20-09-2015

[Ex] 43 - Prendre son envol !

Exode 19:3-9 par : le père Alain Dumont
YHWH livre à MoÏse la finalité de l'Alliance : faire des Fils d'Israël un règne de prêtres et une nation sainte. Pour cela, il faut reconnaître en Moïse le Signe de YHWH.
Duration:20 minutes 4 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons la lecture, toujours pas à pas, du ch. 19 du livre de l’Exode. Aujourd’hui, nous n’allons encore pas aller très loin puisque nous n’allons pas dépasser le v.9 ! Mais ne vous en faites pas, on touche vraiment des versets fondamentaux qui nous obligent à avancer lentement ! Vous verrez que par la suite, on ira plus vite… Alors : vous vous souvenez, la marche dans le désert a été expédiée en deux versets, les v. 1 et 2, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait rien à tirer de ces trois petites phrases introductives, on a essayé d’en dire quelques mots lors de la dernière vidéo. À partir du v. 3, tout va désormais se concentrer AU PIED DE LA MONTAGNE. Voilà d’emblée Moïse qui grimpe, non pas tant d’ailleurs “sur la montagne” que « VERS ÉLoHîM », nous dit le texte, et à partir de là, on va voir régulièrement Moïse monter et descendre ; écouter YHWH en haut et rapporter ses paroles au peuple, en bas. On ne s’attarde pas sur les détails des visions de Moïse ; on ne nous dit pas qu’il a été transporté au 7e ciel, puis qu’il serait redescendu, ou ne je sais pas quelle autre faribole. Non. Tout se passe SUR TERRE, et c’est très important ! Parce qu’à travers Moïse, on nous dit que c’est SUR CETTE TERRE que s’opère la rencontre de l’homme avec YHWH ! Et s’il arrive à l’homme de “monter vers ÉLoHîM”, ce n’est jamais par des techniques de lévitation, mais toujours en gravissant une montagne, donc en restant concrètement les pieds SUR TERRE. Dit autrement, YHWH ne demande pas à l’homme d’abandonner sa chair pour élever son esprit et rejoindre des sphères nirvaniques. On touche là le hiatus le plus abîssal qui sépare radicalement la ToRaH de toutes les spiritualités naturelles que la chair encombre systématiquement de sa lourdeur et qui ne parlent que d’en libérer l’esprit que cette chair semble emprisonner… Sauf que l’esprit sans la chair, ce n’est plus l’homme ! Si par malheur l’esprit se “libère” de la chair, c’est pour rejoindre tout simplement le néant ; c’est une régression au stade fusionnel, une replongée dans l’indétermination dont la chair, précisément, l’avait fait sortir !… Du coup, la venue à l’existence n’est qu’une sorte de spasme complètement vain, impatient de rejoindre le chaos d’où il n’aurait jamais dû émerger ! C’est affligeant de désespérance, de fatalité, et surtout, ça coupe court à tout désir de prendre son envol ! Une image qu’on va  d’ailleurs retrouver dans nos versets… Bref : L’expérience de la ToRaH, elle, est évidemment à l’opposé absolu de telles considérations et dans le fond, on s’aperçoit qu’elle est la SEULE de toutes les religions du monde à prendre l’homme totalement au sérieux ; à entrer dans logique de son émergence et à réfléchir sur le sens de sa présence au monde, tel qu’il est, c’est-à-dire en tenant compte de sa dimension charnelle qui fait toute sa spécificité et toute sa richesse. Alors certes, pour expliquer la valeur de l’homme, la ToRaH part d’un moment initial qu’elle interprète comme l’émergence d’un chaos primordial pour faire advenir une Harmonie, qu’on appelle la Création. Au cœur de cette création : l’homme prend conscience d’une identité à travers quoi il s’éveille à la LIBERTÉ à laquelle YHWH le convoque… ce qui ouvre l’homme à une Histoire, c’est-à-dire à une aventure prodigieuse !

