31-03-2016

[Ex] 73 - YHWH parlait à Moïse comme un homme parle à son ami

Exode 33:1-11 par : le père Alain Dumont
Le péché du Taurillon d'Or est expié. YHWH réitère sa promesse : Il guidera le peuple jusque dans la Terre Promise à Abraham, Isaac et Jacob. Mais c'est avec Moïse seul qu'Il parlera désormais.
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous lisons aujourd’hui le ch. 33 du livre de l’Exode. L’épisode du Taurillon d’Or est derrière nous, un épisode plein de tensions et de violence. Mais bon : c’est fini. Maintenant, il faut reprendre la marche. Seulement voilà : vu ce qui s’est passé, on ne peut pas repartir comme on est venu. Entre l’arrivée à l’HoReV et le départ, il y a eu précisément l’épisode du Taurillon, qu’on appelle souvent le “péché originel” d’Israël, parce qu’à bien y regarder, le scénario est le même qu’avec Gn 3. Dans la Genèse, ‘ÈLoHîM donne un commandement : « Tu ne mangeras pas du fruit de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal », puis Il se retire. À l’HoReV, Moïse proclame le Décalogue au nom de YHWH : « Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi », puis il se retire. Ne sachant pas si ‘ÈLoHîM va revenir, voilà Adam et Ève qui mangent le fruit défendu. Ne sachant pas si Moïse va revenir, le peuple fait confectionner la statue du taurillon par ‘AHaRoN. Résultat, Adam et Ève, désormais pécheurs, doivent se mettre en marche ; à l’HoReV, le peuple, qui se sait désormais pécheur, doit se mettre en marche. Dans l’un et l’autre cas, la marche sera leur salut. Donc on a bien ici affaire au péché originel des Fils d’Israël : désormais, YHWH ne se dédie pas, mais le peuple est à jamais marqué dans sa chair par ce péché et il sait qu’il ne doit sa survie qu’à la Miséricorde de YHWH.

Bref. Quoi qu’il en soit les v. 1 à 6 redonnent les fondamentaux. Une première étape a été franchie : on est sorti d’Égypte. Il faut passer à la deuxième : on se tourne résolument vers la Terre Promise aux Patriarches et à leur descendance, dans les mêmes termes qu’au ch. 3. On retrouve l’idée d’une terre où coule le lait et le miel, une expression qui, sans en avoir l’air, oriente le peuple du côté de l’Euphrate. Cette expression fait partie par exemple de rituels babyloniens au cours desquels on offre aux dieux le lait et le miel. Et sans aller si loin, en KaNa”aN, on célèbre Baal au printemps — le dieu de la fertilité — en chantant : "Les cieux font pleuvoir de la graisse et les torrents font couler du miel". Alors attention : il ne s’agit pas du miel des abeilles, mais du miel de DATTES, c’est-à-dire un sirop très dense qu’on utilise comme du sirop d’érable. Donc le lait et le miel symbolisent deux nourritures heureuses, intimes et maternelles qui devaient être suffisamment parlante pour pouvoir évoquer au peuple les territoires de la liberté, au-delà de la frontière Nord de l’Égypte. Et quand Israël reprend cette métaphore, c’est en la comprenant comme le signe que YHWH nourrit son peuple par-delà le désert. Rien à voir avec Charly et la chocolaterie où les rivières sont en chocolat et les arbres produisent des sucettes !!! Par ailleurs, cette expression fera fortune, puisque Isaïe la reprendra pour redonner l’espérance au peuple quand il sera menacé d’invasion : il annoncera la venue de l’Emmanuel en disant qu’il mangera DU LAIT ET DU MIEL (Is 7,15), une nourriture qui lui permettra de CHOISIR LE BIEN. On la retrouve aussi dans le Cantique des Cantiques pour évoquer la relation amoureuse. L’amante est décrite avec les caractéristiques de la terre d'Israël, de sorte qu’en l'embrassant, le roi goûte au lait et au miel (Ct 4,11), il atteint la Terre Promise. Donc cette expression du lait et du miel constitue une sorte de code pour susciter un esprit de conquête et un goût de l’aventure sans lequel personne ne se met en marche.

