14-10-2015

[Ex] 47 - Fais mémoire du ShaBaT pour le sanctifier !

Exode 20:8-11 par : le père Alain Dumont
Pourquoi le ShaBaT ? Pour se reposer de la fatigue de la semaine ou pour illuminer les six autres jours de la semaine ?
Duration:14 minutes 17 secondes
Documents :
Charles Péguy : l'Argent
Capture d’écran 2015 10 22 à 20.04.26 31 Doc PEGUY L’argent.pdf

Jean-paul I
I : Le Sens du travail
Capture d’écran 2015 10 22 à 20.04.2931 Doc Sens du travail JPII.pdf


_____________________________________________________


Transcription du texte de la vidéo :


(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/fais-memoire-du-shabat-pour-le-sanctifier.html)
Tous droits réservés.
Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article

_____________________________________________________

Bonjour,

Nous voici arrivés au centre du Décalogue, avec le premier des deux commandements positifs : l’observance du ShaBaT. Le v. 8 donne la thèse développée dans les v. 8-11 : « ZaKhar èT YoM HaShaBaT = Fais mémoire du jour du ShaBaT, LeQaDdeSho = POUR LE SANCTIFIER, c’est-à-dire pour le vivre À PART des autres jours. Et ce qui fera de ce jour un jour À PART, c’est précisément cet acte de mémoire, un thème vraiment essentiel de la ToRaH. Je vous rappelle que « faire mémoire », ce n’est pas « se souvenir » ; ne serait-ce que du fait que l’argument ici étant la Création, par définition, aucun homme n’en a le souvenir. « Faire mémoire », c’est inscrire ce jour dans la chair de chaque génération, parce que ce jour est ce qui est la marque du peuple des Fils d’Israël, pour toujours. Quand aujourd’hui, on fait mémoire du 11 novembre en France, plus personne n’a « souvenir » du 11 novembre 1918 où l’armistice a été signé ; en revanche, cet armistice fait partie de l’histoire charnelle de la France au début du XXe siècle. Donc on en fait « mémoire », même si on n’y était pas ! Ce n’est pas un « souvenir » ; l’armistice, ce sont LES FRANÇAIS en tant que peuple. De la même manière, on FAIT MÉMOIRE de la mort et de la Résurrection du Christ à l’occasion de la fête de Pâques : aucun d’entre nous n’y était, mais c’est EN NOUS en tant que PEUPLE CHRÉTIEN, inscrit de génération en génération dans notre chair chrétienne par le Baptême, la confirmation et l’Eucharistie !

Ceci dit, ce commandement est quand même un peu étrange, parce que d’habitude, les religions consacrent des lieux, des personnes, des statues… Mais là, non. C’est « le 7e jour » qu’il faut « sanctifier ». Non pas au sens de le « rendre saint », mais au sens de « reconnaître et d’en proclamer la sainteté ». Et reconnaître la sainteté ne relève pas simplement de l’intellect. Il s’agit de reconnaître CHARNELLEMENT cette sainteté du 7e jour, c’est-à-dire qu’il faut VIVRE ce jour comme un temps de sainteté, un jour À PART dans la séquence des 7 jours de la semaine.

