16-09-2016

[Lv] 0 - Avant de commencer la lecture du Lévitique

par : le père Alain Dumont
Quelques mots sur le titre du livre, son objectif et son style très particulier d'écriture.
Duration:19 minutes 54 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Après avoir lu aussi attentivement que possible le livre de l’Exode qui est vraiment LE FONDEMENT de toute la Bible — on ne cessera pas désormais de s’y référer partout comme étant L’EXPÉRIENCE PRIMORDIALE par excellence. Après, donc, avoir lu d’aussi près que possible à notre niveau le livre de l’Exode, il nous faut ouvrir à présent le troisième livre de la ToRaH, à savoir le LÉVITIQUE, un livre entièrement méconnu des chrétiens, alors même qu’il est d’une importance capitale pour comprendre le Nouveau Testament, son contexte, ses allusions, et évidemment la vie du Christ Jésus ! Ceci dit, s’il est si méconnu, c’est qu’il y a aussi des raisons, et avant d’en attaquer la lecture, il m’a semblé important de faire une introduction globale à l’ensemble de ces pages qui nous plongent dans un univers formellement assez déroutant, certes, mais par ailleurs absolument passionnant.

1. Le titre

Attardons-nous d’abord au TITRE du livre dans nos bibles chrétiennes : Le LÉVITIQUE. Ce nom vient de la traduction grecque des Septante : Levitikon (sous-entendu : Biblion to Leuitikon, Livre du Lévitique). Ce titre a été retranscrit tel quel par la Vulgate, c’est-à-dire la traduction latine à laquelle a présidé saint Jérôme, et c’est donc comme ça que ce titre s’est imposé. Nos frères Juifs le désignent par son premier mot hébreu : Wayyiqrâ', « Et il convoqua », sous entendu : « Et YHWH convoqua », au moins dans une première approche, on y reviendra. Ceci dit, dans le même sens que Lévitique, ils appellent aussi ce livre : ToRaH QoHaNîM, la Loi des prêtres.

2. l’objectif du livre

Si maintenant on analyse sommairement le Lévitique, on s’aperçoit vite qu’on a quitté le mode du RÉCIT. Ce livre se compose majoritairement de TEXTES LÉGISLATIFS dont le but est de régler LE CULTE, et autour de lui toute l’éthique et la vie sociale des Fils d'Israël. Ceci dit, on sait tout de même qu’on est toujours au Mont HoRèV. C’est donc là que le peuple, avant de prendre résolument la route vers KaNa“aN, reçoit la législation dont la tribu de Lévi va être la gardienne. Mais quelque part, on a, à travers toutes ces pages, BIEN PLUS qu’une législation : c’est un mode de vie, c’est une identité qu’on se donne, une identité CHARNELLE qui touche aux tripes de ce peuple. Il ne s’agit pas seulement d’une loi extérieure, comme le code de droit civil ou même le droit privé qui restent l’un comme l’autre purement conventionnels. Le Lévitique va infiniment plus loin : il fonde l’âme CHARNELLE du peuple des Fils d’Israël, en sorte que chaque comportement, du plus cultuel au plus social, reçoit un SENS : le sens de la SAINTETÉ qui attache à YHWH qui est LE DIEU SAINT. Ou plus exactement : c’est la SAINTETÉ DE YHWH qui requiert de la part du Fils d’Israël un comportement par lequel il va lui-même apprendre à être SAINT, c’est-à-dire À PART des autres nations. Et pour ça, il va devoir apprendre à obéir, non pas superficiellement, mais LIBREMENT, CONSCIEMMENT aux commandements de VIE qui jalonnent tous ces chapitres. Je vous le dirai plusieurs fois : SAINTETÉ rime avec LIBERTÉ, comme un travail sur soi, une exigence terrible qui est le lot de l’élection. Cette SAINTETÉ n’est décidément pas un privilège prétentieux par lequel les Fils d’Israël se positionneraient comme au-dessus des nations : c’est une CHARGE, c’est un JOUG difficile à porter AU NOM DES NATIONS à qui Israël a la lourde mission de RÉVÉLER LE NOM DE YHWH pour leur ouvrir à leur tour le chemin de la LIBERTÉ ! Une liberté qui n’a rien à voir avec celle de la Révolution française qui n’a jamais été qu’une compétition de privilèges ! Rien à voir avec la LIBERTÉ promue par la SAINTETÉ de l’univers LÉVITIQUE ! Cette LIBERTÉ consiste à veiller chaque JOUR, chaque HEURE, chaque MINUTE que DIEU fait à ne JAMAIS SE SÉPARER de YHWH. Et comment ne pas se séparer de YHWH ? Et bien d’abord en en Le reconnaissant comme ROI dont les prêtres seront les serviteurs — le Grand Prêtre, dans le Lévitique, n’a aucun rôle politique — et en coupant absolument avec des pratiques idolâtres des nations comme la magie, le culte des morts et j’en passe. Mais plus POSITIVEMENT : on s’attache à YHWH en mettant en place des règles rituelles précises qui travaillent toutes dans le sens de cet attachement. Surtout ne pas se détacher de Lui, parce qu’Il n’est rien de moins que la SOURCE et le TERME DE LA VIE. Non pas seulement la vie biologique, mais une vie en tant qu’elle est pleine de potentiels, pleine de richesses, pleine de SENS que l’homme ne sait pas découvrir sans YHWH. On verra ça tout au long de la lecture.

