10-05-2016

[Ex] 78. Construire le Sanctuaire

Exode 35-40 par : le père Alain Dumont
Avant de reprendre la route, il s'agit à présent de construire le Sanctuaire de toile qui accompagnera les Fils d'Israël dans leur marche. Mais attention ! Le Sanctuaire n'est pas premier dans le culte d'Israël. Le ShaBaT le devance et le Sanctuaire n'est donné que pour conduire au ShaBaT.
Transcription du texte de la vidéo :
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui pas moins de 6 chapitres d’un coup… dans la mesure où, vous allez le voir, les ch. 35 à 40 reprennent quasiment mot pour mot les ch. 25 à 31, avec néanmoins quelques de détails en plus, pour raconter cette fois l’érection concrète du MiShKâN, du Tabernacle et la confection des vêtements des prêtres, et en particulier bien sûr celui du Grand-Prêtre. Les ch. 25 à 31 n’étaient adressés qu’à Moïse sur la Montagne ; cette fois, on va mettre à exécution les instructions. On va, littéralement, « faire les paroles que YHWH a commandées », au v. 1 du ch. 35, pour respecter l’engagement pris en Ex 24,3 : « Toutes les paroles qu’a dites YHWH, nous les ferons ! ». Alors c’est sûr qu’entre les deux, il y a eu un faux départ dirons-nous, avec le Taurillon d’Or, mais son se reprend, et on fait vraiment à présent  selon les commandements de YHWH auxquels on a promis d’être fidèles, et c’est donc de la construction du MiShKâN qu’il s’agit.

Or, de manière tout à fait surprenante, voilà que le ch. 35 s’ouvre avant toute chose sur le rappel du ShaBaT. Pour l’instant, on n’a pas tellement parlé du ShaBaT ! Le peuple n’en a pour l’instant entendu parler qu’une seule fois, au ch. 20 dans le Décalogue ; il en est ensuite question au ch. 31, mais YHWH parle à Moïse seul en lui disant : « SURTOUT, vous observerez mes ShaBaT, car c’est un SIGNE entre Moi et vous pour toutes vos générations afin qu’on sache que JE SUIS YHWH qui vous sanctifie ». Donc que fait Moïse ? Eh bien il commence là où YHWH a terminé avec insistance, parce qu’il n’en va rien de moins que de la sanctification du peuple ! Encore une fois, je vous rappelle que sanctifier le peuple, c’est le mettre À PART pour faire de lui un SIGNE, OTh, l’Alpha et l’Oméga, une lumière INTÉGRALE pour les nations. Or cette sanctification va s’opérer à travers le ShaBaT AVANT TOUT ! C’est donc sur cette note essentielle que Moïse lance les travaux du sanctuaire, parce qu’il ne faudrait pas croire que le sanctuaire sanctifie par sa propre vertu ! Si c’était le cas, quelle différence y aurait-il avec les sanctuaires de l’Égypte ? En Égypte, le CULTE accompli dans les Temple est premier, mais ce qui est premier pour Israël, c’est le ShaBaT ! Rappelons-nous le Décalogue qui l’inscrivait comme son sommet. Venir se prosterner devant l’Arche et offrir les sacrifices sans mettre en œuvre le Décalogue, c’est tout simplement vider l’Arche de son contenu ! C’est se prosterner devant une boîte vide, puisque les Tables d’attestation gardent le Décalogue inscrit dans la pierre, certes, mais ce qui lui confère sa matérialité concrète, c’est son observance !... Là encore, grande différence avec l’Égypte : ça n’est pas parce qu’il est inscrit dans la pierre que le Décalogue est saint, mais parce qu’on le met en pratique ! Dit autrement, SEUL le ShaBaT est le SIGNE de l’élection, ce qu’on ne dira jamais du Sanctuaire dans la Bible. Alors maintenant, ça ne veut pas dire non plus que le Sanctuaire est secondaire. Il est peut-être second par rapport au ShaBaT, mais ça n’en fait pas pour autant un accessoire, parce que le but du Sanctuaire, c’est de PRÉSERVER l’accès au ShaBaT. Par les sacrifices, le Sanctuaire répare les fractures, il réduit les écarts induits par le péché ; et puis, plus positivement, il rassemble le peuple dans un même acte de reconnaissance vis-à-vis de YHWH, mais jamais il n’occulte les paroles de YHWH : il y renvoie toujours, parce que sans ça, il est vain... Donc pour résumer : ÇA N’EST PAS LE SANCTUAIRE QUI SANCTIFIE, mais c’est YHWH à l’écoute de qui on se met à l’occasion du ShaBaT. C’est vraiment primordial, parce que ça nous explique pourquoi, même éloigné du Sanctuaire, en diaspora ; même une fois le second Temple détruit totalement par les Romains, les Fils d’Israël garderont malgré tout l’essentiel, à savoir le ShaBaT auquel le cœur de tout sacrifice, à savoir le sacrifice de louange, est appelé à conduire, sauf encore une fois à devenir vain.