La fin du v. 3 est mystérieuse. « Je ne monterai pas au milieu de toi car tu es un peuple à la nuque dure ! ». Le meilleur commentaire ici est celui du Targum Jonathan qui glose le verset en disant : « il n’est pas possible que J’enlève la SheKhiNaH de ma Gloire du milieu de vous, mais ma Gloire ne demeurera pas là où vous établissez vos campements, de peur que je vous extermine en chemin car tu es un peuple à la nuque dure,. » Ici, l’interprétation devient claire : avant le péché du taurillon, la Gloire de YHWH, sa Présence, sa SheKhiNaH, était au milieu du peuple à travers la colonne de nuée. Mais depuis le péché, la chose n’est plus possible pour la même raison que Moïse avait lancé les Tables de Pierre pour les briser : rappelons-nous que s’il ne l’avait pas fait, la sentence de destruction aurait été inévitable et la Montagne se serait effondrée sur le peuple. C’est la même chose ici : si YHWH apparaissait dans toute sa Gloire au milieu du peuple, la fameuse SheKhiNaH ne pourrait que détruire le peuple désormais marqué par la trahison du péché. Pour continuer à être présent, il faudra donc que ce soit en dehors du campement, ce que la suite confirme, puisqu’au v. 7, on nous raconte que Moïse établit sa tente loin du camp, une tente qui prend nom de Tente de la Rencontre, ou Tente du Rendez-vous, avant que ce nom ne soit donné au Tabernacle qui, je vous le rappelle, n’existe pas encore.

Dès lors, il ne reste plus au peuple qu’à pleurer sur lui-même dans une attitude de deuil et de repentance : tout élu qu’il soit, il se découvre pécheur comme les nations... Alors pécheur, oui, mais pas abandonné pour autant ! Et là, il y a un grand message : l’élection convoque ici le peuple à l’humilité, là où jusqu’à présent menaçait la présomption, ou l’orgueil si vous préférez. Dans le fond, on l’a dit : Israël apprend qu’être élu ne signifie pas être le meilleur, mais consiste, tout en se reconnaissant pécheur, à se relever en acceptant dorénavant de se recevoir d’un autre, c’est-à-dire de YHWH. LÀ, ce peuple devient une lumière pour les nations. Il devient non plus seulement le témoin du vrai DIEU, mais du DIEU de Miséricorde, ce qui est infiniment plus essentiel et dépasse tout ce que les hommes peuvent imaginer. On peut songer ici au cantique de Marie : « YHWH disperse les superbes, Il élève les humbles. » Eh bien on peut dire que jamais la Vierge n’aurait pu chanter ça sans ce moment fondateur des ch. 32 et 33 du livre de l’Exode.

Les v. 5-6 quant à eux reformulent cet épisode, en y ajoutant cette parole de YHWH : « Dépose tes parures, que je sache ce que j’ai à faire pour toi ! » Dit autrement, YHWH attend de voir s’Il peut oui ou non faire miséricorde à ce peuple. Quelque part, ce geste renvoie aux anneaux arrachés des oreilles du début de l’épisode du taurillon, geste qui signifiait leur attachement à l’idole. Cette fois, on n’arrache pas tant qu’on se LIBÈRE : la racine NaÇaL est le verbe employé pour dire que YHWH a libéré son peuple, sous l’angle où Il a dépouillé l’Égypte des esclaves qu’elle s’était arrogés. Donc là, on se dépouille, on se libère VOLONTAIREMENT de ce qui rend esclave : en l’occurrence, on se dépouille des parures au sens où l’on se donne les moyens de ne plus retomber dans l’idolâtrie, n’ayant plus d’or, ni même d’autre métal précieux à arracher pour ce faire. Il s’agit ici d’une DÉCISION LIBRE de la part du peuple, de sorte qu’effectivement, YHWH sache quoi faire avec ce peuple. C’est comme la pénitence  après une confession. Il ne suffit pas de dire « J’ai péché ! ». Il faut poser un acte LIBRE qui signifie qu’on prend les moyens de ne plus retomber dans ce péché, comme pour signifier au Seigneur que recevoir sa miséricorde ne consiste pas à s’en tirer à bon compte en continuant simplement comme si rien ne s’était passé…

