04-11-2015

[Ex] 49 - Les 5 dernières Paroles du Décalogue

Exode 20:13-17 par : le père Alain Dumont
Nous terminons la lecture du Décalogue en découvrant comment les 5 dernières Paroles s'articulent les unes aux autres, et comment elles conduisent au plus intime du cœur de l'homme.
Duration:19 minutes 55 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/les-5-dernieres-paroles-du-decalogue.html)
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article

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Bonjour.

Nous terminons notre lecture du Décalogue. Vous vous rappelez comment la notion du Temps est au cœur de cette série de Paroles. Donc il y a bien des chances que les derniers commandements s’inscrivent dans cette dimension du temps.

D’abord, le fameux : « Tu ne tueras pas », « Lo RaTsaH’ ». C’est la 6e Parole, au v. 13. En réalité, il serait plus exact de traduire : « Tu n’assassineras pas », parce que RaTsaH’ signifie tuer, au sens du meurtre volontaire. Là, on renoue avec les commandements négatifs. Positivement, on aurait eu quelque chose comme : « La Vie appartient à DIEU, en conséquence de quoi tu la favoriseras ! » Certes. Seulement formuler la chose négativement est beaucoup plus clair : favoriser la vie commence par ne pas verser le sang de ton frère, comme l’évoque une racine proche, RaTsa“, qui dit le fait de « percer » ; et donc percer son frère, c’est verser son sang. Mais, en définitive, qui verse le sang ? Eh bien : c’est celui qui approprie le droit de vie ou de mort, et là c’est grave, parce que c’est se faire DIEU à la place de DIEU. C’est donc se mettre au service de l’idole, et hop, on retrouve les premières paroles du Décalogue : le tout est très cohérent, qui s’inscrit à présent dans la chair, dans la vie concrète des hommes. Et on voit comment le Décalogue articule l’obéissance à DIEU et ce qu’on appellera plus tard l’amour du prochain. Par ailleurs, assassiner, c’est s’immiscer dans le Temps pour le casser ! C’est briser le cours de la Création, c’est se poser en ennemi de DIEU dans son ordre le plus saint en portant atteinte à la chair même de l’homme ; ! On sent bien qu’on touche là au comble du mal. Et ça n’est pas fini.

Vient ensuite l’interdiction de l’adultère au v. 14. « Lo TiNaPh ! » Ni’OuPh, en hébreu, c’est l’adultère. On pourrait traduire : « Tu n’adultèreras pas ! » C’est la première fois qu’on rencontre ce thème, et on va le revoir souvent par la suite. Pour l’instant, difficile d’en dire grand-chose, sinon que cet interdit est posé au FONDEMENT DE L’ALLIANCE. On nous expliquera plus tard pourquoi cet interdit, mais en attendant, le cadre est clairement posé. Alors évidemment, à travers ce commandement, c’est l’institution du mariage qui est le véritable fondement de l’Alliance. Mais vous voyez à nouveau la puissance de la formulation négative. Lancer de manière lapidaire : « Tu n’adultèreras pas ! » est plus efficace que de dire : « Le mariage est une institution divine qui possède un caractère sacré et inviolable ! ». Les deux propositions disent la même chose, mais le premier est plus efficace ! Quoi qu’il en soit : ce qui est remarquable et unique ici, ce n’est pas tant d’adopter une loi sociale qui existe par ailleurs, que de l’inscrire dans le Décalogue et faire de cette loi sur l’inviolabilité du mariage un élément incontournable de l’Alliance, au même titre que le respect absolu de la vie d’autrui. L’importance de ce commandement n’est pas tant sa force morale que le fait qu’à partir de lui, les prophètes, à commencer par Osée, dépasseront tout ce qu’on peut imaginer en termes de connaissance de DIEU et de son projet Créateur !

