31-03-2016

[Ex] 72 - Le Péché Originel d'Israël

Exode 32:21-35 par : le père Alain Dumont
Tout aurait du aller dans le sens de la liberté et de la vie, et voilà qu'Israël choisit l'esclavage et la mort en désobéissant au Décalogue : Tu ne te feras pas de statue idolâtre. Quelle va être la réponse de YHWH ?
Duration:19 minutes 15 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous terminons aujourd’hui notre lecture du ch. 32 du livre de l’Exode, à partir du v. 21, et vous allez voir que nous ne sommes pas au bout de nos surprises, voire de nos difficultés. Donc : Moïse a détruit le taurillon en poussière et l’a fait boire au peuple. On pourrait se dire : bon, allez, ce n’est qu’un mauvais passage, c’est pas si grave : on passe l’éponge et on continue ! Eh bien détrompez-vous : ça va chauffer ! Et ça va même chauffer jusqu’à la limite du supportable… Moïse se tourne vers son frère ‘AHaRoN, et lui demande, non pas ce qu’il a fait lui, mais ce que lui a fait LE PEUPLE pour qu’il consente à tomber dans l’idolâtrie ? Donc a priori, Moïse n’envisage pas que ‘AHaRoN ait fomenté l’émeute. Et objectivement, ‘AHaRoN ne le contrarie pas : « Tu sais que le peuple est dans le mal ; c’est lui qui a fait pression sur moi. » Alors là, je veux bien que les rabbins déploient une énergie monumentale pour montrer que ‘AHaRoN, en fait, prend sur lui le péché du peuple jusqu’à quasiment s’offrir à sa place, mais franchement, le texte ne va pas dans ce sens. Et pourtant, Dieu sait si en général je suis enclin à suivre leurs développements. Même Moïse, dans le Dt au ch. 9, dit que « Contre ‘AHaRoN aussi YHWH est entré en grande fulmination de narine, jusqu’à vouloir l’anéantir, et j’ai prié aussi pour ‘AHaRoN en ce moment-là. » (Dt 9,20) Alors admettons qu’il ait eu peur, il n’empêche : il a donné corps à l’émeute, et ça, c’est un fait. En tout cas, ce qui est sûr à sa décharge, c’est que ce n’est pas lui qui est à l’origine de l’émeute. Je vous passe les développements rabbiniques sur le fait que le taurillon serait sorti du feu comme par magie, ça non plus, ça ne tient pas la route, le texte ayant explicitement établi qu’il y avait au contraire mis tout son art, au v. 4. Quoi qu’il en soit, la faute est véritablement celle DU PEUPLE. Moïse a évité la catastrophe en brisant les tables, on en a vu les raisons lors de la vidéo précédente, mais ça ne saurait suffire.

Et là, ça devient violent : accrochez-vous ! « Moïse vit que le peuple avait régressé car ‘AHaRoN l’avait fait régresser », dit le v. 25, c’est le verbe PâRa“ qui est utilisé, qui signifie reculer, s’égarer, régresser, mais aussi dissoudre, au sens de désorganiser. Bref : c’est le retour au CHAOS. Mais il y a plus, parce que PâRa“, c’est la racine de PaRe“oH, c’est-à-dire PHARAON ! Donc le texte suggère quelque chose de très fin, et c’est comme ça qu’il faut entendre l’hébreu : c’est une langue prodigieuse, intuitive et très ludique, et d’une richesse infinie ! Donc quand on entend par deux fois dans la même phrase le verbe PâRa“, c’est que le récit nous dit : « Écoute bien ! Je suis en train de te dire que le peuple s’est remis sous la coupe de Pharaon », donc il est vraiment en régression : il est revenu en esclavage ! C’est une tentation qui a déjà été la source de toutes ses révoltes précédentes, souvenez-vous : lorsqu’ils sont pris en étau entre les chars de Pharaon et la mer : « Que nous as-tu fait sortir d’Égypte ? Mieux vaut pour nous être esclaves de l’Égypte que de mourir au désert ! » (Ex 14,12) Et juste avant le don de la manne et le vol des cailles, quand le peuple meurt de faim : « Que ne sommes-nous morts de la main de YHWH dans la terre d’Égypte quand nous étions assis près des chaudrons de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! » (Ex 16,3). Eh oui ! Quand la liberté se présente avec ses exigences, on en vient toujours à se dire qu’il est plus confortable d’être des esclaves… Et c’est la même chose aujourd’hui ! Du coup, qu’est-ce qui s’est passé lorsque Moïse disparaît à leurs yeux ? En adorant le taurillon, en ressuscitant Joseph d’une certaine manière, ils sont revenus en Égypte, mais une Égypte plus sournoise encore, car cette fois, elle est INTÉRIEURE, infiniment plus ravageuse et meurtrière que l’Égypte extérieure ! Comprendre ça va nous permettre de mettre des mots sur la suite.

