31-03-2016

[Ex] 74 - La prière de Moïse

Exode 33:12-23 par : le père Alain Dumont
Moïse demande à YHWH de voir sa Face.
Duration:20 minutes 59 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/la-priere-de-moise.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons aujourd’hui la lecture du ch. 33 du livre de l’Exode, que j’aimerais lire avec vous à la lumière du ch. 17 de l’évangile selon saint Jean, la fameuse PRIÈRE SACERDOTALE de Jésus. À partir d’Ex 33,12, le récit nous fait en effet entrer dans l’intimité de l’amitié de YHWH avec Moïse, au même titre que le ch. 17 de l’évangile selon saint Jean nous fait entrer dans l’intimité de l’amitié du Verbe avec son Père. De part et d’autre, la prière est sensiblement la même, qui implore d’un côté la manifestation de YHWH par Moïse, et de l’autre la manifestation du Père par Jésus. Et je vous rappelle qu’en Jn 5,20, Jésus dit explicitement que le Père AIME D’AMITIÉ le Fils. Une affirmation qu’il faut prendre au sérieux.

Au début du dialogue entre Moïse et YHWH, on retrouve d’abord quelque chose de la détresse qu’a connue Moïse au commencement de son histoire, lorsque sa rencontre avec Pharaon n’avait eu pour effet que d’augmenter les maux du peuple. Moïse avait lancé à YHWH : « Pourquoi m’as-tu envoyé ? » (Ex 5,22). Ici, Moïse demande : « Tu me dis : fais monter mon peuple, mais qui enverras-tu avec moi ? » C’est dans le fond la même question, sauf que cette fois, il ne s’agit plus d’un mal extérieur qui s’abattrait sur le peuple, mais d’un mal qui jailli DE L’INTÉRIEUR même du peuple, à l’occasion de l’épisode du Taurillon d’or. Et là, Moïse ressent une solitude abyssale, une impuissance totale ! Encore, quand l’ennemi est extérieur, on peut partir en guerre, mais là ?

Or la réponse qu’il va recevoir est la même, en substance, que celle des débuts de sa mission : lorsqu’il s’était interrogé en demandant : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon ? », YHWH avait répondu : « Je serai avec toi, et c’est Moi qui t’envoie. » (Ex 3,11-12). Et ici, YHWH répond : « C’est Ma Face qui ira. », au v. 14. La Face, PaNîM, ce n’est pas seulement le visage, mais la personne tout entière en présence de qui on se tient. PaNîM est de la même racine que LiPeNé, qui signifie « devant ». Donc que répond YHWH à Moïse ? Il l’assure de sa Présence, et cela seul doit suffire. Un peu comme quand le Seigneur dira à Paul : « Ma grâce te suffit. »

Le rapport entre les deux est d’autant plus pertinent qu’aux v. 12-13, Moïse dit : « C’est Toi qui as dit : Je te connais par ton nom, et même tu as trouvé grâce à mes yeux ! Maintenant donc, si j’ai vraiment trouvé grâce à tes yeux, daigne me faire connaître tes voies pour que je Te CONNAISSE afin de trouver grâce à tes yeux. Considère aussi que cette nation est TON peuple. » Alors là, quand je vous suggère un lien avec la prière sacerdotale de Jésus en Jn 17, il est ici très fort : « Que je Te connaisse » s’articule superbement sur la phrase de Jésus : « La vie éternelle, c’est qu’ils Te CONNAISSENT, Toi, le seul véritable Dieu, et CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS-CHRIST ! » Et là, on a la réponse à la question de Moïse ! Et l’on comprend que le AVEC MOI de Moïse n’est pas spatial ; il ne signifie pas « qui enverras-Tu à côté de moi », mais « qui enverras-Tu DANS LA MEME LIGNE que moi », c’est-à-dire avec le même objectif qui est d’aller jusqu’au bout du chemin que YHWH ouvre à son peuple, à savoir le chemin de la VIE ÉTERNELLE. À demi-mot, Moïse n’invoque rien de moins que le Christ, le Messie.