Et puis une dernière chose : le rapport au Temps. Là, il s’agit du temps qui s’inscrit ENTRE LES GÉNÉRATIONS, qui concerne donc à nouveau la Vie, mais la vie en tant qu’elle se TRANSMET. L’important n’est pas ici la vie du couple, on n’en est pas encore là ! Le bien premier du mariage à cette époque, ce sont les enfants. Pas seulement pour la marmaille en elle-même, mais parce que derrière, il est question d’une part du rapport aux Origines — rappelez-vous l’importance des généalogies — et d’autre part du rapport à la Promesse, c’est-à-dire à l’avenir identitaire du peuple des Fils d’Israël ; et évidemment, Origine et Promesse ne tiennent que par l’élection, et donc par l’Alliance avec YHWH. Si YHWH, comme on l’a dit dans une vidéo précédente, ne se rencontre que dans le Temps, alors c’est qu’Il se rencontre dans cette succession de générations dont le mariage est le garant identitaire ; et l’adultère, en semant la confusion dans le Temps, en annexant la femme d’un autre, donc en s’enfermant dans l’avoir au lieu de privilégier l’être ; eh bien : l’adultère fait de l’homme un ouvrier des idoles et menace la pérennité de l’Alliance dans le temps, et donc la pérennité du peuple tout entier.

Voyons maintenant la 8e parole : « Tu ne voleras pas », au v. 15. « Lo TiGNoV ». Le verbe GaNaV peut signifier le rapt de personnes (on le verra dès le ch. suivant), mais, le plus souvent, il concerne le vol d’objets ou d’animaux. On reste toujours dans la même dynamique. On pourrait dire que le « Tu n’assassineras pas », c’est : « Tu ne voleras pas la vie d’autrui » ; de même que « Tu n’adultèreras pas », c’est : « Tu ne voleras pas la femme d’autrui. » En définitive, l’appropriation indue va du plus large — la vie —, en passant par le particulier de la femme — qui transmet la vie —, au plus universel : tu ne voleras… rien. Ici, on est dans l’absolu le plus strict du commandement. Maintenant, là encore, c’est un commandement qu’on retrouve bien avant l’époque de Moïse dans d’autres législations. Donc ici, la ToRaH ne prescrit rien de bien original en soi. Mais n’oublions jamais que lorsque la Torah prend à son compte des règles universelles, c’est toujours à la lumière de l’Élection et de l’Alliance. Donc la véritable question devient celle-ci : en quoi le vol met-il l’Alliance en péril ? Et là, il faut revenir à la dimension du Temps. VOLER, c’est se figer dans l’espace matériel, dans l’AVOIR ; alors qu’il s’agit, DANS L’ALLIANCE, d’habiter le Temps, de BÂTIR le Temps, c’est-à-dire apprendre à ÊTRE. Seulement je ne peux apprendre à ÊTRE qu’en me recevant d’un AUTRE. Et cet AUTRE, c’est évidemment YHWH, mais c’est YHWH en tant qu’Il se donne à recevoir à travers la CHAIR de TOUT UN PEUPLE. Le cadre de l’Alliance concerne des FILS — les Fils d’Israël —, et être FILS, c’est précisément se recevoir d’un autre, qui ici est Jacob-Israël, et avec lui ses propres pères Abraham et Isaac. Je vous le redis : la CHAIR, c’est ce qui est inscrit en moi comme une MÉMOIRE qui façonne tout mon être qui s’enracine dans un passé pour le déployer dans la dynamique d’une fécondité créatrice. Il n’y a pas de temps présent en hébreu, et c’est sagesse, parce que le danger du temps présent, c’est qu’on soit tenté d’y rester, et c’est là qu’on s’avilit à l’espace qu’on tente alors de figer comme un acquis. L’espace, c’est le royaume figé des idoles là où le Temps est le Royaume vivant de DIEU. Du coup, voler, c’est choisir de figer le temps dans le présent ; se mettre HORS DU TEMPS, hors de l’histoire, hors du cadre de la LIBERTÉ que constitue l’Alliance pour revenir à l’esclavage du pur matériel dans le pur instant de la survie individuelle. Et c’est grave, parce qu’un Fils d’Israël est lié charnellement à son peuple. Son histoire n’a de réalité qu’inscrite dans la MÉMOIRE du peuple tout entier ! Donc, en vertu de ce lien, que ce soit dans le bien ou dans le mal, l’acte d’un seul impacte nécessairement TOUT LE PEUPLE auquel il appartient ! Voler, c’est figer le peuple élu dans l’espace des idoles et contrecarrer la trajectoire de l’élection. Ça va bien au-delà de la seule question de l’immoralité de l’acte : le décalogue met le fils d’Israël devant les conséquences du vol : le voleur coagule la circulation de vie et de créativité du peuple tout entier auquel il appartient. On ne peut pas imaginer plus grave… En tout cas, avec le meurtre, l’adultère et le vol, le Décalogue nous présente les fautes fondamentales, capitales pourrait-on dire, puisqu’elles sont à la tête de toutes les autres fautes qui ne sont jamais que la conjugaison plus ou moins subtile de ces trois fondamentaux.