Bref : en tout cas, Moïse, nous dit le v. 3, monte vers ELoHîM. Pourquoi ÉLoHîM ici, et non immédiatement YHWH ? Sans doute parce que cette « montée », en soi, est commune à toutes les traditions religieuses… ça n’est pas particulièrement original. Ce qui l’est en revanche, c’est qu’en montant vers ÉLoHîM, Moïse ne va pas rencontrer n’importe quelle divinité, mais va précisément rencontrer YHWH. Et voilà que YHWH prend la parole de manière très codifiée. Les v. 4-6 sont typiques de ce qu’on appelle un DISCOURS D’ALLIANCE, toujours structuré en trois moments : 1.- Faire MÉMOIRE de ce que YHWH a fait pour son peuple dans le PASSÉ ; 2. MAINTENANT, en fonction de cette mémoire, faire ceci ou cela en sorte que, 3. - dans l’AVENIR, le peuple puisse recueillir les fruits de la bénédiction de l’Alliance promise aux patriarches. Voilà : trois temps : passé, présent, avenir. C’est la structure type de la pensée dans l’alliance : tout ce qui a de l’avenir, c’est ce qui est porté dans un présent qui s’appuie sur la mémoire, comme une racine qui porte la VIE, lui donne un sens et lui assure la pérennité de génération en génération.

Alors faites mémoire de quoi ? De ce que YHWH a fait aux Égyptiens, évidemment, mais pas seulement : il faut aussi faire mémoire de ce que YHWH a « porté le peuple sur ses ailes d’aigle ». Voilà L’ENVOL ! On retrouvera une formule similaire à l’autre bout de la ToRaH, à la fin du Deutéronome : « Le lot de YHWH, ce fut son peuple, Jacob, sa part d’héritage. Il le trouve en terre de désert, chaos de hurlements sauvages. Il l’entoure, il l’élève, il le garde comme la prunelle de son œil. Tel un aigle qui éveille sa nichée et plane au-dessus de ses petits, il déploie son envergure, il le prend, il le porte sur ses ailes. YHWH seul l’a conduit : pas de dieu étranger auprès de lui. » (Dt 32,10-12). Il paraît que les aigles apprennent ainsi à voler à leur couvée, en les prenant d’abord sur le dos ; personnellement, je n’ai jamais rien lu qui confirme cette rumeur, mais pourquoi pas ? Toujours est-il que ça évoque un autre passage du début du Dt : « Tu l’as vu aussi dans le désert : YHWH ton ELoHîM t’a porté, comme un homme porte son fils, tout au long de la route que vous avez parcourue jusqu’à votre arrivée en ce lieu. » (Dt 1,31). Très belle image ! On pourrait lire dans le même sens Osée 11,3-4 ; Is 46,3-4 ; 63,9. Donc il y a plus ici qu’un simple rappel de la sortie d’Égypte comme d’un vulgaire triomphe. La Sortie d’Égypte, c’est YHWH qui prend en charge son peuple TOUT AU LONG DU CHEMIN : Là, Il est vraiment PÈRE. Enfanter, ça n’est pas seulement accoucher, mais c’est prendre en charge toute la croissance qui s’ensuit et DONNER A L’ENFANT SON ENVOL ! Voilà la fidélité de YHWH à l’élection : non seulement Il manifeste sa puissance en délivrant le peuple, mais SURTOUT, il s’engage à lui apprendre à voler de ses propres ailes, pour l’éternité : là est le but ultime et tellement JOYEUX de l’Histoire Sainte ! Avouez que c’est plus exaltant que la seule perspective d’une noyage indéterminée dans le néant du Nirvana !