Comprenons bien à ce stade, parce que c’est un peu complexe, je l’avoue. L’effet majeur du péché, c’est la mort. Mais attention : chaque fois que la mort menace de l’emporter, c’est comme si DIEU retournait la situation : ce sont les tables brisées face au Taurillon, et c’est la Croix face au péché du monde. À chaque fois, YHWH prend sur Lui les conséquences du péché de l’homme ! C’est bouleversant ! Or voilà ce qu’on appelle la MISÉRICORDE de YHWH qui, plutôt que de faire immédiatement justice — c’est-à-dire d’appliquer administrativement la sentence associée au péché, DIFFÈRE cette sentence pour permettre au peuple pécheur de se mettre en marche ; une marche de conversion qui signifie que les portes de la vie éternelle ne sont pas fermées par le péché qui, dans le fond, n’a pas ce pouvoir ! Et le Targum, encore lui, l’a très bien compris, qui glose longuement cette prière de Moïse : « Et maintenant, je t’en prie, si j’ai trouvé miséricorde devant toi, fais-moi connaître la voie de ta beauté ! Que je connaisse Ta miséricorde : comment Tu te comportes avec les hommes, quand il arrive aux justes comme aux pécheurs et aux pécheurs comme aux justes, alors que, d’autre part, il arrive aux justes selon leurs mérites et aux pécheurs selon leurs fautes, pour que je trouve miséricorde devant toi. » Le Targum entre admirablement dans le questionnement de Moïse. Moïse a du mal à comprendre : « Normalement, chacun doit être jugé selon son mérite, mais en même temps, je sais que Tu n’agis pas toujours dans ce sens ; alors ici, qu’est-ce que Tu vas faire ? Fais-moi connaître, c’est-à-dire fais-moi comprendre tes voies de Miséricorde ! » Eh oui ! Le peuple a péché : il devrait lui arriver selon sa faute, mais voilà que YHWH RETARDE SA JUSTICE ! Voilà la MISÉRICORDE ! Ce qu’Ézéchiel comprendra très bien lorsqu’il dira de la part de YHWH : « Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant – oracle du Seigneur Dieu –, et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? » (Éz 18,23) Dans la même tradition, Pierre écrira pour sa part, en parlant de la venue du Christ en Gloire : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. » (2P 3,9). Donc en définitive, ce que demande Moïse, c’est que YHWH envoie son Messie, non en sa faveur, comme pour le soutenir dans une tâche trop lourde pour lui, mais en faveur du peuple, tout pécheur qu’il soit : « Considère aussi que cette Nation est TON peuple ! », à la fin du v. 13.

Quant au repos que lui promet YHWH, il concerne la récompense du juste, celle dont dont parlait aussi le Targum. Autrement dit, YHWH dit à Moïse : « Quand tu auras fait ton ouvrage, JE prendrai Moi-même le relai : « C’est Ma Face qui ira ». Ma Face, c’est-à-dire « mon Verbe », puisque la MeMRaH de YHWH est le mode par lequel DIEU se rend présent au monde ! C’est prodigieux, parce que ce n’est rien de moins que l’annonce à mots couverts de la divinité du Messie, qui sera DIEU en Personne ! En qui on reconnaîtra la FACE de YHWH ! Voilà vraisemblablement un des textes que Jésus ressuscité expliquera aux disciples d’Emmaüs lorsqu’Il leur expliquera tout ce qui le concernait dans la ToRaH et les Prophètes ! Comme quoi la divinité du Christ Jésus n’est pas une pure “invention” des chrétiens ! Après, on peut ne pas être d’accord avec cette interprétation quand on est rabbin, mais il n’empêche qu’elle est légitime, et fonde la FOI Chrétienne en Jésus, à la fois VRAI DIEU ET VRAI HOMME, la MeMRaH de YHWH faite CHAIR !

Toujours est-il que, pour l’heure, ce qui pose question à Moïse, c’est que YHWH utilise l’inaccompli dans sa réponse : « Ma Face ira »… C’est-à-dire : ça va venir, c’est en train de se mettre en place… Sauf que Moïse insiste : « Si Ta Face ne va pas, c’est-à-dire : si Ta Face ne vient pas ici et maintenant —, alors ne nous fais pas monter ! » (v. 15). Pourquoi ? La suite nous l’explique : « N’est-ce pas quand tu iras avec nous que nous serons distingués, moi et ton peuple, de tous les peuples qui sont à la surface du sol ? » (v. 16b) Moïse a raison : c’est la présence de YHWH qui est la marque de la sainteté du peuple, sa mise à part au milieu de tous les autres peuples. Et YHWH de répondre à l’intercession insistante de Moïse : « Cette parole que tu as dite, Je la ferai. » Au nom de quoi ? Au nom de la grâce que Moïse a trouvée aux yeux de YHWH.