Moïse rejoint alors la porte du camp. La PORTE, c’est le lieu où l’on rend les jugements, parce que la porte d’un camp ou d’une ville est synonyme de SÉCURITÉ : c’est là qu’on fait les affaires, qu’on filtre les étrangers, qu’on tient des meetings ; c’est de la porte de la ville qu’on part en guerre, etc. Donc la PORTE, dans l’Antiquité, est un lieu éminent de la cité. Et c’est donc à la porte du camp que Moïse crie : « À moi, ceux qui sont pour YHWH ! » C’est-à-dire : « Ceux qui veulent suivre le taurillon, revenir sous le joug de Pharaon, qu’ils choisissent le chaos ! Ceux qui choisissent la liberté, qu’ils viennent à moi ! » Là, on songe à Jésus qui hurle dans le Temple : « Qu’il vienne à moi, celui qui a soif, et qu’il boive ! » (Jn 7,37), c’est-à-dire : « À moi, ceux qui sont pour le Dieu la Vie ! » La suite n’est évidemment pas la même, puisque la mort qui s’ensuit sera celle de Jésus. Dans le récit de l’Exode, une mort va suivre, mais ce sera celle de ceux qui l’auront choisie… Du coup, le récit nous dit : « Tous les fils de Lévy se rassemblent vers lui ! » On imagine l’avancée de tout le clan en une seule masse — Wrouff ! —. Là, c’est la solidarité familiale : Moïse est un Fils de Lévy, ne l’oublions pas. Et les Lévites sont les gardiens de la mémoire d’Israël depuis la mort de Joseph en Égypte.

Et là, attention : ça va être sanglant. Moïse ordonne d’aller de PORTE en PORTE, c’est-à-dire de clan en clan — je vous rappelle que la porte est le lieu où l’on rendait la justice, donc où se vivaient les procès, donc il ne s’agit pas d’une extermination de masse : la tradition orale dit bien que les hommes étaient entendus équitablement. Dès lors, qui se prononçaient contre YHWH se rendaient coupable de haute trahison. Là, il faut entendre que les lévites étaient chargés d’exécuter les sentences sans acception de personne : ni frère, ni compagnon, ni proche en quelque manière… Le verbe employé va en ce sens : ce n’est pas celui du Décalogue, RâÇaT, assassiner. Ici, c’est le verbe HâRaG, qui signifie tuer au sens d’exécuter. Alors maintenant, regardons le chiffre : 3000 hommes, ça fait beaucoup, mais c’est sur une masse officielle de 600 000 têtes, d’après les chiffres d’Ex 12,37, ça fait 0,5% des hommes. Si on réduit à une population plus réaliste de 6000 individus, femmes et enfants compris, c’est-à-dire au maximum 3000 hommes, ça fait une quinzaine d’exécutions. Ça n’est pas pour le plaisir de réduire, mais c’est le même phénomène que pour le massacre des saints innocents à la naissance de Jésus : l’épisode est tellement marquant qu’on a l’impression que des milliers d’enfants ont été exécutés, alors que dans les faits, au regard de la population de l’époque, on sait qu’il n’a pas dû y en avoir plus de deux dizaines. C’est déjà énorme, on est d’accord, mais dans la mémoire, ce nombre a été multiplié au prorata de l’impact psychologique qu’il a suscité. Ou alors, si vous préférez, c’est un peu comme pour le nombre des participants d’une manifestation : il y a le nombre communiqué par les organisateurs et celui de la police. Eh bien ici, on a le choix entre 3000, le nombre annoncé par le récit, et 15, le nombre préconisé par le recul de l’histoire. On a aussi le droit de faire une moyenne entre les deux.

