31-03-2016

[Ex] 76. Le Décalogue cultuel

Exode 34:10-28 par : le père Alain Dumont
YHWH explicite un Décalogue cultuel pour le peuple. Où l'on apprend que le culte d'Israël conduit aux Noces de YHWH avec son peuple
Duration:18 minutes 4 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous voyons aujourd’hui la réponse à la prière de Moïse, après le passage devant YHWH sur le Mont Horeb raconté dans les premiers versets du ch. 34 du livre de l’Exode. Nous avions terminé la dernière fois sur cette constatation : YHWH ne saurait résister à la prière tellement authentique, tellement charnelle de Moïse — Moïse y a investi toutes ses tripes ! YHWH agrée donc l’engagement de Moïse, mais Il va faire plus encore : il va l’inscrire dans une structure fondatrice : l’ALLIANCE. YHWH va littéralement « Trancher une Alliance », KâRaT BeRiT en hébreu, comme on dit qu’on « tranche une affaire » en français, pour signifier qu’elle est faite ! C’est une expression déjà utilisée pour l’Alliance tranchée avec NoaH., Noé, en Gn 9,11 ; pour l’Alliance tranchée avec ‘AVeRâHâM en Gn 15,18 ; mais aussi l’Alliance tranchée dans le sang des taureaux aspergé sur l’autel et sur le peuple en Ex 24,8. Et donc on la retrouve à nouveau ici, en 34,10, où YHWH va s’engager « devant tout le peuple », dit le récit. Après la trahison du Taurillon d’Or, YHWH, Lui, est resté fidèle. Il reconduit l’Alliance. Il a entendu l’intercession de Moïse qui a pris YHWH au mot : « Si Tu es le DIEU Miséricordieux, alors fais miséricorde à ton peuple ! » C’est gagné !

Seulement attention ! Ça ne va pas pour autant être une partie de plaisir ! Certes, YHWH va manifester qu’Il prend en main ce peuple à la nuque dure, mais ce sera pour l’éprouver, pour éprouver sa fidélité non au sens où Il douterait, mais au sens où la mise à l’épreuve est le lot de l’amitié véritable ! C’est ce que dit le livre du Siracide qui a bien intégré ce point de sagesse : « Si tu acquiers un ami, acquiers-le à l’épreuve et ne lui donne pas ta confiance trop rapidement. Car tel est ami à son heure qui ne le restera pas au jour de ton affliction. » (Si 6,7-8) Donc ce sera à la fois enthousiasmant et terrible, dit la fin du v. 10. Non pas tant « terrible » au sens d’effrayant mais au sens de RADICAL ; au sens où les nations, par cette manifestation de YHWH à travers Israël, découvriront l’agir souverain du Dieu Unique et seront convoquées à leur tour à faire un CHOIX face à YHWH et donc face à Israël : ou entrer dans la crainte de YHWH, les fameux « craignant Dieu », ce qui se vérifiera par le fait de laisser Israël s’installer sur la Terre de la Promesse ; ou REFUSER YHWH, ce qui se vérifiera par la guerre qu’elles mèneront contre Israël ! C’est ce que reprend le v. 11, avec toujours la même litanie des Amorites vivant en KaNa“aN ; des Cananéens au sens large, des Hittites qui, à cette époque, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, des PeRiZites surtout centrés, semble-t-il, au Nord-Ouest ; des HiWites, un peuple inconnu dont on suppose qu’ils vivaient eux aussi sur des territoires de Canaan ; et des Jébuséens qui, dans la Bible, sont les anciens habitants de Jérusalem. Donc certes, l’Égypte est derrière le peuple, mais attention maintenant à ne pas trancher d’Alliance avec ces habitants de KaNa”aN, ni avec leurs idoles dont il faudra abattre les lieux de culte, parce que malheureux les fils d’Israël qui n’auraient pas compris la leçon du Taurillon d’Or et qui seraient à nouveau tentés par des compromissions. Ils subiront évidemment le même sort que ces peuples.