Maintenant, réécoutons Jésus, au ch. 17 de l’évangile selon saint Jean : « J’ai manifesté ton Nom aux hommes que Tu m’as donné du milieu du monde — les hommes mis à part dans le monde. Ils étaient à Toi — TON peuple — et Tu me les as donnés. Maintenant, ils ont connu que tout ce que Tu m’as donné vient d’auprès de Toi. » Dit autrement : les hommes savent que Jésus a trouvé grâce aux yeux du Père. « Ils ont connu vraiment que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’est toi qui m’as envoyé ! » Voilà : tout ce à quoi aspire Moïse sera donné dans le Christ pour que les hommes puissent aller à sa suite. « Et maintenant, je viens vers Toi », c’est-à-dire que Jésus ouvre ce fameux chemin qui attire au Père, le fameux chemin sur lequel, en définitive, YHWH fait monter son peuple dès l’Exode ! C’est en réponse à la requête de Moïse que Jésus peut dire, en Jn 14,6 : « Je Suis le chemin, la Vérité et la Vie ». Difficile d’imaginer un plus grand prophète que Moïse ! Il va d’emblée au terme ! C’est prodigieux !

La suite de la prière de Moïse va dans le même sens. « Fais-moi, je te prie, voir ta Gloire. » Comment ici ne pas entendre Jésus : « Glorifie ton Fils ! » « Glorifie-moi auprès de Toi de la Gloire que j’avais auprès de Toi avant que le monde fût. » Seulement ce qui est possible concernant Jésus ne l’éest pas encore pour Moïse. C’est trop tôt… S’il contemple le Verbe, la MeMRaH de YHWH, Moïse N’EST PAS le Verbe. Seul Celui qui est dans la Gloire de YHWH de toute éternité peut supporter que cette Gloire soit manifestée en Lui charnellement, jusque dans le mystère de la Croix et de la Résurrection. Dit autrement : « Voir la Gloire de YHWH », ça n’est pas simplement assister à un spectacle ! Pour Moïse, « Voir la Gloire de YHWH », c’eût été être capable d’assumer le péché du peuple et, en tant que juste, de s’offrir volontairement en sacrifice pour l’expiation de ce péché ; mais ça, Moïse, lui, ne le peut pas. Ce sera la prérogative du Messie.

Néanmoins, Moïse est celui que la Gloire de YHWH approchera le plus près. « Je ferai passer ma beauté vers ta face », dit le v. 19. C’est très fort : ToVî, c’est le substantif de ToV, et Ki ToV est l’exclamation qui retentit comme un refrain tout au long du récit de la Création. On traduit toujours : « Et Dieu vit que c’était bon », alors qu’il vaudrait mieux traduire : « Et Dieu vit que c’était BEAU », parce que ToV ne traduit pas une qualité morale ; il traduit plutôt l’harmonie. La bonté en fait partie, mais au sens où la beauté engendre le sentiment de bonté. Là c’est la même chose : c’est l’irradiation de la Beauté de YHWH qui passe près de Moïse. Et comme le dit saint Jean de la Croix, la Lumière divine, cette Lumière avant tout intérieure, sursaturée de vie, rend aveugle et rend fou celui qu’elle illumine s’il n’y est pas préparé. Et cette Lumière est tout entière contenue dans le Nom de YHWH que Lui seul peut prononcer ! C’est un peu bizarre de dire ça, parce que YHWH signifie précisément en hébreu : LE NOM pour désigner précisément celui dont le Nom est imprononçable par les hommes.