Alors, que dit en substance le décalogue de ce 7e jour ? Il dit qu’il diffère des six autres à ce qu’on n’y doit faire aucun travail. Alors là, de deux choses l’une : soit on regarde le ShaBaT en fonction des six autres jours, et on se dit : le ShaBaT  est un jour de repos pour reprendre des forces et repartir ragaillardi dans le travail de la semaine qui suit. Et là, on est tombé dans le piège, parce qu’on a mis le ShaBaT au service du travail dont on reste l’esclave, et on profane le ShaBaT. Soit on regarde les six autres jours en fonction du ShaBaT, et là, on a des chances de comprendre en quoi le ShaBaT est SAINT ; en quoi il est un « ShaBaT pour HaShèM, ton ÉLoHîM. », comme dit le v. 10 ; et surtout en quoi il contribue à son tour à cette LIBÉRATION du peuple des Fils d’Israël auquel travaille tout entier le Décalogue. Alors pour nous aider à comprendre, on peut peut-être regarder l’étymologie du mot : une première étymologie est tout simplement le verbe ShaVaT, qui signifie « cesser ». Mais une autre racine est ShouV, qui signifie le « retour ». Faire TeShouVaH, en hébreu, c’est se convertir, retourner à HaShèM. Il y a de ça dans le mot ShaBaT  : si on cesse de travailler comme les autres jours, c’est pour consacrer ce jour à un RETOUR vers HaShèM. Les deux sont entrelacés : dit autrement, pour faire retour en vérité vers HaShèM, il faut CESSER de marcher sur les chemins de la vie profane pour, chaque semaine, rentrer à la maison, en quelque sorte. Et la MAISON, c’est BaYiT : c’est comme ça que la Bible dénomme le Temple de Jérusalem. Rentrer à la Maison de HaShèM, à la Maison du Père, rappelez-vous la parabole du Fils Prodigue…

Cela dit, il faut lire le texte d’un peu plus près. Que veut dire : « Tu ne feras aucun travail. » ? Ça signifie d’abord que les six autres jours de la semaine sont précisément, eux, CONSACRÉS AU TRAVAIL, c’est-à-dire à l’activité de l’homme dans le monde de l’ESPACE. Le travail relève du désir qu’a l’homme de maîtriser les forces de la nature : agriculture, navigation, tissage, métallurgie, ce que vous voulez... Une domination qui répond à un commandement de HaShèM : « Remplissez la terre et soumettez-là. » (Gn 1,28). Donc en soi, le travail est une BELLE CHOSE. Comme le disait saint Jean-Paul II : par le travail, l’homme s’accomplit lui-même dans la mesure où l’homme n’est pas fait pour le travail, mais c’est le travail qui est fait pour l’homme (Laborem Exercens, 1981). Pour ceux que ça intéresse, je vous mets un résumé de l’encyclique de Jean-Paul II à ce propos en document joint.

Ceci dit, si rien n’est plus utile que le travail, rien n’est en même temps plus terrible dans la mesure où il est lié au gain et à la mainmise sur l’espace ! S’il existe un vrai bonheur dans l’amour du travail bien fait, pour lequel on ne compte pas son temps ; il existe à l’inverse un vrai malheur dans l’amour du gain qui détourne la finalité du travail en le transformant en pur outil économique, ce qu’on appelle l’EMPLOI pour lequel la quantité l’emporte sur la qualité, c’est-à-dire l’espace l’emporte sur le TEMPS. L’homme croit pouvoir se réfugier dans l’avoir, alors que cet avoir le fragilise en le gardant esclave d’une vision purement spatiale du monde qui lui fait oublier la valeur du TEMPS… Ce TEMPS  qui échappe à l’économie qui va tout tenter pour le réduire à néant… Au point que le rêve de l’homme contemporain, c’est de vivre dans l’immédiat ; sauf que vivre dans l’immédiat, c’est vivre sans histoire ; c’est vivre comme les animaux qui n’ont aucune conscience du Temps. Dès lors on pressent l’enjeu du ShaBaT : le ShaBaT a été fait pour l’homme ! Pour qu’il n’oublie pas sa spécificité temporelle, historique, mémoriale. Une dimension qui le touche au plus profond, puisque là où l’espace réduira l’homme à n’être qu’un CORPS dont on pourra le cas échéant remplacer les pièces défectueuses, le TEMPS, lui, offrira à l’homme de se découvrir CHARNEL. Et ça, vous pouvez toujours courir pour le remplacer !

