17-05-2015

[Ex] 24 - Du rituel de la Pâque à la naissance de l'Histoire

Exode 12:1-2 par : le père Alain Dumont
L'Histoire – avec un [H] majuscule – apparaît lorsqu'est donnée une espérance. Il faut alors l'inscrire concrètement dans le temps, marquer rituellement son commencement pour ouvrir sa trajectoire vers l'accomplissement de la Délivrance finale.
Duration:14 minutes 25 secondes
Transcription du texte de la vidéo :  
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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 Bonjour,

Nous ouvrons aujourd’hui le ch. 12 du livre de l’Exode. C’est un assez long chapitre divisé en trois parties : les deux premiers tiers constituent la préparation rituelle du départ, jusqu’au v. 28 ; puis en deux versets seulement est racontée la terrifiante 10e frappe, aux v. 29 & 30 ; et enfin un dernier tiers nous raconte la mise en route du peuple en direction du désert.

Alors pourquoi commencer par s’étendre sur la préparation du départ ? Là, je ne vous parle pas des bagages à faire ; je vous parle d’une préparation rituelle. Je vous rappelle que le rite est le langage de la CHAIR : ce que les Fils d’Israël vont vivre, va marquer et inaugurer leur mémoire fondatrice en tant que communauté, mais pas n’importe quelle communauté : une communauté de témoins : “éDâH, qui signifie « communauté » en hébreu, vient de la racine “éD, qui signifie « témoin ». Il est donc primordial, pour que cette communauté se constitue avant tout charnellement, que Moïse ritualise ce départ avant qu’il ne commence. Comme quoi il connaît son affaire, un savoir-faire qui confirme assez bien, implicitement, la charge qu’il devait occuper en tant que Grand Administrateur du Sanctuaire de Joseph-Aménophis, puisqu’un des aspects essentiels de cette charge était précisément d’assurer les conditions RITUELLES qui faisaient l’âme du Sanctuaire. Retirez le rite, et il ne reste que l’idéologie, le formatage, l’endoctrinement… En revanche, si vous voulez façonner l’âme d’un peuple, il faut nécessairement passer par l’établissement de rites fondateurs. Des rites qui n’ont rien d’idéologique, puisqu’ils s’appuient sur l’expérience d’un événement qui va s’inscrire charnellement dans la mémoire de ce peuple. Ici, un événement de libération auquel Moïse rattache un rituel pour que, de génération en génération, il ne perde jamais son inscription charnelle. On aurait pu simplement l’inscrire sur un support d’argile, et le garder en archives… sauf qu’il aurait été perdu en deux générations. Alors que ritualiser l’événement fondateur, non pas à partir de simples idées ou de valeurs imposées par la violence comme pour la révolution française mais à partir d’un véritable événement libérateur vécu dans la chair, ça, c’est créer un peuple en lui donnant les moyens de ne jamais perdre la mémoire de sa création. Au demeurant, Jésus ne fera pas autrement lors du dernier repas avec ses apôtres : il ritualisera son départ pour inaugurer la mémoire fondatrice du christianisme.

Donc ce rituel est là pour bien signifier qu’il ne s’agit pas seulement d’un simple déplacement de population ; d’une simple translation d’une terre à une autre. Quelque chose se joue dans ce départ qui touche à la CHAIR de cette communauté, et qui lui sera consubstantielle : ça fera partie de son essence même de Communauté des Fils d’Israël. Si on devait parler d’un mouvement, ce serait plutôt ici celui d’une élévation : c’est un peuple qui se lève, qui se met debout alors même que Pharaon tente de l’abattre.

