05-09-2015

[Ex] 38 - Donnez-nous à boire !

Exode 17:1-7 par : le père Alain Dumont
À nouveau, le peuple se retrouve sans eau dans le désert. Il se rebelle contre YHWH.
Duration:14 minutes 28 secondes
Transcription du texte de la vidéo :

(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/donnez-nous-a-boire.html)
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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous voici arrivés au ch. 17 du livre de l’Exode, et on va voir dans cette vidéo à quel point les v. 1 à 7 sont essentiels, derrière un épisode qui, à première vue, paraît assez anodin avec quelques relent de déjà vu… Or il n’en est vraiment rien. D’abord rappelons-nous : au chapitre précédent, YHWH a donné la manne… et voilà à nouveau le peuple affronté à la soif, comme à la fin du ch. 15,. À cette différence qu’au ch. 16, précisément, la Manne a été donnée, c’est-à-dire la nourriture identitaire par laquelle YHWH établit sa légitimité à pouvoir donner sa ToRaH aux Fils d’Israël. Autant au ch. 15 on pouvait comprendre que le peuple soit inquiet : « Qui est YHWH qui nous a libérés ? Va-t-il pouvoir nous faire boire et nous donner à manger dans la désert ? » Autant maintenant, une fois que YHWH a répondu par la Manne, on sort de l’inquiétude pour tomber dans la rébellion ! Ce n’est plus du tout la même chose !

Alors écoutons le récit : le peuple arrive à un endroit appelé RéPhiDîM, qui est l’étape avant l’HoReV. On est encore dans le désert de ÇîN. C’est un endroit absolument sec, et pourtant, c’est là que le peuple dresse les tentes pour y établir son camp ! À MaRaH, il y avait de l’eau, mais elle était amère. Ici, c’est encore plus simple : il n’y a tout simplement pas d’eau, ce qui signifie que la route s’arrête là, au beau milieu de nulle part, parce que sans eau dans le désert, on n’avance plus ! D’où la rébellion notée par le texte qui parle ici de QUERELLE au sens de DÉFI, RiV en hébreu, c’est-à-dire un affrontement entre adversaires ! Donc c’est grave ! Et Moïse le sent bien, qui a des paroles dures : « Pourquoi éprouvez-vous YHWH ? »

Et là, Moïse est démuni. Il crie vers le SEIGNEUR : « Qu’est-ce que je vais faire ? Ils vont me lapider ! » Eh oui, ça rigole pas ! Et là, YHWH donne un ordre un peu étrange : « Passe devant le peuple ! » Ah bon ? Ils veulent me lapider et Toi Tu me dis de passer devant eux ? » Sauf que le verbe utilisé en hébreu est bâti sur la racine “aVaR, qui signifie effectivement passer, mais au sens d’ALLER AU-DELÀ, de DÉ-PASSER. Donc en réalité, YHWH dit à Moïse : « VA AU-DELÀ ! Dépasse ta peur et mets-toi face au peuple » YHWH lui demande alors de reprendre son BÂTON, le fameux bâton d’autorité avec lequel il avait fendu la Mer, pour frapper cette fois sur un rocher de sorte que de l’eau puisse en jaillir. On ne revient pas sur le sens du Bâton de Moïse, on l’a suffisamment évoqué à propos du ch. 4 et du ch. 7. Et là, il nous faut redoubler d’attention, parce que ce Rocher va prendre une importance inattendue.