Profitons de l’occasion pour aller un peu plus loin sur cette question. Prononcer ce Nom n’est pas seulement interdit : c’est tout simplement IMPOSSIBLE pour l’homme ! On a du mal à comprendre parce qu’aujourd’hui, donner un prénom à un enfant est de l’ordre du jeu : j’aime, j’aime pas ; ça me rappelle un héros de cinéma ou une chanteuse que j’aime bien. Or nommer, dans l’Antiquité, c’est inscrire la personne sous l’éclairage d’une destinée : ‘AVeRâHâM, père d’une multitude ; Ya“aQoV = le talonneur ; YeHONâTâN : donné par YHWH ; YeHOShua” : YHWH sauve ; DaViD : Bien-aimé, etc. etc. Donc le Nom de Dieu est imprononçable, parce qu’il est trop riche, trop plein de sens ; un Nom paradoxalement CHARNEL au sens le plus fort du terme — c’est tout le paradoxe de la CHAIR : en l’homme, la chair s’exprime à travers le corps, dont elle est la PART INVISIBLE… Elle est son histoire, sa mémoire ; elle est la dimension invisible du corps visible… Mais en YHWH, le CHARNEL n’est pas corporel. Le corporel est dans l’espace, alors que le charnel est dans le TEMPS. On a dit dans une vidéo précédente comment l’éternité n’est pas l’absence du TEMPS, mais la plénitude du TEMPS. Pour donner un exemple, quand on parle de la lumière intérieure de quelqu’un, voilà sa dimension charnelle, qui ne passe pas par des mots mais se donne à voir en procurant au temps une dimension éternelle : quand on a rencontré dans sa vie quelqu’un qui est animé par une telle lumière, notre mémoire en reste marquée pour toujours. Multiplions ça à l’infini, ôtons la dimension corporelle, et on touche alors quelque chose de la dimension CHARNELLE de YHWH comme la Source éternelle de cette Lumière Pure que nul mot humain ne saurait traduire parce qu’elle contient en Elle-même, d’un seul coup, en un seul ACTE dirait la philosophie, tous les secrets de l’Univers visible et invisible… Imaginez l’angoisse du Grand-Prêtre qui, tous les ans, doit entrer dans le Saint des Saints et prononcer ce Nom qui le saisit dans tout son être… Sans la Miséricorde, il en mourrait ! C’est une sacrée épreuve, au sens littéral !

Donc si YHWH passe devant Moïse en prononçant son Nom, si Moïse en réchappe, il pourra dire qu’il sait ce que signifie, pour YHWH, faire grâce et faire miséricorde ! Reste que : Ok pour voir la splendeur de YHWH ; ok même pour entendre son Nom, mais voir sa Face, ça, ça n’est possible que pour ceux qui habitent le monde céleste. Les anges contemplent la Face du Très-Haut, mais les hommes, non. Au point que la tradition enseigne que ceux que Jésus sauve ne contempleront pas l’essence divine du Père : ils contempleront l’Agneau, et par l’Agneau, ils seront unis au Père. Même l’Apocalypse ne dit pas que la multitude des sauvés voit la Face du Père. J’ai presque envie de dire, mais il faudrait travailler la question, que ceux qui meurent sans être attachés au Christ par le baptême ou par les œuvres de miséricorde, seront exposés à la Face du Père sans le filtre de l’Agneau, et ils n’y résisteront pas !

Enfin bref : tout ça compose donc la GLOIRE de YHWH, QaVoD, son Poids éternel qui Le fait régner sur l’Histoire de la Création et au-delà ; une GLOIRE qui est la source de la grâce et de la miséricorde que seul le Verbe peut contempler en plénitude pour, seul, être en capacité de manifester en sa CHAIR le Nom CHARNEL du Père : « J’ai manifesté ton Nom aux hommes que Tu m’as donnés. Père Saint, garde-les dans ton Nom que Tu m’as donné pour qu’ils soient UN comme NOUS. Et moi, la Gloire que Tu m’as donnée, Je la leur ai donnée pour qu’ils soient UN comme nous sommes UN. Moi en eux et Toi en Moi, pour qu’ils se trouvent accomplis dans l’unité, pour que le monde connaisse que c’est Toi qui m’as envoyé et que Tu les as aimés comme Tu m’as aimé. » (Jn 17,6.11.22-23). Voilà : encore une fois, Jésus répond à la prière de Moïse en la portant à son accomplissement le plus bouleversant. Pour l’heure néanmoins, cette Gloire n’ayant pas le filtre charnel du Christ pour être manifestée aux hommes, on comprend peut-être mieux pourquoi, lorsque YHWH, par un pur effet de sa grâce, passera dans sa Gloire, Il devra portéger Moïse de sa Main, c’est-à-dire de sa toute-puissance. Alors, dit mystérieusement le récit, Moïse pourra Le voir, mais DE DOS seulement. Comme pour dire : je suis un Dieu que l’on suit, et non un Dieu que l’on regarde les yeux dans les yeux. Suivre YHWH, marcher à sa suite, voilà l’énergie de la vraie Vie. Il y a une dynamique fantastique dans cette conclusion du ch. 33 qui mérite d’être recueillie dans le silence le plus profond de la contemplation, là où nul mot ne saurait être prononcé pour laisser toute la place au mystère CHARNEL qui se déploie à travers cette rencontre entre YHWH et la figure unique, tellement magnifique, de Moïse.

Je vous laisse lire cette prière sacerdotale de Moïse. Nous verrons la suite la prochaine fois en ouvrant le ch. 34.

Je vous remercie.
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