05-09-2015

[Ex] 39 - J'ai soif !

Exode 17:1-7 par : le père Alain Dumont
Dire à Moïse et à HaShèM : « Donnez-nous à boire ! », ce n'est pas demander, c'est revendiquer. Comment passer de la revendication à la formulation de la demande ? Et comment le Christ Jésus, en ses dernières paroles sur la Croix, accomplit ce passage ?
Duration:17 minutes 53 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

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Pour une citation, mentionner : Père Alain Dumont, © La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous restons aujourd’hui encore sur les premiers versets du ch. 17 du livre de l’Exode pour faire un peu de théologie biblique, c’est-à-dire laisser le texte nous entraîner dans les considérations de foi qu’il nous ouvre… un peu à la manière des rabbins.

Donc, on se souvient : le peuple a soif. Et les rabbins posent alors cette question : à ce stade, que fait le peuple de cette soif ? Deux options se présentent : soit il revendique, il trépigne, il met HaShèM en cause— ça c’est la réaction infantile / Soit il exprime clairement son besoin en s’en remettant à HaShèM dans un acte de foi — et ça, c’est une réaction adulte. Or le v. 2 précise explicitement que les Fils d’Israël « cherchent querelle à Moïse » en disant : « Donnez-nous à boire ! ». Il s’agit donc moins une demande qu’une REVENDICATION, ce qui signifie que la soif du peuple met en lumière son état infantile. Et là, le texte nous met très judicieusement en travail : il nous fait réfléchir sur ce que DEMANDER signifie. Parce que certes, HaShèM a libéré son peuple d’Égypte, mais seules les idéologies peuvent imaginer que ça puisse suffire ! L’idéologue, c’est celui qui prône des solutions extérieures radicales, mais qui reste incapable d’induire une libération INTÉRIEURE. Or précisément, la ToRaH n’est pas idéologique. La libération d’Égypte n’est pas la victoire d’un parti contre un autre : la Libération d’Égypte est une NAISSANCE. Parlant de libération, c’est au sens de la délivrance d’une femme qui accouche. Une dimension qui court tout au long de l’AT : depuis HaShèM qui présente son peuple à Pharaon comme de son Fils Premier-Né jusqu’à l’autre bout de la Torah, où Moïse rappelle au peuple que HaShèM l’a ENGENDRÉ quand il l’a fait sortir d’Égypte (Dt 32,6.18s), et présente la vie au désert comme une enfance (Dt 1,31 ; 32,10).

Encore ne suffit-il pas de naître ! Qui dit naissance dit nécessairement CROISSANCE, et évidemment pas seulement en taille : il s’agit d’une croissance INTÉRIEURE ; une croissance qui mène de l’état d’enfant à celui d’adulte, c’est-à-dire de la recherche de toute-puissance infantile, la fameuse loi du plus fort, à celle de l’ENTRÉE EN RELATION qui fait l’adulte. Des gamins, ça se castagne pour marquer leur territoire : on veut être le plus fort… Or on ne commence à grandir que lorsqu’on accepte que, lorsque les choses ne vont pas à notre humeur, ce ne soit pas nécessairement la faute des « autres » qu’on en vient vite à considérer comme des ennemis. On commence à grandir quand on prend conscience qu’on peut même ÊTRE À SOI-MÊME son pire ennemi ; qu’on peux être soi-même à l’origine des impasses auxquelles on se trouve acculé. Ce n’est qu’arrivé à ce stade que peut alors commencer un travail sur soi, un vrai travail de libération qui va permette de S’ÉPROUVER grandir. Et c’est alors qu’on va pouvoir éprouver la JOIE que procure une vraie croissance, aux antipodes de la seule satisfaction des batailles remportées contre les autres. Voilà la JOIE que vise la Bible : elle sait que l’homme a besoin de S’ÉPROUVER grandir. Or grandir, c’est accepter d’entreprendre son existence, avec parfois des succès qui nous encouragent, parfois des échecs qui nous enseignent sur nos limites et nous permettent de corriger le tir pour mieux reprendre la course.

