS peuvent apporter ! Apporter un animal, c’est dans le fond une offrande de riche ; en revanche, apporter une offrande végétale, c’est effacer toute distinction entre riche et pauvre. Donc cette offrande végétale est ce par quoi le peuple d’Israël en son entier se présente devant YHWH comme PAUVRE. Le peuple ne possède pas la Terre qui reste et restera toujours PROMISE ! PROMISE à qui restera fidèle à l’Alliance, fidèle à ce mouvement d’élévation vers la SAINTETÉ dont le culte est le garant. Ce qui ne veut pas dire au demeurant que la Terre n’a pas été donnée, mais elle a été donnée comme un CADEAU ! Rappelons-nous ce que nous avons déjà dit à propos du cadeau : un cadeau ne m’appartient pas au sens où je pourrais en disposer comme un bien que j’aurais acheté. Parce que si celui qui m’a offert le cadeau me surprend en train de le revendre dans une brocante par exemple, quelque chose se brisera dans notre relation. Ce qui veut bien dire que le cadeau est à moi, certes, mais il y a dans ce cadeau plus que la simple possession : il y a le DON qui le caractérise en propre, et qui fait que la manière dont j’utilise ce cadeau met toujours en jeu la qualité du lien qui m’attache à celui qui me l’a donné. Eh bien avec l’Offrande végétale, c’est exactement ce qui est signifié. Celui qui l’apporte se reconnaît avant tout comme un PAUVRE qui a reçu la Terre comme un cadeau de libération. Cette offrande est prescrite à tout Fils d’Israël, parce que TOUS sont ces PAUVRES que YHWH a libérés de l’esclavage en Égypte pour sauvegarder leur NèPhèSh sans laquelle l’existence n’est juste pas possible ! Et c’est là quelque chose de vraiment important : on oublie trop souvent que tout part de cette vitalité à laquelle on est tellement habitué qu’on oublie qu’elle est un DON : on croit la posséder de droit et on imagine qu’on peut en faire ce qu’on veut ! Terrible méprise qui est à la source de ce que la Bible appelle le PÉCHÉ ! Le péché, c’est un DÉTOURNEMENT DU DON qu’on transforme en ACQUIS. En définitive, c’est du VOL ! Donc à travers le QâRBâN MiNH.âH, tous les Fils d’Israël sont placés à la même enseigne : riches ou pauvres, ils sont convoqués à faire approcher de YHWH cette vitalité qui coule en eux ; cette NèPhèSh qu’ils partagent avec la terre et qu’ils élèvent jusque vers YHWH, conscients du CADEAU que constitue cette NèPhèSh et qu’ils reçoivent de la Délivrance de l’esclavage en Égypte.

Ça va donc très loin, cette affaire ! Alors le texte associe le miel au ferment dont il faut préserver l’offrande végétale dans la mesure où le miel servait à activer précisément la fermentation, qu’il s’agisse du miel de ruche ou, plus vraisemblablement, du miel de dattes. Il y a peut-être aussi là une séparation d’avec les cultes traditionnels du Moyen-Orient : on sait que des pains sans levain étaient offerts aux divinités, mais qu’on les imbibait précisément de miel avant d’en jeter une part dans le feu. Ce sont des rituels anciens, qui remontent à 3000 ans avant J.-C., mais on sait aussi que ce sont des rituels stables qui ont perduré très tardivement. Ceci dit, pour résumer, l’offrande végétale n’est pas un remerciement pour les fruits de la terre, comme dans le culte de Baal ; encore moins un culte pour soi-disant nourrir la divinité. Il s’agit d’un acte HUMBLE qui inscrit le Fils d’Israël dans la conscience qu’il doit sa vitalité à YHWH qui l’a sauvé de l’esclavage de l’Égypte ; une vitalité qu’il est convoqué à inscrire dans une perpétuelle ascension dans laquelle il entraîne la vitalité de la Terre qu’il a reçue en héritage.