Là on est déjà dans un thème de conquête, et disons-le franchement, on est dans la GUERRE SAINTE ! Alors c’est très compliqué, et il ne faudrait pas faire l’amalgame avec les guerres fanatiques de tous poils. Disons-en quelques mots. Quand on fait la guerre dans l’Antiquité, il y a toujours un lien intrinsèque avec les dieux de chaque clan : avant de partir en guerre, on offre des sacrifices, on discerne les présages, et si on revient victorieux, on offre une part du butin à la divinité. De ce point de vue, Israël n’échappe pas au modèle, dans le cadre de l’Alliance qui l’unit à YHWH. Ceci dit, quand Israël part en guerre, c’est pour se tailler une place au milieu des nations, et en soi, à cette époque, c’est complètement légitime ; ça n’est pas pour faire du prosélytisme militant. Les guerres d’Israël sont des guerres pour YHWH, comme quand il a fallu se défendre contre ‘AMaLèQ, en Ex 17,16. Dit autrement, le but d’Israël n’est pas a priori de conquérir la terre entière pour convertir les nations à la ToRaH. Il est de résider sur sa terre d’où rayonnera la Lumière de YHWH. Dès lors, la véritable conquête d’Israël sera une lutte contre soi, contre la tentation du péché qui consiste à se diluer parmi les nations, mais ce faisant à contrecarrer le projet de Salut de YHWH destiné à tous les hommes !

Or un tel projet où il s’agit de se conquérir soi-même est infiniment plus exigeant que le simple débordement de puissance ! Rien à voir avec les conquêtes minables qui ne visent qu’à rendre les autres esclaves. Autrement dit, il ne s’agit pas d’hégémonie mais de faire briller la VÉRITÉ et la LIBERTÉ éprouvées à la mesure non pas de la force armée qui l’emporterait sur d’autres peuples mais de l’authenticité CHARNELLE qui fait de ce peuple, grâce à sa fidélité à la ToRaH de Moïse, un peuple à part, saint, pleinement vivant, et qui devient ainsi une Lumière pour les Nations. C’est un vrai travail sur soi et on peut dire qu’aucun peuple n’est jamais autant entré en travail sur soi qu’Israël. Voilà la véritable guerre que mène YHWH dans le cadre de l’Alliance : c’est une GUERRE INTÉRIEURE, une guerre contre le péché qui mène à la mort ! Seulement pour en arriver là, il faut prendre les hommes comme ils sont, vivre et agir selon leurs catégories, leur culture, afin de pouvoir peu à peu canaliser leur énergie pour que, de pourvoyeuse de mort, celle-ci devienne pourvoyeuse de vie. Donc ne nous braquons pas sur la violence de ces textes : si nos anciens n’avaient pas assumé ce point de départ, ni vous ni moi ne serions là à parler de paix ou d’amour. Ne connaissent véritablement le sens de la paix et de l’amour que ceux qui ont été tentés pas la guerre et par la haine et qui, dans le cadre de l’Alliance, ont su choisir librement de donner la vie au lieu d’infliger la mort. Tant qu’on est pas passé par là, le fameux peace and love n’est qu’un slogan mesquin d’adolescents mal dégrossis.