Bien. Continuons de scruter le texte. Toujours au v. 4, retenons bien le « VOUS AVEZ VU », parce que ça signifie qu’on ne part pas d’une idée, d’un principe, ou d’une valeur qu’on veut imposer. Ça, c’est le point de départ des idéologies : on spécule sur des valeurs et on oblige une nation à s’y plier totalitairement. Ici, rien de tel : YHWH a montré son attachement à Israël en le délivrant, en le guidant et en le nourrissant sur la route. Donc, parce qu’Il a mis les mains dans le cambouis ; parce qu’il s’est charnellement impliqué, parce qu’il nourrit son peuple de la Manne — rappelez-vous ce que nous avons dit à propos du ch. 16 —, alors sa Torah est légitime ! Un peu comme à l’époque de la dernière guerre : le Général de Gaule avait autorité parce qu’il avait fait ses preuves sur le terrain. Remplacez-le par des fonctionnaires, fusse ce des énarques, qui n’ont jamais rien fait, toute leur vie, qu’aligner des chiffres sur le papier pour élaborer des plans, ceux-là perdent toute légitimité à édicter des lois ; raison pour laquelle ils utilisent la violence pour les appliquer ! Donc, à l’inverse, on sent mieux du coup à quel point l’argument de la Torah est fort : il se base sur le TÉMOIGNAGE des pères qui ont VU les actions de YHWH, et qui, ayant VU, ont CRU et se sont engagés dans l’Alliance pour témoigner de la présence concrète de YHWH au milieu d’eux. On aura le même argument avec le Christ Jésus : les Apôtres ont VU, avec que de nombreux frères, le Christ ressuscité ; et ils ont CRU. Ils sont donc devenus les témoins, non pas d’une idée, mais de ce qu’ils ont « vu et entendu », comme l’écrira saint Jean au début de sa première lettre.

Bien. Maintenant, l’Alliance va donc être posée du côté de YHWH, c’est-à-dire que l’élection va être concrétisée, ritualisée. Mais encore faut-il pour ça que le peuple s’y engage à son tour, librement, d’où au v. 5 : « SI vous écoutez, et SI vous gardez… » L’idée fixe de YHWH, c’est que les hommes soient LIBRES pour CHOISIR LA VIE ; car vivre, c’est ÊTRE EN RELATION ; c’est VOULOIR, DÉCIDER la relation. Sans la relation, et d’abord la relation avec YHWH, l’homme est tout inexorablement destiné à la mort. Et VIVRE, nous dit la ToRaH, c’est ÉCOUTER ! Et c’est évidemment GARDER ce que l’on a écouté, l’inscrire dans sa chair pour ne rien perdre, de génération en génération…

Et les conséquences sont doubles, dit le v. 6 : l’alliance fera de ce peuple : d’une part un « règne de prêtres ». MaMLéKhèT, règne, et non MaLKhouT, qui signifie royaume. Le règne dit la durée, là où le Royaume dit l’espace. Ceci dit, les deux dimensions sont entremêlées, puisque la racine de ces deux termes est le verbe HaLaKh,  qui signifie “aller” : donc ce règne est un cheminement, qui dit à la fois le temps et l’espace. Reste que ce règne est présenté comme celui de PRÊTRES, ce qui signifie que le peuple est chargé de faire vivre charnellement cette relation par un service d’offrandes. D’autre part, l’Alliance fera de ce peuple une « nation SAINTE », qui n’est nullement un titre méritoire, mais qui signifie une nation « à part », le lot d’héritage de YHWH, comme dit le Deutéronome, dans le cortège des nations.

Et le récit se poursuit au v. 7 : Moïse convoque les Anciens ; il leur transmet ce qu’il a entendu et le peuple tout entier répond comme un seul homme : « Tout ce qu’a dit YHWH, nous le ferons ! » Ça ne manque pas de panache ! Ceci dit, ça ne veut pas dire que tout sera facile ! Ça ne veut même pas dire qu’il n’y aura pas de ratés, puisqu’à partir du ch. 32, on nous racontera le tragique événement du veau d’Or ! Alors ? Est-ce que ça veut dire que le peuple est hypocrite au moment où il prononce le serment d’obéir en tout à YHWH ? Non. Ça veut dire que, quoi qu’il arrive, la trajectoire est validée. Elle est tracée, et le peuple s’y engage. Maintenant, il va falloir travailler de l’intérieur et soigner tous les fantasmes qui pousseront le peuple à faire des choix de mort au lieu de choisir la vie. Mais en attendant, l’horizon est ouvert. Peut-être qu’on sera infidèles, mais on se RELÈVERA ! Peut-être qu’on aura des ennemis, mais on se battra ! Parce que désormais, on sait où l’on va. On découvre que la vie n’est pas un perpétuel cercle de recommencements : elle est une espérance qui trace la route vers l’éternité ; une espérance qui est le sceau de la LIBERTÉ du peuple des Fils d’Israël, et qui est non moins, à leur suite, le sceau de la LIBERTÉ du peuple des chrétiens.