Alors restent quelques prescriptions, comme celle du BeRiTh MèLaH., l’Alliance de sel — à ne pas confondre avec la BeRiT MiLaH, qui est l’alliance par la circoncision ! « L’Alliance de sel » est une expression rare, qu’on ne trouve qu’ici, plus une fois dans le livre des Nombres (Nb 18,19) et une autre fois dans le second livre des Chroniques à propos de l’alliance de sel que YHWH a tranchée avec David (2Ch 13,5). Il semble par ailleurs que le sel soit aussi requis pour les holocaustes : on trouve ça en Ézéchiel 43 au v. 24. Pour le dire rapidement, le sel, au Moyen-Orient, encore aujourd’hui, est le signe de L’ATTACHEMENT sans retour. Deux  amis expriment leur amitié en disant qu’ils « partagent le sel », et à l’inverse, servir un plat sans sel à un hôte, c’est lui signifier qu’il est un ennemi ! Là, pas besoin de discours : c’est du CHARNEL à l’état pur ! Par exemple, quand plus tard les ennemis des juifs de retour d’Exil voudront empêcher la reconstruction de Jérusalem, ils libelleront une lettre à l’empereur Xerxès en écrivant : « C’est parce que nous mangeons le sel du palais que nous t’informons ! » (Esd 4,14), autrement dit : « C’est parce que nous sommes tes amis ». Par ailleurs, cette alliance de sel est une alliance SANS RETOUR : une fois que vous avez salé un plat, il le reste ! Et c’est sans doute ce qu’il faut entendre lorsque Jésus dit à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre ! » (Mt 5,13) : vous êtes ceux par qui YHWH scelle une Alliance sans retour avec la terre d’Israël, d’abord, et par elle avec la terre tout entière. Ailleurs, il dit encore : « C’est une bonne chose que le sel ; mais s’il cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre sa saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes, et vivez en paix entre vous. » (Mc 9,50) Dit autrement, soyez AMIS avec tous ! Donc le sel est un signe d’amitié, un signe de paix. Donc pour en revenir au QâRBâN, l’inscrire dans une alliance de sel lui confère une dimension toute positive ! Le QâRBâN n’est aucunement un acte de sujétion vis-à-vis d’une divinité qu’on voudrait amadouer avec du miel, avec des douceurs ! Le QâRBâN est le signe d’une ALLIANCE sans retour de YHWH avec le peuple dont il fait son AMI.

Le ch. 2 se termine par une dernière forme d’offrande végétale, à savoir les prémices de la moisson. On avait déjà rencontré cette prescription dans le livre de l’Exode aux ch. 23 et 34. Le sens de cette dernière offrande est que dans le rapport à la terre, il y a aussi le rapport au TEMPS qui lui aussi doit être pris dans le mouvement ascensionnel du QâRBâN MiNH.âH. Ici, on n’attend pas : il ne s’agit plus d’un produit transformé mais du fruit brut qu’on fait immédiatement passer au feu. Éventuellement on peut moudre grossièrement, mais pas plus ; ce qui importe, c’est que soient offertes les prémices sans attendre, alors que tout au long de l’année, ce qu’on apporte, c’est la fleur de farine ou des galettes cuites sans levain, c’est-à-dire des produits travaillés.

Enfin voilà pour ce ch. 2 dont on retient donc le mouvement d’élévation dans lequel l’Offrant s’inscrit en entraînant avec lui la Terre reçue en héritage, et à travers elle, toute la terre. Non pas comme une pure idée, mais à travers un acte cultuel concret, qui signe charnellement qu’on est en paix avec YHWH tant qu’on est fidèle à son Alliance. Et voyez, je reviens sur l’idée de l’hostie eucharistique : ce QâRBâN MiNH.âH. se retrouve dans la pratique de l’Église latine qui aime utiliser le pain azyme, la MaTsaH pour la communion. Par la tradition de l’hostie non levée, il me semble que le rite latin choisit de signifier qu’il s’enracine CHARNELLEMENT dans ce mouvement ascensionnel qui s’accomplit en Christ, certes, mais qui commence là, dès la mise en place QâRBâN MiNH.aH.

Je laisse ça à votre méditation. Prenez le temps de relire ce ch. pour entrer charnellement dans ce mouvement, puisque quand bien même en tant que chrétiens nous n’avons pas à mettre en place ce rituel, c’est tout de même, je viens de l’évoquer, sur ce sacrement d’offrande végétale que se greffe la pratique eucharistique qui nous revient. Nous ouvrirons le ch. 3 la prochaine fois. Je vous remercie. 
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