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31-07-2015

Thème 5 - Faut-il craindre DIEU ?

par : le père Alain Dumont
« Heureux qui craint le Seigneur ! » proclame le Ps 128 (127). La chose n'est peut-être plus si évidente aujourd'hui. Et pourtant...
Duration:18 minutes 39 secondes
Transcription du texte de la vidéo :
(Voir la vidéo : http://www.bible-tutoriel.com/faut-il-craindre-dieu.html)
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Pour une citation, mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutorielhttp://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

je voudrais avec cette vidéo répondre à plusieurs demandes concernant ce qu’on appelle la « CRAINTE DE DIEU ». Alors, par rapport à cette question, il y a ceux qui s’insurgent et qui crient haut et fort qu’il faut bannir cette idée qui distille la peur de DIEU dans les cœurs, un peu à la manière des anciens catéchismes. D’autres qui nous expliquent que la crainte est un mot qui signifie le respect, la « crainte révérencielle », et comme personne ne sait ce que ça veut dire, on n’a pas fait avancer le problème de l’épaisseur d’un poil d’œuf, comme disait Marcel Pagnol… Et puis il y a ceux, dont je suis, qui voudraient la réhabiliter. C’est l’objet de cette petite vidéo.

Commençons par une distinction. Trois termes au moins jouent ici sur le même terrain : l’ANGOISSE, la PEUR et la CRAINTE. Nous laissons de côté le problème de la phobie qui nous entraînerait trop loin. On va faire un peu de latin ici. Le mot ANGOISSE, d’abord, vient du latin angere qui signifie SERRER, comme quand on dit qu’on a la « gorge serrée ». La CRAINTE, elle, se traduit par TIMOR, qui vient de TREMERE, trembler. Raison pour laquelle on associe traditionnellement « crainte et tremblement ». Quant à la PEUR, enfin, elle vient du latin PAVOR, qui signifie l’effroi, l’épouvante. L’hébreu et le grec, eux, ne font guère ces distinctions. Et puis, en français, il faut peut-être ajouter un quatrième terme : la TROUILLE, c’est-à-dire celui qui se lâche, qui s’effondre, celui qui EST lâche. Avoir peur et avoir la trouille n’est pas la même chose. Nos frères persécuté peuvent légitimement avoir peur, mais ils n’ont pas la trouille, parce qu’au milieu même de leur peur — la peur d’être massacré, de ne jamais rentrer chez soi, de voir leur famille décimée… —, ils témoignent d’un courage incomparable ! La trouille, c’est ce que le grec traduit par DEÏLOS, et c’est le mot de Jésus lors de la tempête sur le lac. Il dit à ses apôtres : « Pourquoi avez-vous la trouille ? ».

Ceci dit, commençons par L’ANGOISSE : l’angoisse relève plutôt du monde des idées obsessionnelles. Par exemple, certains ont l’ANGOISSE des chiens, qu’il y en ait ou non autour d’eux. C’est dans la tête. En revanche, quand un vrai chien se présente, l’angoisse laisse la place à la PEUR ! La peur, elle, est l’émotion suscitée par le danger que je ressent comme explicite, ici et maintenant. Ceci dit, la CRAINTE, elle, ne touche précisément ni l’angoisse, ni la peur. C’est autre chose. Pour comprendre, on va partir d’un exemple et se laisser conduire de proche en proche.

Prenons l’exemple du juge. On CRAINT tous le juge, mais ça ne signifie pas qu’on en a peur. On peut avoir peur de sa décision si on a commis un méfait. On peut être angoissé à l’idée d’être déféré “un jour” devant un juge. Mais au moment où l’on entre dans une salle d’audience, en tant que juré ou en guise de témoin, ce qu’on éprouve envers la personne du juge est de l’ordre de la CRAINTE. On CRAINT le juge, au sens où l’on CRAINT l’autorité de la LOI qu’il représente. Voyez, il ne s’agit pas seulement de respect — le juge peut inspirer du respect si l’on sait que c’est un juge intègre, mais c’est autre chose. La CRAINTE, là, naît de la LOI que le juge représente et qui nous dépasse, qu’on pourrait appeler « SUPÉRIEURE ». Une LOI nécessaire parce que nous faisons partie d’une société ; parce que nous avons conscience que la JUSTICE ne peut pas exister sans un minimum d’Alliance entre les personnes. Une LOI, donc, qui pose un CADRE qui nous permet de vivre librement, selon des règles auxquelles nous sommes volontairement SOUMIS, même si, c’est vrai, les règles peuvent varier d’une culture à l’autre. Sachant aussi qu’il y a des invariants, qui sont communs à toutes les cultures : l’interdit de tuer ; l’interdit de voler ; l’interdit de l’inceste, etc. Ces lois là, on ne les discute pas. Les autres, on peut les négocier, mais une fois qu’elles sont posées, tant qu’il n’y a pas de changement significatif des conditions de vie, on s’y SOUMET ! Et ça n’a rien de dégradant, au contraire. Là, on touche un premier point important : l’idée de CRAINTE est associée à l’idée de libre SOUMISSION, c’est-à-dire une soumission positive dans la mesure où la LOI n’a pas pour objectif de brimer mais de favoriser au contraire l’exercice de la liberté. Reste que c’est justement cette idée de SOUMISSION qui nous fait osciller entre la crainte et la peur.