D’abord, au v. 6, on nous dit que ce rocher est BeHoRèV, c’est-à-dire littéralement : « dans l’HoRèV », c’est-à-dire qu’il fait partie du massif de l’HoReV. C’est étrange, puisque le peuple n’atteindra l’HoReV qu’à la prochaine étape ! Comment Moïse peut-il frapper un rocher qui est dans l’HoRèV alors que le peuple n’est pas encore arrivé à l’HoRèV ? Sauf que la tradition va dire : « C’est parce que le rocher SE DÉPLAÇAIT avec le peuple ! » C’est encore plus étrange… Pourtant, n’allons pas trop vite croire qu’il s’agit d’une légende dorée, parce qu’on peut entendre la chose intelligemment. D’une part, posons-nous la question : où est-ce que YHWH va se manifester au peuple ? À l’HoRèV, précisément. Donc si il y a un Rocher où YHWH se manifeste, même à RéPhiDîM, c’est que ce rocher, d’une manière ou d’une autre, est lié à l’HoReV : il est « dans l’HoReV », il fait partie de l’HoReV. D’autre part, à partir de cet épisode, plus jamais le peuple ne rencontrera de problème de soif dans le désert. Partout où il ira, ils trouvera de l’eau jaillissant d’un rocher, comme si, effectivement, le Rocher de RéPhiDîM les accompagnait. C’est une manière de ne jamais oublier que de l’eau ne jaillit dans le désert que si YHWH la fait sourdre ; et que tout Rocher d’où elle jaillit est un SIGNE de la présence de YHWH, à l’instar du Rocher de RéPhiDîM. Chaque fois qu’on trouvera une source dans le désert, on se souviendra qu’elle est le SIGNE que YHWH est fidèle à sa promesse. Et donc oui, d’une certaine manière, on peut dire que le Rocher se déplace bel et bien d’un campement à l’autre. Et c’est en ce sens qu’on parlera, après cet épisode, de YHWH comme d’un Rocher : Par ex. le Ps 19,15 : « YHWH, mon Rocher et Mon Go‘eL ! », c’est-à-dire : « mon Rocher et mon Libérateur ! »

Alors pourquoi est-ce qu’on s’attache à cette interprétation ? Eh bien parce qu’elle va avoir un impact décisif, 1000 ans plus tard, à l’époque du Christ. Depuis le retour d’Exil, on l’a déjà dit plusieurs fois, les juifs n’entendaient plus l’hébreu. La langue véhiculaire était l’araméen. Et donc, à la Synagogue, on proclamait la ToRaH en araméen pour que tous puissent comprendre. Un peu comme la traduction liturgique aujourd’hui dans nos église pendant la messe. Cette traduction s’appelait le Targum, et les traducteurs ne s’étaient pas contenté de décalquer l’hébreu : ils avaient intégré les précisions de la ToRaH orale. Du coup, le verset : « Voici que Moi, je me tiendrai devant toi, là, sur le rocher », au v. 6, était devenu, dans le Targum : « Voici que ma MeMRaH se tiendra postée sur le rocher. » Alors rebelote : je vous rappelle que la MeMRaH de YHWH, c’est YHWH en tant qu’il crée et en tant qu’Il se manifeste dans sa Création. Par exemple, le récit de la création se lit ainsi dans le Targum : « La MeMRaH de YHWH parla ainsi : “Que soit la Lumière !” et la Lumière fut selon la décision de sa MeMRaH. Et il apparut devant YHWH que la Lumière était bonne, et la MeMRaH de YHWH sépara la lumière des ténèbres. Et la MeMRaH de YHWH appela la lumière [jour], et les ténèbres, elle les appela [nuit] etc. » Voilà. Vous entendez ? À l’époque du Christ, parler de la MeMRaH de YHWH était monnaie courante. Du coup, quand Saint Jean écrit le prologue de son Évangile, il s’inscrit dans le prolongement du Targum, et il écrit : « Au commencement était la MeMRaH [le LOGOS en grec ; ce que le français traduit par le VERBE], et la MeMRaH était vers YHWH, et la MeMRaH était YHWH ! Elle était au commencement vers YHWH [référence au récit qu’on vient de lire à propos de la Création]. Tout est advenu à travers elle et pas une chose n’est advenue sans elle. Ce qui est advenu en elle, c’est la Vie, et la Vie était la Lumière des hommes… » Là, saint Jean est un vrai juif, et aucun pharisien de l’époque n’aurait trouvé à redire à ce prologue. Là où ça coince, c’est la suite, lorsque saint Jean écrit : : « Et la MeMRaH s’est fait CHAIR », ce qui signifie qu’à travers sa MeMRaH, c’est VRAIMENT YHWH qui prend CHAIR ! Ceci dit, la tradition de la MeMRaH de YHWH était vraiment encrée dans les esprits, y compris celui de Jésus.

Donc, quand il dira à la Samaritaine : « Celui qui boira de l’eau que Moi Je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que Je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle   », elle qui connaît bien la ToRaH, comprend clairement cette référence à RePhiDîM : elle entend Jésus lui dire : « Je suis le Rocher d’où jaillit l’eau vive pour tous ceux qui ont soif ! ». D’autant que Jésus a repris l’injonction des Fils d’Israël à Moïse : « Donne moi à boire ! » ; qu’il est question dans le dialogue d’une montagne où adorer YHWH, et que Jésus lui répond que cette montagne n’a pas d’importance… Ce qui importe, c’est le Rocher !!! Là où jaillit l’eau !