Eh bien c’est exactement ce qu’on a ici avec l’épisode de RéPhiDîM. Face à la soif et à la peur d’en mourir, on nous dit que les Fils d’Israël tombent dans le piège de la REVENDICATION. Ça ne signifie pas qu’ils soient des enquiquineurs perpétuels ; ça signifie qu’ils sont encore des enfants, et qu’Il va donc leur falloir grandir, et pour cela apprendre à DEMANDER. Et c’est tout à l’honneur de la ToRaH de ne pas passer sous silence les étapes de cette nécessaire CROISSANCE : évidemment, si on lit ce texte de manière superficielle, on va vite mépriser ce peuple, le juger à l’emporte pièce, alors qu’il ne fait ici qu’entamer son parcours. Si on le lit en revanche avec des yeux d’adultes, on s’ouvre à une véritable reconnaissance, parce que le récit nous dévoile une formidable espérance : nous avons tous, aux yeux de HaShèM, le droit de grandir. DIEU merci, les Fils d’Israël ne sont pas des super héros ! Ils sont comme vous et moi, et ils nous enseignent à travers leur témoignage que même si, concernant certains aspects de notre vie, nous régressons à un stade infantile — la loi du plus fort, le stade anal, dirait Freud —, RIEN N’EST JAMAIS PERDU ! Il suffit de DÉCIDER de grandir, sans vouloir nier les difficultés ni les hontes qui peuvent persiller notre comportement à chaque fois que nous traversons une crise. En tout cas, HaShèM, Lui, se comporte en adulte : Il ne condamne pas son peuple, Il ne le punit pas : Il fait jaillir l’eau. Le récit nous glisse simplement, à demi-mots, qu’à ce stade, les Fils d’Israël doivent grandir, et pour cela apprendre à passer de la revendication à la DEMANDE. Pourquoi ?

Parce que savoir demander, c’est savoir PARLER ; c’est savoir formuler son besoin en L’INSCRIVANT DANS UNE RELATION : voilà la maturation adulte ! C’est toute la différence entre dire : « Donnez-nous à boire ! », où nul besoin n’est formulé ; et dire « J’ai soif ! » : là, il y a la formulation d’un besoin, il y a une véritable demande, et c’est tout différent. Ce qui rend les choses difficiles, c’est que dans notre culture individualiste, on voit les chose à l’envers : on imagine que devoir demander, c’est être maintenu dans l’infantilisme, alors que c’est exactement l’INVERSE ! C’est QUAND JE SAIS DEMANDER, c’est-à-dire quand j’ai appris à sortir de la revendication, que je suis adulte ! Sortir de la revendication, c’est se donner les moyens d’entrer en relation, et découvrir que l’enfer, ce n’est pas nécessairement « les autres », comme disait Sartre. À MaSsaH et MéRiVaH, HaShèM n’est pas un ennemi ! Sauf qu’en situation de crise, on est tenté de croire que même nos amis nous en veulent… Souvenez-vous de l’histoire du péché originel : face au fruit défendu, ÉLoHîM est-Il un ami ou un ennemi ? Grave question… qui rejaillit ici, à RéPhiDîM.

Donc, le texte nous livre ici une grande leçon : le peuple des Fils d’Israël est encore à l’état d’enfant ; il est donc est APPELÉ À GRANDIR, raison pour laquelle ne lui est pas épargnée l’épreuve de la soif. Pour grandir, Israël doit apprendre à s’en remettre à HaShèM, et donc à apprendre à DEMANDER ; apprendre à ENTRER EN RELATION avec HaShèM. HaShèM n’est pas là pour prévenir les désirs du peuple sans qu’il ait à les formuler, comme des parents qui devancent le désir des enfants qui ont alors toutes les chances de rester revendicateurs toute leur vie, des « enfants gâtés » ! HaShèM veut RÉPONDRE aux désirs DANS LA MESURE où, précisément, les Fils d’Israël sont capables de les EXPRIMER. Jésus ne dira pas autre chose : « DEMANDEZ, et vous recevrez ! » (Mt 7,7) C’est-à-dire : « Ne revendiquez pas ! Entrez en relation avec le Père, et vous recevrez. Sans quoi vous faites de DIEU une idole à votre service, ce qui est tout bonnement insupportable ! Et Jésus ira jusqu’à dire : « Ce que vous demanderez EN MON NOM, mon Père vous l’accordera » (Jn 14,13 ; 15,16 ; Mt 21,22 ; Mc 11,24). Pourquoi ? Parce qu’en tant que MeMRaH de HaShèM, le Christ ne s’est pas contenté de prendre chair, comme pour se vanter : « Vous voyez ? Je suis capable entrer dans la création ! ». Là encore, on serait dans l’idolâtrie la plus mesquine qui soit parce que ce serait de la pure manifestation de toute-puissance, de la pure vanité… En réalité, Jésus est Celui qui sait DEMANDER parfaitement. DEMANDER parfaitement, c’est savoir demander en situation de crise. Là où les Fils d’Israël en sont encore à revendiquer : « Donnez nous à boire ! », Jésus, sur la Croix — en situation de crise majeure — dira, lui : « J’ai soif ! ». Et voilà : depuis les Fils d’Israël encore enfants dans le désert jusqu’à Jésus, il y a tout ce temps de CROISSANCE qui fait passer de la querelle revendicatrice à la relation véritable avec HaShèM. Et DEMANDER à notre tour AU NOM DE Jésus, c’est quitter nous aussi la revendication pour passer, pour ainsi dire, par le filtre de la DEMANDE véritable que seul le Christ Jésus a su porter à son accomplissement.