Pourquoi est-ce si difficile à comprendre pour nous-autres Occidentaux du XXIe siècle ? Parce que voici environ 300 ans, le Siècle des Lumières a jeté l’Occident dans l’impasse en déclarant le monde monodimensionnel, réduit à sa stricte spatialité — à commencer par Galilée qui décrète que n’est réel que ce qui est mesurable par la géométrie, et Descartes qui réduit ce même réel à ce qui est strictement mathématisable. En éjectant la dimension du TEMPS, immaîtrisable ; en le déclarant inexistant, les Lumières dégainent l’arme absolue qui va peu à peu faire s’effacer le Nom divin de la mémoire des hommes, pour les plonger, en particulier à partir de l’ère industrielle, dans l’esclavagisme du pur emploi, d’une ampleur inédite, puisqu’il devient mondial ; et d’une perversité démoniaque, puisque cet esclavage se revêt des oripeaux de la raison et de la liberté ! DIEU ne se trouve QUE dans le TEMPS. Enlevez le TEMPS, et vous interdisez à l’homme tout accès à DIEU, et vous réduisez l’homme à son animalité…

Il n’en reste pas moins que c’est là que le Décalogue manifeste tout sa dimension prophétique, au sens où par le ShaBaT, toutes générations confondues, il maintient ouverte la porte du TEMPS ; et ce faisant, il maintient coûte que coûte pour l’homme un chemin de libération. Voilà, en définitive, le chemin de Vie que HaShèM ouvre à l’homme ! HaShèM veut libérer l’homme qui, sans lui, s’emprisonne lui-même les entraves qui le plongent dans le non sens du pur espace. « Choisis la Vie ! », dira HaShèM à la fin du Deutéronome ! « Libère-toi ! Entre dans le TEMPS ! » Et pour ça, abdique cette ivresse de la puissance spatiale ! Ce qui nous fait très peur ! Parce que quand on a perdu la dimension du TEMPS, quand on a perdu le sens de la mémoire, de l’histoire, de l’appartenance charnelle à un peuple qui se déploie dans la solidarité des générations qui se succèdent ; quand on est tombé dans l’individualisme le plus fanatique, le plus idéologique, si on n’a plus la mainmise sur l’espace, tout tombe dans l’absurde au point qu’il ne reste plus qu’à se suicider…

Voilà. Vous voyez, l’enjeu de ces quelques petits versets touche vraiment à l’essentiel. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont posés, comme ça, au fronton de toute la législation qui va suivre, et qui plus est au centre du Décalogue. Si on comprend ce qui se joue ici, alors toute la suite, y compris ce qui concerne les généalogies, ou la minutie des sacrifices, ou encore les prescriptions d’ordre social… Tout ce qui nous paraît souverainement fastidieux parce que notre lecture reste dans la dimension spatiale, nous apparaitra en définitive absolument passionnant, et surtout très profitable pour la qualité de notre vie spirituelle. D’une certaine manière, quand le Décalogue dit : « Tu ne feras aucun travail », il ne dit pas seulement : « Tu dois se reposer », mais il dit : « Sors du monde de l’espace, c’est-à-dire du monde où tu exerces ta puissance ». Tu ne domineras pas le monde ce jour-là, c’est-à-dire tu ne cultiveras pas, tu ne feras pas d’affaire commerciale ; tu ne tisseras pas, tu ne cuisineras pas, etc. etc. MAIS tu consacreras ce jour à HaShèM. Pourquoi ? Parce que la mort et la détresse pointent leur nez dès que, pour acquérir le pouvoir au royaume de l’espace, tu délaisses toute aspiration à un autre royaume : le royaume du TEMPS. Car il est un royaume du Temps, où l’objectif n’est pas d’avoir, mais d’être. Non pas posséder, mais donner. Non pas régner, mais partager. Non pas vaincre, mais engager sa confiance. Non pas survivre, mais VIVRE ! Oublier ce royaume du Temps rend complètement malsaine notre existence dans le royaume de l’espace, et c’est maintenir le monde dans la souffrance ; alors que veiller à laisser toute sa place au royaume du TEMPS, par le ShaBaT, c’est trouver le sens qui habite invisiblement le monde de l’espace, et c’est enfin pouvoir l’habiter pleinement, lui faire germer ses meilleurs fruits et le faire advenir à son accomplissement.

Nous regarderons ça de plus près la prochaine fois.

Je vous remercie.

_________________________________________________________________