31-03-2016

[Ex] 75 - YHWH passe devant Moïse

Exode 34:1-9 par : le père Alain Dumont
Moïse taille deux Tables de pierre. YHWH accède à la prière de son serviteur et passe devant Moïse.
Duration:16 minutes 51 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous voici arrivés au ch. 34 du Livre de l’Exode. À la fin du ch. 33, vous vous souvenez, Moïse vient d’achever sa prière, et il s’agit maintenant, dit le v. 1, de tailler de nouvelles Tables de Pierres sur lesquelles YHWH pourra écrire les paroles qui étaient sur les premières avant qu’elles ne soient brisées. Suite de quoi YHWH enjoint à Moïse d’être prêt dans le matin au v. 2. Et le v. 4 de préciser que Moïse se lève tôt dans le matin, et on se rappelle qu’au début du livre, lorsque Moïse se levait tôt pour rejoindre Pharaon, c’est qu’il allait se passer des choses particulièrement significatives. Donc dès le début du récit du ch. 34, l’attention du lecteur s’éveille avec Moïse : il faut écouter la suite avec des oreilles grandes ouvertes !

Cette fois, Moïse monte seul, sans Josué qui, on l’a vu au ch. précédent, reste dans la Tente de la Rencontre jour et nuit. À nouveau, le peuple, et jusqu’à ses troupeaux, se tient en vis-à-vis du HaR SiNaï, du Mont SiNaï. Donc Moïse monte, nous dit le v. 5, tandis que YHWH, Lui, descend dans la Nuée. Survient son passage devant Moïse, au v. 6. Le Nom du DIEU sauveur retentit par deux fois, suivi de ses attributs. Tous les termes ont leur poids ici, en se rappelant qu’ils sont prononcés charnellement, c’est-à-dire qu’ils jaillissent de l’intérieur de YHWH et sont reçus au plus profond des entrailles de Moïse, dans un bouleversement intégral que nos mots sont trop pauvres pour exprimer. On se souvient de Paul qui aura une expérience similaire et qui écrira aux Corinthiens : « J’ai entendu des paroles inexprimables qu'il n'est pas au pouvoir d’un homme d'adresser. » (2Co 12,4). Disons que les mots des versets 6 et 7 de notre ch. sont ceux que Moïse met comme il peut sur ce que ce bouleversement engendre en lui, lui fait éprouver comme la vérité contenue dans ce cri de YHWH ! C’est indicible, et pourtant, il faut bien mettre des mots… Mais il faut entendre ces mots comme l’écho d’une… “émotion”, en quelque sorte ; d’un ébranlement qui saisit tout l’être en un instant et qui ouvre intuitivement à une connaissance charnelle qui n’a rien d’une construction de la raison. Ça n’est pas du délire. Ça échappe à la raison raisonnante dont le but est de se donner à elle-même les éléments de sa propre vérité ; mais cette raison-là se fera TOUJOURS déborder par le CHARNEL, par le RÉEL qui la dépasse de tous les côtés ! Le principe de connaissance n’est pas la prérogative de la seule raison raisonnante ! C’est aussi celle de l’amour qu’on symbolise souvent par le cœur. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore », écrivait Blaise Pascal. Eh bien voilà : c’est explicitement du cœur de YHWH, et donc d’amour qu’il est question dans nos versets, pour la PREMIÈRE fois, à travers des expressions très fortes.