Reste néanmoins que ce peuple, c’est bien PAR MOÏSE que YHWH le guidera, et on retrouve au v. 9 cette phrase que nous avons déjà relevée à la fin du ch. 14, juste après la traversée de la Mer des Roseaux : il est essentiel que le peuple non seulement croie en YHWH, mais aussi croie EN MOÏSE qui est le SIGNE, qui est le SACREMENT pourrait-on dire, de YHWH. Comprenons bien : ce n’est pas simplement qu’il faille croire en YHWH en faisant confiance à Moïse : il faut croire aux deux ENSEMBLE, indissociablement, pour pouvoir entrer, vivre et demeurer dans l’Alliance. Au point que voir Moïse, c’est voir YHWH ; c’est discerner YHWH inscrit dans sa CHAIR, non pas en vue de son petit salut individuel, mais en vue du salut de TOUT LE PEUPLE. Raison pour laquelle YHWH dit à Moïse : « Voici que je vais venir VERS TOI dans l’épaisseur de la Nuée afin que le peuple entende quand je parlerai avec toi, et qu’en toi aussi, ils croient à jamais ! » ; YHWH dit à Moïse : « Je viens VERS TOI », parce que la trajectoire imprimée dès Abraham n’a pas d’autre direction : « Va vers toi ! » C’est donc « vers toi », à l’intérieur de toi que Moi aussi, dit YHWH, je viens pour faire en toi ma demeure ! Et on verra plus loin que Moïse sera tellement habité par YHWH que son visage sera insupportable de rayonnement, et qu’il devra le voiler aux yeux du peuple ! « Je parlerai avec toi afin qu’en toi aussi, il croient à jamais ! » C’est assez fantastique !!!

Alors rajoutons une dernière couche ! Le Targum, à nouveau, se révèle précieux, lui qui traduit ce v.9 en répercutant la tradition orale qui a cours à l’époque de Jésus. On lit donc dans le Targum : « YHWH dit à Moïse : “Voici que ma MeMRaH t’apparaîtra dans l’épaisseur de la Nuée ! ». Pour des chrétiens, qui sont les héritiers directs de cette tradition juive absolument commune à l’époque de Jésus, un tel texte est éblouissant, parce que le Targum témoigne ici qu’on reliait explicitement Moïse et le Verbe de DIEU. Je vous rappelle que la MeMRaH de YHWH, c’est YHWH en tant qu’il se manifeste charnellement dans la création. Du coup, on comprend mieux pourquoi Jésus dit : « Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez aussi en moi ! » (Jn 5,46) Vous entendez ? L’Exode nous dit : « Croire en YHWH, c’est croire en Moïse », et inversement : Croire en Moïse, c’est indissociablement  croire dans la MeMRaH de YHWH. Donc Jésus se présente explicitement comme cette MeMRaH de YHWH, comme le Verbe de YHWH. Et comme à cette époque, on attendait un Messie qu’on associait précisément à cette MeMRaH, les juifs de son temps comprenaient le message 5/5 ! le Christ est ici on-ne-peut plus clair ! Saint Paul dirait que ce qu’a contemplé Moïse dans la Nuée, ce n’est rien de moins que le Christ ! De la même manière que pour Paul, on l’a vu, le Rocher qui accompagnait le peuple dans le désert, c’était le Christ !

Voilà. On n’en dira pas plus aujourd’hui. Prenez le temps de lire les 9 premiers versets du ch. 19. Ils sont le porche de la Théophanie qui va bientôt avoir lieu, que nous scruterons la prochaine fois.

Je vous remercie.
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