Quoi qu’il en soit, Moïse n’a certainement pas pris cette décision avec plaisir. Reste qu’à ce moment fondateur de son histoire, Israël ne peut pas se permettre d’accepter en son sein des hommes qui ne sont pas attachés à l’élection. S’affirmer devant les juges pour le taurillon et contre YHWH, c’était signer son arrêt de mort en connaissance de cause. Le v. 29 fonde alors l’institution des Lévites sur cet événement, en récompense pour leur fidélité sans faille en faveur de YHWH. Ils n’en forment pas une police pour autant : leur mission n’est pas de jouer à la gestapo. Il est plutôt de constituer la couronne protectrice de la figure de ‘AHaRoN, qui a d’ailleurs disparu du récit à ce stade. Le Grand-Prêtre est vulnérable : voilà la leçon ici. Maintenant, d’un point de vue historique, on peut dire que l’institution des lévites — ou leur consécration, parce que l’expression Recevoir l’investiture se dit en fait en hébreu : MiLe‘O YèDeKhèM = Remplissez vos mains : c’est la même expression que pour la consécration des prêtres en Ex 29,9. On peut donc dire que la consécration des Lévite est le prolongement de leur office dans le Sanctuaire Mémorial de Joseph dont la garde avait été confiée à la descendance de Hévy, un des frères de Joseph, sachant que le H et le L en égyptien étaient confondus dans la langue égyptienne. D’où Hévy qui devient ici Lévy, je n’y reviens pas. Alors vous me direz : « Si le taurillon représentait Joseph, ils auraient dû être les premiers à se réjouir de sa réapparition ! » Que nenni ! Ce qu’ils ont gardé, c’est la TRADITION de Joseph qui remontait aux Patriarches ; jamais, pour leur part, Joseph n’a été divinisé : il ne le sera que bien plus tard, après Alexandre le Grand, sans doute précisément parce que la garde lévitique de la tradition de Joseph avait depuis longtemps disparu. Ce qu’ils vénéraient, c’était le dieu personnel de Joseph, qui était le MASQUE du Dieu des pères ; ce Dieu dont Moïse, l’un des leurs et non des moindres, avait reçu la révélation du Nom : YHWH, le DIEU d’Abraham, Isaac et Jacob. La confusion n’était plus possible. Les Lévites font donc corps avec Moïse et son frère ‘AHaRoN en scellant de leur fidélité leur attachement au Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob qui les bénit pour cette fidélité, mais entendons une fidélité qui remonte à 430 ans ! Ça n’est pas rien !

Alors peut-être ce récit comme tel est-il choquant, j’en conviens, mais au moins, il nous dit bien qu’il ne ressort pas de la catégorie des contes de Grimm ! On dit tout, le meilleur comme le pire, les solutions les plus joyeuses comme les plus terribles, et on livre tout à la face du monde… Et de ce point de vue, reconnaissons encore une fois que ce texte ne manque pas de noblesse. On n’est pas en train de se gargariser de victoires d’un clan contre un autre : on tente d’exprimer la quête DIFFICILE d’un chemin de sainteté pour éclairer les nations, jusqu’à assumer les violences les plus intérieures, comme pour dire aux nations : « C’est pour vous que nous avons traversé ces épreuves ; pour vous dire combien l’homme, tout homme, a besoin d’être sauvé au plus intime de lui-même. »

Alors la suite nous parle de pardon, ou plus exactement, comme au début du chapitre et former une inclusion claire qui enchâsse le récit dans une belle unité de sens, on nous parle de L’INTERCESSION de Moïse. Et là, on franchit un cap par rapport à l’intercession abrahamique : « Ah, dit Moïse, si tu levais leur péché ! Sinon, efface-moi, je te prie de ton livre que tu as écrit. » (Ex 32,21) Voilà : il est LE JUSTE, unique, dont l’intercession pourra être agréée ; le JUSTE innocent qui prend sur lui le péché de son peuple, non pas tant pour mourir à sa place que pour mourir AVEC LUI dans l’option où le pardon ne pourrait être accordé. Moïse est ici une préfiguration prophétique du Christ mourant pour les pécheurs. Et quoi qu’il en soit, Moïse entérine son refus d’être érigé en nouveau commencement d’une histoire repartant à zéro, comme l’évoquait YHWH dans l’épreuve de la tentation au v. 10. Le livre, ou le rouleau dont il est question est le lieu de la MÉMOIRE, comme c’était le cas déjà en Ex 17,14, ou en Ex 24,7 : tout homme juste est inscrit dans le livre de Vie, c’est-à-dire le livre qui donne la Vie et garantit au juste qu’il est inscrit dans la mémoire de YHWH : ses jours, ses gestes comme le chante le Ps 139, mais aussi ses larmes, etc. Ce n’est pas un livre de jugement : c’est le livre qui atteste que JAMAIS LE JUSTE NE SERA OUBLIÉ DE DIEU. Et si par malheur, une sentence s’abattait sur le peuple, ce qui signifierait une réprobation éternelle, Moïse demande, tout juste qu’il soit aux yeux de YHWH, d’être réprouvé avec le peuple auquel il appartient. Vous voyez : le peuple n’appartient pas à Moïse, comme le suggérait le v. 7 ; mais il appartient irréductiblement à ce peuple, de sorte que rien ne peut affecter les Fils d’Israël sans affecter Moïse ipso facto. Poussé à l’infini, on a la même dynamique qui attacha, par la CHAIR, le juste Jésus à tout le genre humain.