D’abord, pour la seule et unique fois de TOUTE la Bible, le nom de YHWH résonne par deux fois, comme un écho céleste. Il faut vraiment l’entendre comme un tonnerre intérieur qui submerge Moïse. Suit alors une plénitude qui fait goûter au plus intime de ce qui accompagne le Nom prononcé : ‘ÈL RaH.OM VeH.aNNON. Ces deux attributs étaient déjà ceux du v. 19 du ch. précédent. 1.RaH.OM est de la même racine que RaH.aM, qui signifie AIMER du cœur des entrailles maternelles. RèH.èM, c’est la MATRICE, le sein maternel ; on le trouve souvent sous la forme plurielle : RaH.aMîM. Il évoque le lien indéfectible de l’engendrement. La plus belle explicitation de ce terme se trouve chez le prophète Isaïe : « Une femme oublie-t-elle son nourrisson, d’avoir miséricorde pour le fils de son ventre ? Quand bien même elle l’oublierait, Moi, [YHWH], Je ne t’oublierai pas. » (Is 49,15) Touchant au cœur, la traduction par Miséricordieux est la plus judicieuse ; mais c’est aussi là qu’on touche ce qui constitue la dimension CHARNELLE de YHWH dont nous avons parlé lors de la dernière vidéo. 2.H.aNNON vient de la racine H.âNaN qui signifie faire grâce au sens d’épargner. H.aNNON, c’est donc le gracieux, le bienveillant. C’est ce verbe que Moïse a employé quand il disait « J’ai trouvé grâce à tes yeux », en 33,13. YHWH est donc le Dieu qui considère au-delà de la faute, qui espère toujours là où la justice, elle, désespère et fait tomber ses sentences. À partir de là, si on accepte que la Miséricorde s’attache à une dimension plus maternelle de YHWH et que la justice s’attache plus à sa dimension paternelle, on comprend alors qu’en YHWH, les catégories de la paternité et de la maternité sont conjointes. Maintenant, si on doit les articuler, la justice étant première, la paternité, en YHWH, est première ; reste cependant qu’en YHWH, cette justice est immédiatement accordée à la Miséricorde, et donc la Maternité, en YHWH, associe la justice à un principe nécessaire qu’on pourrait appeler de SAGESSE. YHWH, le Premier, sait que trop de justice tue la justice, comme dit l’adage. C’est le paradoxe de la justice que d’être injuste quand elle est seule en lisse. Le Juste, le ÇaDiQ, n’est pas celui qui applique la seule justice — qu’on appellera plutôt le Juge —, mais celui qui, connaissant la justice, la conjugue toujours avec la miséricorde et, ce faisant, devient un témoin de YHWH, un témoin du VRAI DIEU. C’est très puissant, parce que si on se souvient que DIEU crée l’homme à son image et à sa ressemblance, masculin et féminin, d’un côté l’homme normalement gardien de la justice, et de l’autre la femme gardienne de la miséricorde, de la Sagesse, tout d’un coup la notion de conjoints prend du sens en tant qu’icône du Créateur. On est ici à la base de la notion de sacrement.

La suite n’est que le développement de ces deux attributs : 3.YHWH est lent à la colère, littéralement : « long de narines », toujours cette image du taureau qui fulmine. Quand la narine est courte, c’est que le taureau va charger ; quand elle est longue, c’est qu’il s’apaise. Dans la même ligne, YHWH est, littéralement,« abondant en H.èSèD et en ‘èMèT » 4.H.èSèD, c’est la bonté. Le H.aSiD, c’est l’homme bon, l’homme pieux, non pas tant l’homme serein que l’homme qui rassemble. Il y a ici une idée de douceur, qui est l’opposé radical de la mollesse. Dieu n’est pas “bonne pâte”. La vraie douceur suppose de se faire violence, d’être doux au moment même où la justice commanderait qu’on ne le soit pas. Au plus fort du terme, le H.aSiD, c’est celui dont la douceur donne la paix ; non pas comme le monde la donne — c’est-à-dire une simple absence de conflits extérieurs —, mais comme seul celui qui plonge en lui-même sait faire émerger une source de paix au milieu de l’aridité de la guerre ; une source de communion au milieu de la stérilité de la division. YHWH est donc abondant de cette douceur, mais une douceur qui s’allie immédiatement à la ‘èMèT, à savoir la VÉRITÉ. 5.‘èMèT se construit sur la racine ‘âMaN, qui signifie être ferme, stable, solide, et donc être vrai, au sens où la chose a été vérifiée, sur laquelle on peut s’appuyer — l’adverbe ‘âMéN est construit sur la même racine, qui affirme : « c’est vrai » —. Il ne s’agit donc pas d’une vérité figée, assénée, mais d’une vérité sur laquelle on peut prendre appui POUR GRANDIR. En ce sens, le verbe ‘âMéN signifie élever, porter sur ses épaules. Voilà qui est YHWH : non pas un Dieu qui assène des vérités ou des commandements auxquels il faut obéir par convenance, aveuglément, mais un Dieu sur qui on peut compter : « Sur YHWH je prends appui », dit le Ps 56(55), au v. 5.

La suite est plus problématique pour nos esprits occidentaux : le v. 7 parle à la fois de YHWH fidèle qui, littéralement, 6.PORTE la faute, et qui néanmoins 7.ne laisse pas cette faute impunie. C’est tout simplement l’application concrète de la Miséricorde dont le rôle n’est pas d’effacer la justice mais, quelque part, de s’en prémunir en revenant vers YHWH… Que le mal produit par la faute rejaillisse sur le fauteur, c’est la stricte justice ! Néanmoins, face à elle, voilà YHWH qui PORTE Lui-même la faute. Voilà l’attribut de Miséricorde par lequel YHWH prend patience — les Tables brisées en sont la preuve, et la Croix en sera une autre. Si la conversion ne vient pas, c’est-à-dire si l’homme se joue de la Miséricorde, arrivera un moment où la justice s’exercera seule, et là, il ne faudra pas venir se plaindre !!!