3. La Structure du Livre et son écriture

Alors maintenant, au niveau plus formel de sa structure, ce livre se divise en divers recueils législatifs dans lesquels les textes ont été groupés par identité de sujet. On reconnaît habituellement au Lévitique quatre sections principales : le RITUEL DES SACRIFICES (ch. 1 à 7) ; L’INVESTITURE DES PRÊTRES (ch. 8 à 10) ; la LOI DE PURETÉ (ch. 11 à 16) ; la LOI DE SAINTETÉ (ch. 17 à 26) ; le tout suivi d’un appendice au ch. 27.

Ceci dit, avant de voir le contenu propre de chaque partie, il est important de réfléchir sur la manière dont le livre est écrit. Par exemple on va parler d’animaux immolés ; or immoler, c’est tuer, c’est découper ces animaux et se débarrasser de leur sang en en aspergeant 7 fois l’autel, en le versant à sa base avant d’en barbouiller ses cornes. On va trouver des descriptions de maladies de peau qui soulèvent le cœur ! Quant aux péchés, ils sont clairement classés, déterminés et leurs sanctions plutôt énergiques… Et quand bien même le style hiératique adoucit un peu l’effet macabre en donnant à tous ces textes un aspect hors du temps, c’est sûr que le Lévitique n’est pas un livre pour les délicats. Pourtant, c’est le premier livre qu’on va donner à lire aux enfants juifs ! Alors ? Qu’est-ce qui, dans ce livre, a de quoi séduire de jeunes esprits ? Eh bien d’une certaine manière, ce livre fonctionne comme un RITE INITIATIQUE : ça passe ou ça casse ! Si ça passe, on va le vénérer toute sa vie comme un livre essentiel de la ToRaH ; si ça casse, on est découragé à vie ! Pourquoi ? Parce que ce livre est d’abord CHARNEL avant d’être rationnel… ça ne veut pas dire que le Lévitique n’a rien de rationnel, mais qu’avant d’en saisir la rationalité, il faut d’abord accepter de passer par l’ÉPREUVE de la lecture brute, en quelque sorte. Et ça, en Occident, on n’a pas l’habitude.