Bien. On remarque aussi que Moïse ne motive pas ici le ShaBaT sur le modèle de la Création ! Il le pose comme le fondement des fondements, point final. L’idée centrale, c’est que ce jour-là, les Fils d’Israël CESSENT de travailler. Alors je vous renvoie ici à la vidéo intitulée « Du ShaBaT au Dimanche » pour entrer plus avant dans ce que représente le ShaBaT, qui, je vous le répète, n’est pas tant un jour de “repos” qu’un jour où l’on va s’affranchir du labeur. Ce qui veut dire que le ShaBaT est un jour de LIBÉRATION ! Et c’est en ce sens qu’il est la MARQUE sainte du peuple élu, élu pour célébrer la LIBERTÉ au sein des nations qui, elles, ne fonctionnent que sous le joug de l’esclavage laborieux. Et c’est valable jusqu’à aujourd’hui : la preuve, c’est qu’à une époque où l’argent est roi, un jour où l’on ne fait pas travailler cet argent devient un jour à abattre ! La chose est tellement grave que Moïse ne plaisante pas ! Il ajoute : « Qui travaillera en ce jour sera mis à mort ! » Alors on pourrait se révolter face à une telle tyrannie apparente, sauf qu’en réalité, cette mise à mort n’est jamais, à bien y réfléchir, que la sentence du chemin de mort qu’emprunte tout homme qui refuse de voir dans le commandement du ShaBaT la VIE qu’il contient. Le ShaBaT n’est pas un jour où l’on ne fait “rien”. C’est un jour où l’on revient à la ToRaH, où l’on revient aux paroles de YHWH pour toujours mieux se mettre à l’écoute de YHWH, parce que cette discipline n’est rien de moins que SALUTAIRE : humainement parlant, c’est un moment où l’on pose un regard neuf sur le sens qu’on souhaite donner à son existence. C’est l’occasion hebdomadaire de scruter, à la lumière de la Parole de YHWH, nos objectifs, nos espérances, nos réussites, nos échecs… S’éloigner de son travail permet de mieux en comprendre le sens, de mieux discerner ce que nous faisons de nos énergies et de nos talents, de sorte qu’après avoir célébré ce jour saint, à part, on est prêt à retourner travailler SANS PLUS EN ÊTRE ESCLAVE, avec une vision clarifiée et une énergie renouvelée. Donc on est gagnant ! On est gagnant non par parce qu’on va être plus performant — si c’était le cas, le ShaBaT ne serait qu’un moyen PERVERTI pour le mettre au service de l’argent —. On est gagnant parce qu’on se découvre LIBRE, libre de l’argent trompeur, esclavagiste, pour pouvoir œuvrer LIBREMENT à la lumière de YHWH, c’est-à-dire accomplir un travail qui RENDE LIBRE, et donc qui rende VIVANT.