Alors à propos du châtiment, contentons-nous de redire ce que nous avons déjà exprimé à propos du Décalogue : la faute des pères rejaillit toujours comme un fardeau sur les générations qui suivent. Ça n’est pas une punition, c’est tout simplement de l’anthropologie : aucune génération n’est indemne des fautes de la précédente. La première paye le plus lourd tribut, un peu moins la seconde, encore un peu la troisième voire la quatrième génération, suite de quoi la faute tombe enfin dans l’oubli, et avec elle le nom de ceux qui l’ont commise. Alors que ceux qui ont obéi aux commandements, ceux-là, la mémoire ne les oublie jamais : les bienfaits qu’ils ont générés seront conservés à jamais dans la mémoire de leurs descendants, qui trouveront en eux un appui pour grandir et éprouveront la vérité de YHWH. C’est ce qu’on appelle encore une fois une FIGURE. C’est ainsi qu’on fait mémoire d’‘AVeRâHâM, YiÇeH.aQ, Ya”aQoV, de Moïse, David, Jésus, Pierre, Jacques, Jean, Paul, Origène, Irénée, François d’Assise, et j’en passe. Alors que plus personne ne fait mémoire du nom du Pharaon qui a rejeté Joseph ; ni de ‘AMRaPhèL, ni de ‘ARYoQ, ni de ‘ÈLaH, ni de SidQiYYaHOu, autant de personnages dont vous vous demandez sûrement d’où je les tire tellement ils sont tombés dans l’oubli… Peut-être ont-ils prospéré de leur vivant, mais après leur mort, ils ne sont restés vivants dans aucune mémoire. Voilà le châtiment de YHWH vis-à-vis des méchants sans repentance : que leur mémoire, qui est le socle de l’éternité, s’évanouisse dans l’amnésie la plus totale.

Enfin bref, toujours est-il qu’en éprouvant le passage de YHWH au plus intime de lui, Moïse ne peut que s’incliner ! Mais pas seulement. On se rappelle qu’on a dit précédemment que Moïse avait la stature du Grand-Prêtre, avant que l’investiture ne désigne ‘AHaRoN. Eh bien ici, au v. 9, on ne peut pas en trouver meilleure illustration ! En présence de YHWH, il intercède pour le péché du peuple, au point qu’on peut dire qu’il institue à ce moment précis le premier Yom KiPPOuR, le premier grand Jour du Pardon où le Grand Prêtre, une fois par an, entre dans le Saint des Saints, chargé du péché du peuple, pour implorer la miséricorde de YHWH en faveur du peuple pécheur. Et là, on peut dire que Moïse prend YHWH aux mots : « Si j’ai vraiment trouvé grâce à tes yeux, alors marche au milieu de nous ! » Comme quoi Moïse, tout emprunt de la Présence divine, ne perd pas le nord pour autant et s’attache à sa requête ! « Oui, c’est un peuple à la nuque dure — il assume le péché du peuple auquel lui-même appartient —, mais Toi, Tu pardonneras NOTRE faute et NOTRE péché — Tu viens de dire que Tu es miséricordieux et que Tu fais grâce ! —, et fais de nous ton héritage ! »

Là apparaît quelque chose de complètement nouveau. Jusqu’à présent, c’était la terre que YHWH avait donnée en héritage, NâH.aL, à son peuple. Mais là, c’est LE PEUPLE lui-même qui est l’héritage de YHWH. En fait, l’hébreu est plus franc : NâH.aL signifie PRENDRE EN POSSESSION. Donc Moïse demande littéralement : « Prends-nous pour Ta possession ! », dit autrement : nous quittons formellement l’esclavage de l’Égypte, qui est un esclavage pour la mort, pour être Tes esclaves, dans un esclavage pour la VIE. C’est un ENGAGEMENT ! Alors vous me direz : « Où est la liberté ? » Mais justement : on l’a dit et redit, il n’y a pas de liberté qui rende libre d’une part sans un RENONCEMENT A CE QUI NE REND PAS LIBRE, et d’autre part sans un engagement à SERVIR INCONDITIONNELLEMENT LA LIBERTÉ QUI REND LIBRE. C’est un paradoxe, mais l’homme n’est libre que s’il se fait volontairement ESCLAVE DE LA LIBERTÉ ! Pour reprendre l’expression d’un grand exégète, le père Georges Auzou, la liberté consiste à passer DE LA SERVITUDE AU SERVICE. La vraie liberté n’est pas la jouissance d’un état où l’on se fait servir par les autres. La vraie liberté choisit d’être ESCLAVE DES AUTRES ; d’être lié par le service, par le DON inconditionnel de soi aux autres, et à Dieu. Jésus ne dira pas autre chose : « Qui veut être le premier, qu’il se fasse l’esclave de tous… », c’est en Marc 9,35.

Voilà donc pour les clefs qui nous permettront, je l’espère, d’entrer plus profondément dans le sens des premiers versets du ch. 34 de l’Exode. Je vous en souhaite une lecture féconde. Nous verrons la suite la prochaine fois. Je vous remercie.
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