Tout ça pour dire qu’Israël, maintenant résolument tourné vers la terre de KaNa”aN qu’il va falloir conquérir, devra se garder de trancher des alliances avec les nations qui s’y trouvent ainsi qu’avec leurs idoles de prostitution, comme dit le v. 15. Alors là, on franchit encore un seuil : c’est la première fois que retentit le thème de la PROSTITUTION qui fera fortune par la suite dans toute la mesure où, paradoxalement, parler de prostitution, c’est parler de MARIAGE ! Eh oui : qu’est-ce que c’est que la prostitution ? C’est utiliser l’autre comme un objet, et ça, c’est un chemin de mort dont YHWH veut précisément libérer son peuple. Or parler de prostitution à propos des idoles, c’est déjà parler à mots couverts de l’Alliance comme d’un MARIAGE avec YHWH au sens où le mariage, tout à l’inverse des idoles, n’existe qu’avec la pleine LIBERTÉ des parties. À partir d’Osée, ce thème prendra toute son ampleur, mais c’est déjà ici, au ch. 34 de l’Exode, que se trouve la racine de ce qu’il faut bien appeler une RÉVÉLATION, et non des moindres. On retrouve le thème de la jalousie de YHWH, qui appartient au Décalogue, on n’y revient pas. Mais il faut bien comprendre que cette jalousie divine est SALUTAIRE pour le peuple ! Il faut que le peuple comprenne qu’il est MARIÉ à YHWH, parce que seul le mariage, où les parties se respectent comme SUJETS LIBRES, est porteur de vie. Si les Fils d’Israël s’allient avec les nations, ils deviendront stériles comme elles, parce que les idoles, contrairement à YHWH, n’ont aucun projet d’Alliance : c’est du donnant donnant sans état d’âme, c’est-à-dire sans miséricorde, sans compassion : elles sont tout l’inverse de YHWH. Là où YHWH est le Dieu vivant qui donne la vie, le Dieu libre qui rend libre et qui est pris aux entrailles pour faire miséricorde au moment même où son peuple mériterait la mort en toute justice, les idoles, elles, sont froides et insensibles ; elles sont mortes et donnent la mort autant qu’elles rendent esclave. Pensez au dieu de l’argent aujourd’hui, et vous aurez une idée très claire de la question. Qui plus est, vous comprendrez sans plus de problème la sentence du Christ : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. » (Mt 6,24) Il ne dit rien d’autre que ce qui est inscrit dans le décalogue par rapport aux idoles, et surtout par rapport à l’interdiction de faire alliance avec elles. Qui a des oreilles, qu’il entende ! Moïse et Jésus, même combat !

Suit alors ce qu’on appelle le DÉCALOGUE CULTUEL, qui cadre précisément tous les pièges de la prostitution contre lesquels il faut se prémunir, encore une fois dans l’optique de prendre conscience que l’élection n’est pas le choix d’un moment, versatile et révisable au gré des opportunités, mais un engagement irrévocable de tout soi-même dans la fidélité ; rien à voir avec les cooptations politiciennes ! Bref c’est déjà dire que l’Élection relève de l’AMOUR, du véritable amour qui se donne sans retour et pour qui l’aventure l’emporte sans compromis sur les impasses de l’égoïsme sauvage. D’où l’interdiction de fabriquer des dieux, surtout par la technique sacrée de coulée de pierre agglomérée, comme pour le taurillon, on l’a vu au ch. 32.

Alors c’est très bien un commandement négatif, mais pour susciter un élan, il faut aussi donner des commandements positifs qui ont du sens, comme observer la fête des Azymes pour faire mémoire de la Sortie d’Égypte qui figure la libération de tout esclavage. De même que pratiquer le rachat de tout premier-né de l’homme et du bétail, on a vu pourquoi à propos du ch. 13 ; vous voyez, maintenant, on va plus vite, parce qu’on est dans la synthèse des connaissances qu’on a pris le temps de scruter en leur temps. Si on a oublié, il suffit de s’y référer.