On pourrait dire cependant que la 9e parole, an v. 16, ajoute un 4e fondement : le faux témoignage, c’est-à-dire le fait de se rendre complice des trois fautes capitales qui viennent d’être énoncées. Normalement, d’après le Livre des Nombres et celui du Deutéronome (Nb 35,30 ; Dt 17,6 ; 19,15), aucun jugement ne peut être prononcé sans la déposition d’au moins deux témoins, sous-entendu : à charge contre l’auteur d’un des interdits qui viennent d’être énoncés. Il faut croire que la pratique du faux témoignage était assez répandue à en croire l’insistance des textes législatifs (Ex 23,1-3 ; Lv 19,15-16 ; Dt 16,19-20) ; les dénonciations des prophètes (Is 1,23 ; 5,23 ; Am 5,7.10-12 ; Mi 3,1-3.9-11) ; et les plaintes régulières du psalmiste (Ps 27(26)12 ; 35(34),11), etc. Donc s’il faut ne pas pratiquer les trois interdits précédents, il est aussi grave d’en accuser autrui sous la bannière du mensonge volontaire. Ça ne plaisante pas ! Alors comment faire pour ne pas tomber dans ce piège ? C’est précisément l’objet de la 10e parole, au v. 17 : « Tu ne convoiteras pas… » Et là, on passe à un autre registre, beaucoup plus intérieur.

Qu’est-ce qui peut en effet pousser au meurtre, à l’adultère ou au vol ? Réponse : la convoitise intérieure. Alors là évidemment, on s’étonne : comment une loi peut-elle avoir prise sur ce qui ne relève pas de faits extérieurs ? La convoitise est peut-être immorale, mais elle n’est pas, en soi, illégale ! Sauf que cette 10e parole envisage la prévention du meurtre, de l’adultère et du vol. Rappelons-nous la sentence du Christ : « Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur. » (Mt 5,28) Jésus ne fait rien d’autre que de reprendre le 10e commandement du Décalogue en le reliant à la 7e parole. En définitive, l’acte extérieur n’est jamais que la conséquence d’une décision intérieure qui lui a ouvert la route ! Donc il est très important de mettre cette décision intérieure en travail.

Dans le fond, on a en filigranes le projet de YHWH d’inscrire la Torah sur le cœur, comme dira Jérémie ; avant même que de l’inscrire sur les tables de pierre, le projet CHARNEL de la Torah est énoncé. Dit autrement, le Décalogue ne vise pas uniquement à cadrer ce qui est extérieurement légal, mais vise d’ores et déjà la droiture du cœur, qui est comme le préambule de toute la ToRaH. Mieux encore : que fait la convoitise, sinon rendre esclave celui qui est visé par elle ? Or YHWH ne vient-Il pas justement de sortir le peuple de l’esclavage ? Donc la 10e parole est le commandement de la LIBERTÉ ACCOMPLIE ! Une LIBERTÉ qui ne consiste pas à être libre de faire ce qu’on veut et évidemment tout faire pour ne pas être pris en défaut légalement, fut-ce assassiner, adultérer, voler ou mentir. Il s’agit d’une LIBERTÉ qui refuse de faire de l’autre un esclave ; dit autrement, le Décalogue vise une LIBERTÉ qui se reconnaît à ce qu’elle REND LIBRE ! Et là, vous avez une magnifique inclusion avec le v. 2 qui rassemble tout le Décalogue pour nous l’offrir comme une formidable convocation, par YHWH, à la LIBERTÉ. : YHWH LIBÈRE pour qu’à leur tour, dans le rayonnement de YHWH, les Fils d’Israël soient des LIBÉRATEURS ! De sorte qu’on pourrait dire que le Décalogue, c’est l’enracinement de la liberté extérieure dans la liberté Intérieure. Et dans le fond, c’est là tout l’enjeu de l’Exode ; tout l’enjeu des Exils dans lesquels YHWH renvoie son peuple à chaque fois qu’il oublie cette liberté intérieure, qui entraîne toujours la perte de la liberté extérieure. Passer de la liberté extérieure à la liberté intérieure, voilà ce que la Torah, et toute la Bible jusqu’au Christ Jésus, appellera la « marche » des enfants d’Abraham à qui YHWH avait dit, dès les premiers mots qu’il a adressés au Patriarche : « Va vers toi ! ». Eh bien, le Décalogue est le dévoilement de cet itinéraire, de cette trajectoire de Salut. « LeKh LeKha ! ».