Alors je vais essayer de faire simple. La logique occidentale, notre logique de pensée qui est en fait la logique de la pensée grecque antique, est basée sur les rapports de cause à effets, les conséquences logiques, les relations entre les parties et le tout comme on dit de telle sorte que peu à peu se dégagent des NORMES. Voilà : l’Occidental est rassuré quand il a pu dégager des NORMES, des lois générales. Sauf que le Lévitique ne pense pas du tout comme ça ! Il procède par ANALOGIES, par associations d’idées ! Dit autrement, il met en place tout un faisceau d’images, de concepts, d’expériences qui, mis ensemble, donnent du sens mais sans lien de causalité entre eux. Un peu comme pour la « Grande Ourse » dans le ciel. Indépendamment de toutes les mythologies antiques, elle nous fait penser à un chariot ou à une casserole… Eh bien voilà : ça, c’est une ASSOCIATION ANALOGIQUE qui tente de mettre du sens à quelque chose qui, d’un point de vue de l’ANALYSE, de la CAUSALITÉ PHYSIQUE, n’en a pas puisque dans la Grande Ourse, on a des étoiles séparées d’une centaine d’années-lumière chacune. Autre exemple : quand Empédocle, un philosophe de la Grèce antique, nous dit que les 4 éléments fondamentaux qui composent l’univers sont l’eau, l’air, le feu, la terre, cette vision est battue en brèche par l’analyse rationnelle, parce qu’Empédocle réfléchit par ASSOCIATION ANALOGIQUE. Associaltion analogique qu’on va par ailleurs retrouver aussi dans la ToRaH comme dans le Talmud et dans la Kabbale.

Alors paresseusement on dit que c’est faux, mais non ! C’est simplement un système de compréhension du monde, sur le mode analogique ; et un mode qui porte ses fruits ! Pas les mêmes que les sciences dites modernes, quoi que… parce que cette vision du monde est loin d’être absurde ! Je vais vous prendre un autre exemple qui est absolument stupéfiant : En 2004, un anthropologue britannique, Sir Geoffrey Lloyd, a publié une comparaison entre les tenants et les aboutissants de la science grecque du IVe siècle avant J.-C. et ceux de la science chinoise à la même époque. Ça s’appelle Ancient Worlds, Modern Reflexions, Perspectives philosophiques sur les sciences grecque et chinoise et c’est publié, en anglais évidemment, aux très sérieuses Presses Universitaires d’Oxford. Et Sir Geoffrey Lloyd de mettre en évidence à quel point la culture grecque ne travaille QUE par raisonnement instrumental, causal, tandis que la culture chinoise, elle, ne réfléchit QUE par ASSOCIATION ANALOGIQUE. Alors pour résumer l’idée, au IVe siècle avant J.-C., dans la vision chinoise du cosmos, toutes les analogies et toutes les classifications ont été organisées dans un système hiérarchique de l’univers ordonné sur le modèle du corps de l’empereur conçu comme l’archétype de tous les systèmes de l’univers. Alors de notre point de vue analytique, le cosmos et le corps de l’empereur de Chine n’ont absolument rien à voir ! Seulement voilà : par analogie de l’un à l’autre, on va comprendre le soleil et les planètes, les saisons, la musique, l’architecture, la médecine, que sais-je…  tout ce qui existe ! Tout ça va être systémisé à partir du modèle du corps de l’empereur… Et nous, forcément, on se dit, en bons Occidentaux orgueilleux de la science promue par le siècle des Lumières : une pensée comme ça ne peut pas aller bien loin… Eh bien détrompons-nous ! Cette pensée chinoise a été fantastiquement prolifique en termes de physique et de mathématiques ! C’est à cette époque et à l’intérieur de ce système de pensée analogique qu’on a inventé en Chine des systèmes d’horlogerie, de pompes, et même des sismographes capables de déceler des séismes à des milliers de km pour pouvoir envoyer des secours jusqu’à l’autre extrémité de l’empire… Il faudra attendre plus de deux millénaires pour découvrir un instrument similaire en Occident par l’analyse logique ! C’est juste impressionnant : vu les réalisations, on ne peut absolument pas dire que ce soit un type primitif de pensée ! La culture chinoise antique est la preuve que la pensée analogique peut être d’une redoutable efficacité en termes de technique, en avance de plusieurs millénaires sur la logique discursive ! Simplement en rapprochant des éléments qui, rationnellement, n’ont strictement rien à voir, mais qu’on peut associer pourtant quand on est dans un système de pensée analogique basé sur le modèle improbable du corps de l’empereur de Chine !!! Il ne faut même pas aller non plus aller chercher du côté de l’empirisme au sens où ces rapprochements analogiques seraient le fruit d’expériences similaires dont on déduirait les lois par association logique, non non ! Les associations analogiques sont d’un ordre complètement différent ! On est quasiment sur une autre planète ! La pensée analogique est un vrai défi à la pensée rationnelle. Or le Lévitique procède par pensée analogique…