Suit le rappel du ShaBaT dont le sens est maintenant acquis puisqu’il constitue un des articles du credo du Décalogue, au ch. 20, v. 8 à 11 ; là encore, je nous renvoie à la vidéo correspondante. Puis observer les fêtes selon ce qui a été institué au ch. 23 à partir du v. 14 : PeSaH., la PÂQUE comme mémoire de la libération ; ShaVOu‘OT, la Pentecôte, comme mémoire du don de la ToRaH et SouKKoT, la fête des Tentes, comme mémoire de la marche dans le désert. La présentation des mâles renvoie à Ex 23,17 — là encore, on n’y revient pas —, avec cette fois l’assurance que le peuple sans défense n’aura pas à craindre que les nations alentour en profitent pour attaquer. Alors ceci dit, ça ne se vérifiera pas trop à l’époque de Juda Maccabée, au IIe siècle avant J.-C., puisque Apollonius, le chef de troupe envoyé par Antiochus IV Épiphane pour exterminer les juifs, usera précisément de cette tactique : il attaquera les habitants de Jérusalem volontairement un jour de Shabbat, c’est en 2Mac 5, v. 25. Mais bon. Quant à immoler une victime avec du pain levé, la chose a été expliquée à propos du ch. 24, au v. 18. On y disait que la graisse ne devait pas être consommée après la nuit. Ici, on a la même prescription, mais concernant l’agneau de la Pâque : si on mange l’agneau le lendemain, on lui retire toute sa puissance symbolique. Donc l’agneau doit être entièrement intégré à la mémoire du jour où commence la sortie d’Égypte. Le v. 26 poursuit le parallèle avec le ch. 23, au v. 19 : là encore je vous renvoie à l’explication que nous en avons donnée, y compris ce qui concerne la cuisson du chevreau dans le lait de sa mère. Voilà pour l’Alliance redonnée dans ce Décalogue cultuel. C’était important que YHWH montre par là qu’Il fait miséricorde en CHOISISSANT DE MAINTENIR son peuple dans l’Alliance malgré sa trahison avec le Taurillon d’Or.

Le v. 27 réintroduit le thème de l’écriture par Moïse des paroles entendues, comme au ch. 24, au v. 4 : là encore, je vous renvoie à la vidéo pour vous remémorer l’importance de cette mise par écrit pour inscrire les Paroles de YHWH dans la durée et les maintenir vivantes. Suite de quoi le v. 28 nous dit que cette séquence dura à son tour 40 jours et 40 nuits, mais cette fois, le peuple, quelque peu échaudé sans doute, a su attendre le retour de son pasteur. On nous précise que Moïse ne mange pas de pain, ni ne boit d’eau… tiens… quelque chose qui nous est connu : c’est exactement ce qui sera dit du séjour de Jésus au désert de Judée, en Mt 4,2. Reste que la nouvelle épreuve de son absence sera cette fois surmontée par le peuple, signe que ce dernier s’est relevé. Cette fois, le récit précise que c’est Moïse qui écrit le Décalogue sur les Tables de pierre… Alors ça paraît étrange, parce qu’au v. 1, YHWH avait dit : « J’écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées. », et voilà qu’il dit à Moïse au v. 27 : « Écris pour toi ces paroles », tandis que le v. 28 poursuit : « Et Moïse écrivit sur les tables les paroles de l’Alliance, les dix paroles. » Alors ?

Un très beau Midrash nous permet de comprendre : il raconte qu’un roi avait lui-même écrit le pacte de mariage qui le liait à sa femme, mais comme celle-ci l’avait trompé, il l’avait déchiré de colère. Ses serviteurs l’ayant apaisé, il accepta de pardonner, mais il leur dit : « Je veux bien me réconcilier, mais c’est elle qui écrira le nouveau pacte, et moi je le signerai ! » C’est un peu l’idée ici : par les premières tables, YHWH s’était engagé Lui-même : par les secondes, à travers l’écriture de Moïse, c’est le peuple qui s’engage ! À l’homme, donc, de faire en sorte que des tables existent. Et le Midrash de préciser que YHWH impose sa signature en faisant passer sa main sur les tables.

Voilà donc pour cet ensemble encore une fois très riche d’Ex 34,10-28. Nous verrons la fin du chapitre la prochaine fois, qui nous promet encore bien des surprises. Je vous souhaite une bonne lecture. Je vous remercie.
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