Pourquoi ? Car dans le fond, il y a un risque. Qui suis-je, si je suis soumis ? Si je ne suis pas le maître ? Les anarchistes voudraient n’être soumis pas rien : ni DIEU ni Maître ! Mais si la LOI disparaît, alors j’ai toutes les raisons d’avoir PEUR. L’anarchie, c’est le règne de la peur. Si la LOI demeure au contraire — et c’est le rôle du juge de lui permettre de demeurer ; si elle est gardée par le CADRE, alors la SOUMISSION est tout simplement la condition qui nous engage à la CONFIANCE. Je m’en remets à un autre, je lui CONFIE mon être. On pourrait dire : je me mets en question : « Que suis-je à tes yeux ? » Et dans l’ordre du CADRE, de l’ALLIANCE qu’il instaure, l’autre me montre que j’ai de la valeur, et ce faisant, il m’élève. Il me dévoile mon humanité, ce que je ne peux pas faire par moi-même. Franz Rosenzweig, un penseur juif prodigieux du début du XXe siècle disait que le sommet de l’amour ne consiste pas à affirmer : « Je t’aime », mais « Aime-moi ». Vous voyez ? Voilà la soumission : elle offre à l’autre la liberté de nous aimer, et ce faisant, de faire de nous une personne. Et le plus inattendu, c’est de découvrir que DIEU ne dit pas autre chose dans la Bible que : « Aime-moi ! ». Ça ouvre des perspectives infinies dans l’ordre de la foi.

Prenons un autre exemple. Prenons un astrophysicien comme Trinh Xuan Thuan, qui se découvre plongé dans l’univers dont il étudie les LOIS. Et voilà que, devant l’harmonie de ces LOIS, devant la splendeur, la majesté, l’immensité, la BEAUTÉ de ce qu’il contemple, paraît en lui non pas seulement un respect, mais une CRAINTE, comme la soumission librement consentie à ce qu’il reçoit comme le CADRE génial qui rend possible son existence. Alors de cette CRAINTE germe l’idée de GRATITUDE. Un sentiment qui fait passer par l’épreuve de l’HUMILITÉ, c’est-à-dire par cette soumission confiante et paisible, aux LOIS qui régissent cet univers. L’humilité, c’est ici la surprise de participer à quelque chose de vraiment puissant, mais de manière complètement immérité. Comme un cadeau, c’est-à-dire quelque chose qu’on reçoit, mais qu’on ne s’approprie pas. Quand on vous fait un cadeau, si la personne qui vous l’a donné s’aperçoit que vous essayez de le revendre pour faire du profit, elle prendra ça pour une trahison, et elle aura raison. Donc le cadeau ne nous appartient pas : son rôle est de signifier le CADRE d’une relation mutuelle, qu’elle soit contractuelle, familiale, fraternelle ou amicale… de sorte qu’on ne peut pas en faire ce qu’on veut. Eh bien, le cadeau génère la CRAINTE : du fait que quelque chose m’est donné mais qui n’est pas « À MOI » ; et de percevoir que si ce cadeau m’est donné, c’est qu’il y a un donnateur. Là naît l’idée de DIEU. Je n’ai pas peur que ça me soit retiré, puisque C’EST LÀ ! L’univers est LÀ, dans une stabilité renversante ! Il m’est offert dans toute sa perfection, par qui ? Le hazard ? Quelle naïveté ! Quel aveuglement ! Quelle prétention ! Vous sentez bien que si l’univers n’est que je fruit du hasard, alors la crainte disparaît : tout m’appartient, et je peux en faire ce que je veux ! Alors que si quelqu’un me l’a DONNÉ, alors c’est que j’ai dans les mains un cadeau inattendu, bouleversant. Mais cela signifie aussi que je ne possède pas l’Univers… c’est très délicat ! C’est une épreuve, mais à laquelle le seul fait de CONSENTIR nous donne accès à la vie, et une vie qui a un SENS.