Ça ne veut pas dire que de grands auteurs n’ont pas essayé de rendre ce livre rationnel, ne serait-ce que pour l’expliquer à leurs contemporains occidentaux : on pense à Philon d’Alexandrie à l’époque du Christ ou à Maïmonide au XIIe siècle après J.-C., mais dans cet exercice, ils laissent tous les deux comme un goût de pas assez… en tout cas, les rabbins sont toujours prompts à discuter leurs thèses. Qu’est-ce que vous voulez, traduire la pensée analogique en pensée discursive, c’est comme vouloir faire passer un cube dans un rond dont le diamètre est égal aux côtés du cube ! En termes savants, ça s’appelle la quadrature du cercle !

Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? Parce que si on essaye d’analyser le livre du Lévitique, c’est-à-dire de chercher les rapports de causalité d’un concept à l’autre, d’un commandement à l’autre, la logique du livre va juste se dérober. Dit autrement : quand le livre donne un commandement, il ne l’explique pas : il va l’associer analogiquement à un commandement similaire, puis à un autre, puis à un autre, etc., et ces commandements ne seront liés QUE par le contexte dans lequel ils se trouvent. Parfois, les analogies sont hiérarchisées pour former des ensembles distinctifs ; d’autre fois, elles fonctionnent par paires opposées, mais quoi qu’il en soit, si on pose la question : « Pourquoi cette règle ? », la seule réponse qu’on aura sera une autre règle avec laquelle le livre établit un rapport de conformité, et c’est tout ! Avec ça débrouille-toi ! Ou plus exactement : fais l’expérience de ces analogies ; fais leur confiance et tu verras qu’elles t’ouvriront les portes de la Vie. Vis-les pour les comprendre et n’attends pas de les comprendre pour les vivre, sans quoi tu resteras juste sur la touche.

Enfin bref. En tous les cas, ça explique pourquoi ce livre du Lévitique est tellement difficile à lire pour nous. Il paraît abstrait, hautain, impersonnel, sentencieux, arbitraire… parce qu’on ne trouve pas de logique discursive qui puisse couvrir cet ensemble. Il n’y a même pas tellement de commandements impératifs ! On a beaucoup plus des propositions formulées en « On fera ceci, on fera cela… » comme si cette logique était évidente à l’intérieur d’un système dont la base est tout bonnement l’autorité souveraine de YHWH, dont la clef, un peu comme pour le corps de l’empereur de Chine, est inscrite pour la ToRaH dans le modèle du MiShKâN, dans le modèle du Sanctuaire ! Dans le fond, toute la première partie nous fait entrer dans le premier parvis, jusqu’au ch. 16. Puis à partir du ch. 17, la loi de sainteté, on entre dans le MiShKâN, dans le Tabernacle pour arriver aux bénédictions promises à ceux qui s’attachent à YHWH, et là, on est carrément dans le Saint des Saints. Mais avant d’y arriver, il aura fallu se laisser initier par toutes les pratiques décrites dans un livre qui, très paradoxalement, va nous entraîner sur le chemin de la LIBERTÉ. C’est un très bon exercice, parce que c’est un exercice CHARNEL avant d’être un exercice seulement intellectuel.

Voilà. Alors il y aurait beaucoup d’autres choses à dire en introduction, vous pouvez aller lire ce que vous en dit votre bible, mais en ce qui me concerne si je vous dis tout ça, c’est pour envisager avec bienveillance le contexte de ce livre et se préparer sans a priori négatif à recevoir ce qu’il veut nous offrir. Ça ne veut pas dire que la lecture soit facile, mais au moins, ça nous met dans un CADRE, franchement dépaysant certes, mais qu’il faut aborder avec une grande disponibilité d’esprit pour se mettre à l’écoute de ce système et se laisser conduire sur le chemin de vie qu’il dessine. Sans oublier que Jésus, Lui, était complètement plongé dans ce système de pensée ! D’où parfois le désarroi dans lequel nous jettent certains de ses propos mais que le Lévitique va nous permettre de mieux entendre.

Je vous laisse donc avec toutes ces considérations préliminaires et la prochaine fois, nous ouvrirons ce livre grandiose ! Je vous remercie. 
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