Et cette manière d’interpréter l’identité divine de Jésus est confirmée par saint Paul ! Dans la première lettre aux Corinthiens, saint Paul reprend l’épisode de RéPhiDîM en disant : si le Rocher qui accompagnait les Fils d’Israël dans le désert, c’est la MeMRaH de YHWH, alors ce Rocher n’était autre que LE CHRIST en personne, puisque le Christ est, comme le dit formellement saint Jean, la MeMRaH de YHWH. Alors écoutons ce passage de saint Paul : « Lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la Nuée, et tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un Rocher spirituel qui les suivait, et ce Rocher, c’était le Christ. » (1Co 10,1-4) Voilà : saint Paul s’inscrit dans le droit fil de la tradition orale sur le Rocher de RéPhiDîM ; le Christ est l’Eau Vive de la  Source divine à laquelle viennent s’abreuver tous ceux qui croient en Lui ; et croire en Lui n’est pas une nouveauté : c’est l’aboutissement, l’accomplissement de ce que YHWH a promis au peuple, dans le désert. Et c’est encore à partir de cette tradition que Jésus criera dans le Temple : « Si quelqu’un à soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! » (Jn 7,37). Tous ceux qui l’ont entendu ont tout de suite compris qu’il se présentait comme la MeMRaH de YHWH dont le Rocher de RéPhiDîM était le Signe et qui reparaissait avec Jésus. Vous voyez que quand on lit l’AT, on y trouve de grandes lumières pour comprendre que le Nouveau n’est pas un tissu d’inventions allégoriques sorties de nulle part.

Bref. Alors maintenant, ce premier récit d’Ex 17 se termine au v. 7 en répétant que là, à RéPhiDîM, les Fils d’Israël ont mis DIEU à l’épreuve, en référence au v. 2. Et comme pour inscrire cette épreuve dans la CHAIR, on fait mémoire de cet événement en désignant cet endroit des noms de MaSSaH « Épreuve », et MéRiVaH, « Défi ». On retrouve ces noms dans le Ps 94,8-9 : « N’endurcissez pas votre cœur comme à MéRiVaH, comme au jour de MaSSaH dans le désert, là où vos pères m’ont accusé et examiné ». Voilà : que fait le Psaume ? Il ne fait pas que dénoncer la rébellion du peuple ; il plante cette rébellion dans la terre, il en fait un monument, un mémorial ; Il l’incarne en quelque sorte, parce que ce qui est incarné, personne ne peut plus faire en sorte de l’oublier, même 100 générations plus tard. Si cet événement n’était pas inscrit dans le mémorial de MaSSaH et MéRiVaH, il aurait été oublié dès la 4e génération !

Et ce mémorial est essentiel, non pour battre sempiternellement sa coulpe, mais parce que le meilleur moyen de ne pas endurcir son cœur aujourd’hui, c’est précisément de confesser qu’il s’est déjà endurci à l’époque des pères. L’endurcissement n’est pas seulement une possibilité abstraite : c’est déjà arrivé, et même au tout début, donc ça peut se reproduire ! La Torah, avec grande sagesse, se garde donc bien d’effacer ce moment qui fait partie intégrante de l’histoire, afin que les générations qui suivent ne tombent pas dans la présomption. Et c’est la preuve que la Torah n’est pas une idéologie : les idéologies fondent toutes leur pouvoir en niant les moments noirs de leur histoire ! C’est ce qu’on appelle « réviser l’histoire », et c’est ce qui fait qu’elles sont aussi présomptueuses qu’arrogantes. La Bible, elle, à travers la ToRaH et les Psaumes, n’a pas peur de faire mémoire des chutes des premiers temps, humblement, pour faire en sorte que les générations suivantes prennent garde à ne pas tomber à leur tour dans la rébellion. C’est très fort !

Donc, vous l’avez compris, ce récit est beaucoup plus important qu’on ne le croirait à première vue. Au point que nous n’en avons pas terminé avec lui, parce qu’il nous faut encore examiner ce qui se passe au niveau du peuple lui-même. Nous verrons ça la prochaine fois.

Je vous remercie.


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