Pour comprendre les choses encore autrement, il faudrait parler du BEAU. Quand on est touché par une œuvre belle, elle nous bouleverse ! Pourquoi ? Parce que le BEAU touche l’intérieur. Le BEAU nous renvoie à la dimension la plus vulnérable de nous-mêmes. Ce qui fait que le BEAU fait naître le sentiment de CRAINTE. Pensons au Plateau d’Assy, en Haute-Savoie. Vous arrivez dans le village, et vous vous heurtez à des statues complètement démentielles. Vous sentez là que le sculpteur a vomi toute sa haine contre la société : ça ne bouleverse rien, ça hurle, ça agresse… ce n’est tout simplement pas beau, et c’est complètement vain. Si vous entrez maintenant dans l’église du village, Notre-Dame de Grâce. Là, c’est autre chose. Vous êtes bouleversé, toutes les œuvres réunies en ce lieu vous parlent, vous accueillent et vous élèvent l’âme. Vous vous sentez tout petit, vulnérable, et vous vous asseyez : vous êtes dans la paix ; vous vous ouvrez à vous-mêmes, rendu dignes de ce cadeau inattendu, mais qui est là. Pour vous. Vous ne mettez pas la main sur ce cadeau : quelques minutes plus tard, vous repartirez, mais vous repartirez grandi. Non pas propriétaire, mais paradoxalement plus vulnérable, d’une vulnérabilité qui vous laisse à votre tour ouvert à un autre, avec à l’intérieur de vousune JOIE profonde.

Là on a dit encore une chose importante : la CRAINTE est aussi associée au sentiment de VULNÉRABILITÉ. Et là, deux réponses possibles : ou je laisse cette CRAINTE devenir une PEUR, et là, je fuis ou je me révolte. Ou je remets cette VULNÉRABILITÉ dans les mains d’un autre, et là, c’est la FOI. La FOI, plus que la confiance : la FOI qui nous convoque à nous engager, à nous laisser volontairement toucher et faire à cet instant l’expérience d’une CROISSANCE. Une CROISANCE D’ÊTRE : on se sent exister quand on sait pouvoir s’en remettre À UN AUTRE. Il y a un risque, d’où la crainte ; mais la foi qu’on décide librement d’exercer fait naître la JOIE. Vous voyez ? On passe ainsi de la crainte à la foi, et de la foi à la joie. Vous voulez connaître la joie ? Il n’y a pas d’autre chemin ! Tout est intimement mêlé. Ça relève à la fois de l’épreuve et de la joie profonde, ce que le christianisme tente de résumer à travers ces trois piliers : la foi, l’espérance et la charité qui ouvrent cette fois à une dimension encore plus vaste : le MYSTÈRE.

Poursuivons dans cette direction, avec la Bible comme guide : l’univers, donc, n’est pas là pour nous faire peur, ni pour nous angoisser : il est le terreau par lequel la Torah nous ouvre au mystère d’une ALLIANCE qui est une ALLIANCE DE VIE, une ALLIANCE où je me découvre vivant, comme un cadeau. Et comme il n’y a d’ALLIANCE possible qu’entre deux partis, si d’un côté il y a l’homme, de l’autre, c’est qu’il y a DIEU ! De là naît tout simplement la vertu de RELIGION. Ce qui délimite deux mondes : le monde profane : celui de l’homme / et le monde su SACRÉ, celui de DIEU, et avec Lui celui de la LOI qui régit l’Univers, mais sous l’angle d’une intention que l’on perçoit : cette LOI n’est pas là par hasard. Elle ne peut être que le fruit d’une intention, donc de quelqu’un, qu’on appelle DIEU. Un DIEU, nous révèle la Bible, qui veut que ces deux mondes entrent en ALLIANCE, sans se spolier l’un l’autre, sans qu’un monde ait peur de l’autre. Alors pour cela, il y a la CRAINTE, parce qu’il y a un MYSTÈRE.