La réponse de YHWH est mystérieuse, mais elle affirme en définitive un principe fort : LA JUSTICE NE PEUT SE COMPROMETTRE AVEC L’INJUSTICE. Moïse n’a pas péché, ni Josué d’ailleurs, et donc YHWH ne peut se résoudre à traiter le juste comme les injustes, et c’est ce qui sauvera ces derniers en leur donnant un temps supplémentaire pour faire TeShouVaH, pour se convertir, retourner à YHWH. Patience, donc. Un châtiment devra intervenir, mais non dans l’injustice. On a le même thème dans la parabole de Jésus sur le champ de blé mêlé d’ivraie. Eh bien ici, quand bien même ne subsiste qu’un seul épi de blé au milieu d’un champ entier d’ivraie, YHWH n’arrachera rien, de peur que le peu de blé le soit avec le reste. La moisson viendra en son temps. La marche reprend, et là c’est intéressant, parce que la marche est synonyme de chemin de conversion. On l’a déjà dit dans d’autres vidéos : la marche est le support le plus efficace pour permettre de changer de vie. Si vous n’allez pas bien, partez à pied à Saint Jacques de Compostelle, à Ste Anne D’Auray, au Mont St Michel, à Paray-le-Monial, où vous voulez ! Et vous verrez : vous irez mieux. Ce remède est celui que YHWH applique à Adam et Ève en les expulsant du Jardin d’Éden ; ou quand il envoie son peuple en Exil. Et ça n’est qu’après la marche qu’interviendra le châtiment, pour ceux qui n’auront pas saisi l’occasion de la médication pour guérir de leur mal. « C’est en votre faveur que le Seigneur patiente », écrira en ce sens saint Pierre dans sa seconde lettre, au ch. 3. « Le Seigneur […] prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. » (2P 3,9). YHWH, par son ange, son messager, préside à cette marche, comme le Christ préside à celle qu’il ouvre à tout homme qui met en Lui sa foi. Magnifique verset où la fidélité de YHWH est chantée. Pour reprendre saint Paul : « Si nous sommes infidèles, [le Seigneur] reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même. » (2Tim 2,13).

Alors le ch. se termine par un curieux verset qui semble contredire ce qui précède : « YHWH frappa le peuple parce qu’il avait fait le taurillon. » (v.35). Pourtant, il n’est pas utile d’invoquer une peste, comme le font les rabbins. C’est bon, le peuple a compris, pas la peine d’en rajouter… ça devient pervers. En fait, ce verset conclut tout simplement le drame qui vient de se dérouler. Il faut entendre : « Ainsi YHWH frappa le peuple… », comme traduit d’ailleurs le Targum, pour bien affirmer que le péché ne peut pas rester impuni, mais que l’heure est à présent au ressaisissement de soi, à la reprise de la marche. Il ne sert à rien de se figer sur le passé. Il faut avancer en essayant de tirer les leçons de l’histoire qui restera dans toutes les mémoires. On ne peut pas faire n’importe quoi dans l’Alliance dont le cadre est constitué par la JUSTICE qui engendre non la peur, mais la CRAINTE ; non la CRAINTE de YHWH mais la CRAINTE de sa JUSTICE et de la MISÉRICORDE : voilà la véritable source de vie, dira le livre des Proverbes au ch. 19, v. 23. Là est le commencement de la Sagesse, chantera dans le même sens le Ps 111(110), au v. 10.

Je vous souhaite une bonne lecture de ces derniers versets d’Ex 32. Nous reprendrons la marche la prochaine fois. Je vous remercie.
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