Bref. Du coup, Moïse prend sa tente et la monte HORS DU CAMP. Désormais, YHWH se manifestera dans cette tente, mais, comme il vient de le dire, ce ne sera plus au milieu de son peuple. Quand Moïse entrera dans cette première Tente de la Rencontre, YHWH se manifestera à lui, et le peuple assistera à cette rencontre, mais de loin, à distance. Et là survient un des plus beaux versets de toute la bible : « YHWH parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. » C’est au v. 11. Le livre des Nombre dira même que YHWH parlait avec lui bouche à bouche (Nb 12,8), comme pour dire que la ToRaH est en réalité comme un baiser de YHWH. Derrière cette expression, il y a toute la tendresse de YHWH qui s’exprime, mais qui, pour l’heure, n’est offerte qu’à Moïse. Vous voyez ? On est loin d’une ToRaH dont on manipule parfois les mots comme des outils de pensée. Ce sont les mots de la ToRaH qui sont nos Maîtres, et non l’inverse, parce que ce sont les mots même de YHWH qui ne peuvent être reçus que dans le cadre d’une amitié. Je vous laisse l’interprétation du Targum, très suggestive pour nous, chrétiens : « YHWH parlait à Moïse de vive voix. Il entendait la voix du Verbe — de la MeMRaH — mais ne voyait l’éclat d’aucune face —, comme un homme PARLE à son ami. » Voilà, comme on le verra un peu plus tard, on ne peut pas VOIR YHWH, mais on peut l’écouter dès lors qu’on le reçoit comme un AMI : Ré“a, un mot très riche qui vient de la racine Râ“âH, qui veut dire PAÎTRE, mener les troupeau, mais aussi SUIVRE, et par suite AIMER. Dit autrement, l’AMI, c’est celui que l’on AIME SUIVRE, un thème que saint Jean, le plus juif de tous les évangiles, exploitera en désignant Jésus à la fois comme l’AMI et le PASTEUR. Voyez : là encore, le lien est intime entre Moïse et Jésus, surtout si l’on suit l’interprétation du Targum qui fait converser Moïse avec le VERBE de YHWH. Moïse est vraiment ici la figure qui prépare celle du MESSIE qui devra lui succéder, et à l’époque de Jésus, toute la tradition orale allait dans ce sens, comme en témoigne le Targum. Que les rabbins aient mis ce genre de textes à l’index après 70 et pendant les siècles qui ont présidé à la rédaction du Talmud se comprend parfaitement : de leur point de vue, pour ainsi dire, ça donnait trop de billes à une interprétation chrétienne dont il fallait préserver la tradition juive. Sauf qu’à l’époque du Christ, cette attente du Messie forgée sur l’amitié entre Moïse et la MeMRaH était dans tous les esprits. On la retrouve évidemment dans l’épisode de la Transfiguration rapportée par les évangiles synoptiques.

Le verset 11 se termine quant à lui par la considération de Josué qui reste à l’intérieur de la TENTE DE LA RENCONTRE. Il est vraiment celui qui suit Moïse au plus près. Il peut même rester dans la TENTE DE LA RENCONTRE, dans la mesure où il est le seul à ne pas avoir participé à la grande trahison de l’Alliance par le peuple. Il est ici la FIGURE type du disciple qui recueille de son Maître la sagesse, mais aussi celui qui veille sur son Maître, comme dit Pr 27, v. 18 : « Qui veille sur le figuier jouira de ses fruits, qui veille sur son maître recueillera de l'honneur. » Et de fait, Josué est celui qui recueillera l’honneur de son Maître, une fois qu’il aura reçu l’imposition de ses mains, pour pouvoir guider le peuple en Terre de la Promesse, après que Moïse se sera retiré. Peu à peu, de manière très subtile, le récit introduit sa figure. On n’en saura pas plus pour l’instant.

Je vous souhaite une bonne lecture de cette première partie du ch. 33 du livre de l’Exode. Je vous remercie.
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