Le MYSTÈRE, ce n’est pas ce que je ne comprends pas, mais ce que je n’ai jamais fini de comprendre. C’est ce sur quoi je ne peux jamais mettre la main, et qui s’offre à découvrir à la seule mesure où je suis prêt à le recevoir, comme un cadeau. Dans l’ALLIANCE, il y a la rencontre de deux mystères : le mystère de DIEU et le mystère de l’homme. Ou pour le dire autrement, le mystère de la VIE. Une VIE sur laquelle je ne mets pas la main, sans quoi elle disparaît. Un peu comme une fleur que je trouve belle : Si je la cueille : à partir du moment où elle est cueillie, où j’ai mis la main dessus, elle meurt… En revanche, si je ne la cueille pas, je vais l’accueillir en moi ; je vais la contempler, de sorte qu’un lien s’établit entre elle et moi, entre son mystère et mon mystère. C’est très bien raconté dans le Petit Prince de Saint-Exupéry. L’image de la fleur n’est pas niaise, ici : c’est parce que je ne crains pas la fleur que je la cueille ; c’est parce que je ne perçois pas le mystère de vie qui est en elle. Entre elle et moi : il y a une LOI : la fleur se donne à moi, mais c’est à la condition que je ne la saisisse pas. Elle me donne le meilleur d’elle-même : son harmonie, son parfum, mais c’est à la condition que je ne la cueille pas. Et c’est fragile… et c’est parce que c’est fragile, parce que l’ALLIANCE suppose une nécessaire confiance réciproque qu’il y a CRAINTE. Quelque chose qui touche à la retenue, à la pudeur, à l’humilité qui s’avère être une déprise de soi pour se recevoir d’un autre, et puiser dans cette ALLIANCE une force de VIE prodigieuse ! Et la fleur me parle de DIEU. Elle me dit que, de la même manière, je ne peux pas mettre la main sur DIEU, sans quoi il disparaît pour faire place à l’idole. Et DIEU ne met pas la main sur moi, sans quoi je disparais et je deviens esclave. Ma liberté même devient alors le signe que DIEU existe, que je crains parce qu’il m’offre à entrer dans la mystérieuse rencontre de deux amours, entre Lui et moi.

Alors vous voyez ? On est passé du juge à l’univers, puis de la fleur à DIEU. On aurait pu parler de la relation entre époux, entre amis… On aurait pu prendre tous les cas où s’instaure une ALLIANCE, et il y aurait toujours été question de CRAINTE. UNE CRAINTE SALUTAIRE, parce qu’elle est la gardienne charnelle du MYSTÈRE, de la VIE et de la JOIE. Je ne suis jamais digne du Mystère de l’autre, et il n’est jamais digne du mien. Alors lorsque deux mystères s’ouvrent l’un à l’autre, lorsqu’ils acceptent ce RISQUE par la FOI dans laquelle ils décident de s’engager réciproquement, certes il y a une ÉPREUVE, mais une ÉPREUVE sans laquelle aucune JOIE n’est possible… C’est cette épreuve qui s’appelle la CRAINTE, qui est une dimension essentielle de l’AMOUR, et vous voyez qu’on touche là infiniment plus que le seul respect.

Donc voilà. On pourrait dire bien d’autres choses à propos de la CRAINTE, mais j’espère que j’aurai pu vous introduire à la noblesse qu’elle représente, qui n’a décidément rien à voir, ni avec l’angoisse, ni avec la peur ; et même, on peut dire que la CRAINTE, qui est le pilier de l’amour, nous délivre de toute angoisse et de toute peur. C’est ce que dit saint Jean : « Dans l’amour, il n’y a pas de peur, parce que l’amour parfait bannit la peur » (1Jn 4,18).

Pour terminer, je dirais que contre l’angoisse, on peut utiliser le raisonnement — je vous rappelle qu’on ne parle pas ici de la phobie, qui est encore autre chose — ; contre la peur, on peut se revêtir de courage. Mais contre la CRAINTE, il n’y a pas de remède à chercher ! Si je ne veux pas craindre, alors je deviens téméraire, et je plonge alors dans le danger le plus extrême, puisque précisément, le téméraire ne voit pas le danger ! Le courage est une lumière qui permet de vaincre le danger ; la témérité, c’est-à-dire l’absence de toute crainte, elle, est aveugle ! C’est la raison pour laquelle la CRAINTE est SALUTAIRE : elle nous sauve de la peur et de l’angoisse. Et en définitive, la perte de la CRAINTE nous lance dans les pires dangers mortifères auxquels l’homme puisse être confronté.

Alors CRAIGNONS DIEU, CRAIGNONS le Christ Jésus : nous serons alors capable de nous ouvrir à l’ALLIANCE à laquelle ils nous convoquent, et nous apprendrons de cette ALLIANCE comment nous aimer les uns les autres, dans la crainte salutaire qui fera circuler la VIE entre nous. Là est la JOIE de DIEU qui nous est offerte en plénitude, dit Jésus (Jn 16,24).

Je vous remercie.

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