Mais avec tout ça, le plus étonnant est encore à venir ! Quelle est la réponse du Père ? Eh bien, de la même manière que l’eau a jailli du Rocher frappé par Moïse, de l’eau va jaillir du côté du Christ frappé par la lance. Ce qui veut dire que cette fois, le ROCHER d’où jaillit l’eau n’est pas extérieur : le ROCHER, c’est le Christ Lui-même ! Saint Jean rejoint ici à sa manière l’interprétation de saint Paul qui nous présente le Christ comme le ROCHER qui accompagnait les Fils d’Israël dans le désert pour étancher leur soif ! En d’autres termes, le ROCHER du désert est une image, une icône du VÉRITABLE ROCHER qui est LE CHRIST, par qui va être donnée l’Eau Vive, l’eau qui donne la vie et qui est l’eau dont les hommes ont véritablement soif ; souvenons-nous ici du Psaume 42 : « Comme un cerf altéré se languit de l’eau vive, ainsi mon âme se languit de Toi, mon DIEU ! » ; Voilà la soif que le Christ porte parfaitement devant son Père (c’est-à-dire qu’il la formule comme une demande : « J’ai soif »), de sorte qu’il va devenir Celui-là même par qui cette eau va être donnée ! Voilà le grand paradoxe : celui qui MEURT littéralement de la vraie soif, celui qui formule sa soif devient celui qui abreuve ! Jésus est à la fois Celui qui ASSUME notre soif de la vraie Vie, et Celui qui ÉTANCHE cette soif parce que c’est à cette eau vive que Lui-même s’abreuve de toute éternité. Dit autrement : sur la Croix, le Christ crie sa soif en notre nom. Il ne se rebelle pas : il reste en RELATION, en COMMUNION avec son Père. Grâce à cette soif de la Vie qui l’habite, Il fait de sa CHAIR le pur réceptacle de la Vie divine dont le Père est la Source éternelle. Car la CHAIR est faite pour ça : recevoir l’eau vive, être le réceptacle de l’eau de la Vie. Et c’est au moment même où le Christ meurt, où il s’en remet absolument au Père sans rien pouvoir faire de plus, que cette Vie déferle en Lui comme un Torrent qui déborde au moment du transpercement de son côté. Et voilà à nouveau le SIGNE de RéPhiDîM : la source d’eau débordante est le SIGNE de la présence de HaShèM qui fait en sorte que  du cœur de la mort, jaillit l’eau de la Vie ; ce qui signifie que la mort n’a pas le pouvoir de retenir cette Vie qui déferle comme un torrent, déborde du côté transpercé et fait germer cette vie là où la mort semblait avoir tout anéanti. Il faudrait lire ici Ez 47, parlant de la source qui jaillit du côté du Temple. L’idée est la même, sauf qu’avec Jésus, elle est complètement intériorisée, assumée par la CHAIR même du Verbe incarné pour nous sauver et nous transmettre la Vie divine qu’il tient du Père.

Voilà. On n’a évidemment pas tout dit, parce qu’on ne peut pas épuiser le Mystère, mais j’espère à tout le moins que vous voyez à quel point, à partir d’Ex 17,1-7, une trajectoire fidèle se profile qui dirige notre regard jusque sur le Christ Jésus. Une trajectoire qui compose une histoire de NAISSANCE et de CROISSANCE ; qui prend corps avec Moïse et trouve son accomplissement 1000 ans plus tard avec le Christ Jésus. Une histoire qui nous concerne au premier chef, puisqu’à notre tour, il ne nous suffit pas de naître au Baptême : il nous faut croître en attachant notre CHAIR à celle du Christ pour devenir des réceptacles de l’Eau Vive. On rejoint ici le fameux dialogue de DIEU avec Sainte Catherine de Sienne : « Fais-toi capacité, Je Me ferai Torrent. » Eh bien, tout procède de ce récit de l’Exode comme de l’expérience, de l’épreuve fondatrice de la SOIF à RéPhiDîM, qui nous est livrée comme une image de la véritable soif qui habite l’homme : la soif d’entrer en relation vraie avec DIEU. Une fois qu’on a compris cet enjeu, on ne peut plus le lire avec le moindre mépris vis-à-vis de ce peuple qui, ne l’oublions jamais, dans ce désert, a essuyé les plâtres d’une histoire de Salut, d’une histoire de Délivrance comme on parle d’un accouchement dont nous sommes les fruits aujourd’hui et demain.

Dans la suite du chapitre survient alors un autre épisode : la confrontation avec AMaLeQ, toujours à RéPhiDîM. Mais nous verrons cela la prochaine fois.

Je vous souhaite une bonne lecture de la première partie de ce chapitre 17 de l’Exode.

Je vous remercie.

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