En ce sens, il y a une par ailleurs une autre manière de lire le Décalogue. Plutôt que comme une série de commandements, on peut le lire comme une série de promesses : « Si Tu reconnais que je suis YHWH qui t’ai fait sortir de la Terre d’Égypte, de la maison des esclaves, alors tu n’auras pas d’autre dieu en face de moi, tu ne feras pas de statues, tu ne te prosterneras pas devant eux, tu ne prononceras pas le Nom de YHWH en vain, tu observeras le ShaBaT, tu glorifieras ton père et ta mère, tu n’assassineras pas, tu n’adultèreras pas, tu ne voleras pas, tu ne témoigneras pas à faux, tu ne convoiteras pas. » Du coup, vous entendez ? Le Décalogue résonne comme le programme offert à ceux qui se laissent libérer par YHWH, non seulement des limites extérieures qui les emprisonnent, mais surtout de ces murailles intérieures qui ne cessent de se rapprocher en resserrant l’espace jusqu’à l’étouffement, comme dans une Nouvelle d’Edgar Poe, un roman de Kafka ou l’Écume des Jours de Boris Vian. À quoi reconnaît-on le JUSTE selon YHWH ? À ce que les paroles du Décalogue se vérifient dans sa vie, non comme des impératifs, mais comme des fruits de sa liberté intérieure qui libère ses frères. L’avoir n’a plus de prise sur le juste ; seule compte la SANCTIFICATION DU TEMPS par laquelle lui est ouvert le Règne de YHWH, par laquelle toute la Création lui est reconfiée comme elle le fut pour Adam et Ève avant le Péché Originel. Non pas comme un retour aux origines, mais comme un accomplissement du projet divin déclaré dès le commencement. C’est ce que les chrétiens contemplent en plénitude dans la figure du Christ Jésus auxquels ils s’attachent pour marcher à sa suite sur le chemin de la Vérité et de la Vie.

Voilà pour quelques considérations concernant le fameux Décalogue, qu’on retrouvera avec quelques variantes, au ch.5 du Dt. On pourrait en parler des heures, mais on a vu le principal. Rappelons-nous que nous sommes ici, non pas devant une simple charte législative, mais au fondement de ce qui constitue l’Alliance comme cadre de la relation entre YHWH et le peuple élu. Qu’il soit ancien ou tardif nous importe peu. Ce qui importe, c’est de comprendre que cette charte constitue vraiment l’âme du peuple de l’Alliance, depuis la génération qui est sortie d’Égypte jusqu’à aujourd’hui, en passant par son plein accomplissement en la Personne du Christ Jésus, pour que soient enfin célébrées les Noces éternelles entre YHWH et sa Création transfigurée. Tout ce qui va suivre n’est que le développement de ce programme formidable, au cœur des affaires les plus quotidiennes, à commencer par la mise en place du culte de YHWH. Ce sera l’objet des prochains versets du ch. 20 que nous découvrirons la prochaine fois avant d’ouvrir les chapitres suivants.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Je vous remercie.

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