Alors maintenant, ce qui est surprenant dans Ce passage, c’est que le seul travail que Moïse semble indiquer, c’est le fait d’allumer un feu… C’est bizarre, d’autant plus que c’est la seule fois où cet interdit est lié au ShaBaT dans la Bible. Sans doute parce que ce jour-là, seul le feu de l’autel, hors des lieux habités puisqu’à l’intérieur du parvis du Sanctuaire, mérite d’être allumé pour offrir les sacrifices ; ce qui est une autre manière de diriger tous les regards vers YHWH. Quant au travail qu’il faut cesser, plus généralement, disons simplement que si YHWH impose le ShaBaT à l’occasion de l’œuvre LA PLUS HAUTE qu’un peuple ait jamais eu à charge, à savoir édifier le MiShKâN, la Demeure de YHWH dans sa Création ; combien plus dès lors ce ShaBaT devra être respecté pour TOUT travail, dont aucun ne pourra se prévaloir d’une raison si élevée. Donc, avec cette prescription ainsi posée en amont de l’édification du Sanctuaire, on est vraiment dans l’ordre du SENS. On n’est pas dans l’ordre de la compassion vis-à-vis d’une pénibilité qui donnerait droit à des jours de congé pour reprendre des forces ! Autrement dit : ce précepte n’est pas promulgué en réponse à la fatigue d’un peuple qui crierait grâce à force de travailler 7 jours sur 7. Le ShaBaT est l’affirmation du SENS qui devra présider à TOUT TRAVAIL en Israël, sans quoi l’homme perdra sa liberté. Maintenant, le ton est donné : cette édification n’a de SENS que si elle est le fruit d’un travail LIBRE de l’homme, et c’est par la pratique du ShaBaT que cette liberté subsistera. Effacer le ShaBaT, et le Sanctuaire lui-même perdra sa raison d’être en refaisant des hommes des esclaves là où YHWH, Lui, les veut LIBRES.

Dans le fond, tout est là, et on voit bien j’espère combien cette problématique est contemporaine ! Jean-Paul II et ses successeurs le diront et le répéteront à l’envi : Le travail est par essence un chemin de LIBÉRATION, un chemin de CROISSANCE, sans quoi il se réduit à n’être qu’un EMPLOI, un mot qu’on réfère normalement aux objets utilitaires. EMPLOI, dans le fond, c’est le synonyme contemporain d’ESCLAVAGE. C’est absolument terrible ! Alors comment en sortir ? En pratiquant le ShaBaT, répond Moïse aux Fils d’Israël / En célébrant la Résurrection le Dimanche, répond l’Église aux chrétiens à sa suite du Christ. Pourquoi refuse-t-on la pratique dominicale, sinon parce qu’on la regarde aujourd’hui comme un CONTRE-MPLOI ? C’est-à-dire qu’au lieu de regarder le travail à la lumière de la présence libératrice de YHWH, c’est la présence libératrice de YHWH qu’on regarde comme CONTREPRODUCTIVE : c’est le monde à l’envers, c’est le « côté obscur de la force », pour reprendre une expression culte.

Alors voilà : le moyen d’en sortir est posé au fronton de l’ouvrage du MiShKâN, de sorte que le travail peut maintenant commencer ; un véritable TRAVAIL qui a du sens, par lequel les Fils d’Israël vont donc « faire les paroles de YHWH », ce que le récit nous exprime en reprenant quasiment mot pour mot les ordonnances reçues sur la Montagne et transmises par Moïse. Alors bien sûr, le récit aurait pu se contenter de dire que les Fils d’Israël appliquèrent à la lettre les prescriptions ; ça aurait pu suffire, mais non. On réécrit tout, comme pour faire un compte rendu fidèle de ce qui a été fait au regard de ce qui a été commandé. Comme pour dire : « Vous voyez ? On a été fidèle ! Cette fois, on a écouté YHWH ! » Il y a quelque chose de la conversion dans cette redite, et bienheureux les lecteurs qui s’engagent sans préjugé à relire patiemment ce que nos anciens ont réécrit non moins patiemment. D’autant que ces lignes montrent tout l’enthousiasme du peuple qui apporte plus d’offrandes que nécessaire : lisez par exemple le ch. 35,20-29, c’est raconté avec plein de fougue. Au point, nous dit le ch. 36, que Moïse est obligé d’interrompre l’arrivée des offrandes !

On voit alors le fameux BeÇaLé‘èL se faire maître d’œuvre à partir du ch. 36. Le récit répète à l’envi : « Il fit l’arche en bois, il fit la table, il fit la MeNoRaH, il fit l’autel de l’holocauste, il fit le bassin, il fit le parvis, etc. etc. » On remarque en revanche que l’ordonnancement de la confection ne suit pas celui de la prescription : vous vous rappelez par exemple que l’autel de l’encens avait été décrit à la toute fin des paroles de YHWH sur la Montagne, alors que là, le ch. 37 l’inclut d’emblée dans l’ensemble du mobilier du MiShKâN. Et puis on n’oublie pas le concret : à la fin du ch. 38, on prend en considération les COMPTES de l’ouvrage, assurés par les fidèles Lévites. Ça, YHWH n’en avait pas fait mention. Alors là, on a la marque d’un ajout rédactionnel de style SACERDOTAL, vous vous souvenez : c’est le style obnubilé par les chiffres, les listes, les classements. Mais ça ne fait pas tache avec le récit qui n’en perd pas pour autant son unité rédactionnelle. Le ch. 39 traite quant à lui des habits du Grand-Prêtre, en développant un peu ce que YHWH appelait une « œuvre d’artisan » : on nous décrit avec quel soin on martèle l’or, on découpe soigneusement les tissus, on enchâsse les toiles, etc.

Et puis, à partir du v.32 du ch. 39, Moïse reçoit les travaux. Et là, il faut percevoir la joie profonde qui habite Moïse face à ce peuple effectivement capable de transformer la matière pour l’élever au plus spirituel, et surtout peut-être capable de SE transformer jusqu’à offrir à YHWH le meilleur de lui-même en composant les éléments de la Demeure, ce que résume magnifiquement la fin du v. 43 : « Et Moïse les bénit ! ». La bénédiction ici se révèle comme le langage de la VRAIE JOIE survenant après l’épreuve traversée.

On apporte donc l’ensemble de l’ouvrage à Moïse, semble-t-il en pièces détachées, de sorte que le ch. 40 va raconter comment MOÏSE en personne va ériger la Demeure, à la demande expresse de YHWH : « Le premier jour du premier mois, TU dresseras la Demeure, la Tente de la Rencontre. TU y mettras l’Arche du Témoignage et TU protégeras l’arche avec le voile, etc. » (Ex 40,2-3). Et hop, rebelote : les v. 16 à 33 racontent comment Moïse exécute MOT POUR MOT les prescriptions des v. 2 à 15, avec certes quelques petites nuances concrètes, mais dans l’ensemble, on a bien un décalque de l’exécution sur les prescriptions, toujours pour signifier la fidélité à la lettre de Moïse qui signe par là la fidélité du peuple artisan ; un peuple qui s’est donc RELEVÉ DE SON ÉPREUVE.

Tout ça se passe au moment prescrit par YHWH : le premier jour du premier mois de l’année, ce qui signifie qu’avec la seconde année après la libération d’Égypte, naît comme l’inauguration d’un nouvel espace-temps. Ce jour-là, ce jour initial, le premier jour du premier mois de l’année, Moïse non seulement édifie le MiShKâN, mais il en offre le PREMIER HOLOCAUSTE. Vous remarquerez que nul mot n’est dit de la consécration de ‘AHaRoN et de ses fils : il faudra attendre le livre suivant, au ch. 8. On ne nous dit même pas qu’ils ont offert des sacrifices : ils s’avancent dans l’espace du Sanctuaire, accomplissent leurs ablutions, suite de quoi on clôt le parvis qui disparaît aux yeux du peuple, on ferme l’entrée par le rideau. L’espace est prêt : YHWH investit le MiShKâN de sa Gloire, la Tente est couverte par la Nuée au point que, cette fois, même Moise ne peut pas y pénétrer. Comme si ce moment était réservé à YHWH seul, pénétrant enfin sa Création qui s’offre à Lui comme une épouse s’offre à son époux ; comme si YHWH se recueillait en Lui-Même, dans un instant sublime d’amour, une extase, au cœur d’un espace que l’humanité a enfin su rendre compatible avec son essence divine… Une première étape était franchie dans l’histoire du SALUT qui, loin de figer les Fils d’Israël dans la contemplation, allait au contraire les METTRE EN MARCHE. Le péché du Taurillon est pris dans la Miséricorde, la plaie est refermée, et c’est pour reprendre la marche du SALUT pour rejoindre la Terre de la Promesse, la Terre de la LIBERTÉ et de la VIE.

Et voilà. Nous en avons fini avec le livre de l’Exode. Les fondements sont posés. Ça nous a pris du temps, pour scruter le plus précisément possible ces chapitres essentiels, dans le cadre de notre initiation à leur lecture. La prochaine fois, nous ouvrirons le livre du Lévitique qui recueillera les premiers fruits d’un arbre de Vie dont nous ne percevons encore ici que les prémices, mais comme toutes prémices, qui sont prometteuses d’une belle aventure ! Je vous souhaite en attendant une bonne lecture de tous ces chapitres. Je vous remercie.
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