Bref. Autre point important : Moïse investit le calendrier. Ça nous paraît étrange, mais encore une fois, les événements qui vont suivre doivent s’inscrire dans le réel. Et le réel passe, dans la Bible, par la prise en compte du TEMPS. Le mois dont il est question est le mois de NISSÂN. Il est important à connaître, car ce sera désormais la date annuelle de la ritualisation de la Pâque, jusqu’à celle du Christ Jésus. Ce mois est le RoSh des mois. RoSh, c’est le « principe », ce par quoi les choses commencent, sont créées. C’est le mot par lequel commence le récit de la Création : « BéRéShiT BaRa EloHîM HaShaMaïM We HaHareTz » : « Dans un commencement, DIEU crée les cieux et la terre ». BéRéShiT, Bé = « dans », et RéShiT, c’est-à-dire RoSh = « le commencement, le principe », c’est-à-dire, littéralement : « dans un commencement, dans un principe », « En tête de ». Alors après, tout dépend comment vous considérez l’année. Un peu comme nous avons plusieurs années différentes selon que vous parlez de l’année civile qui commence le 1er janvier ; l’année académique qui commence en septembre ; l’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent… Civilement parlant, l’année juive commence par la fête de RoSh-HaShaNa, qui signifie « Tête (RoSh) de l’année », qui a lieu le mois de TiShRi. Mais NiSSâN reste tout de même le PREMIER des mois au sens où c’est le mois où le peuple d’Israël a été créé. Que la Pâque soit célébrée au mois de NISSÂN fait de lui le CHEF, la TÊTE, ou le SOMMET si vous voulez, de tous les mois de l’année, ou plus exactement de cette nouvelle trajectoire de l’Histoire Sainte qui oriente le Temps vers la Délivrance Finale, Messianique. Ce mois préside donc à la CRÉATION d’un nouvel ESPACE-TEMPS, qui sera propre à la communauté des Fils d’Israël, et que le Christ ouvrira à toutes les nations.

Précisons que le nom de ces mois est celui du calendrier Babylonien qui remonte vers 1100 ans avant notre ère. Alors d’aucuns disent que les Fils d’Israël n’ont pu en avoir connaissance qu’à partir de l’Exil, au VIe siècle avant notre ère, donc bien après Moïse. Mais…. Si notre chronologie est bonne, 1100 avant notre ère correspond précisément à la période de l’Exode, et comme Moïse était un personnage important, il a certainement eu connaissance de ce calendrier. À ce moment-là, choisir le calendrier babylonien est une autre manière de « quitter l’Égypte » et de se libérer de son influence ! Alors on pourra dire que je suis un naïf, que la Torah a été écrite bien après Moïse, au moment de l’Exil à Babylone, etc. Peut-être… et peut-être pas. Nous restons ici avec la tradition qui attribue la Torah à Moïse, et dans ce cadre, eh bien il n’est pas impossible que Moïse ait bel et bien choisi d’inscrire son peuple dans un nouvel espace-temps en optant pour la dénomination babylonienne des mois de l’année, tout en lui imprimant un sens particulier.

Car à partir de cette première Pâque, on vient de le dire, le TEMPS prend vraiment une autre dimension : il n’est plus seulement un cycle qui revient toujours sur lui-même. La notion cyclique du temps est universelle : vous la retrouvez sous toutes les latitudes. Ce qui change, et ce qui est absolument UNIQUE, c’est que le mois de NISSÂN, et plus précisément le rite de la Pâque qui en constitue la marque propre, ouvre une HISTOIRE qui s’oriente désormais vers un but, vers une fin promise qui est la Délivrance Finale, ce que les Chrétiens nomment le SALUT. L’histoire, en quelque sorte, devient une TRAJECTOIRE, avec un commencement et une fin ; ou pour mieux dire, avec un commencement en forme de PROMESSE qui génère une ESPÉRANCE qui est véritablement la marque spécifique de ce peuple. L’idée de PROGRÈS naît de là, à partir de cette notion d’espérance qui a permis à l’humanité de « progresser » vers un but. Vous enlevez le but, vous faites disparaître l’espérance et vous maintenez les populations dans la gestion de l’instant où tout doit rester à l’identique. C’est dans cette notion du temps que vivait Pharaon. Alors il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette notion de « progrès », mais ça nous entraînerait trop loin. Disons simplement que cela n’a rien à voir avec la notion de progrès tel que le Siècle des Lumières l’envisage, c’est-à-dire le progrès technique qui serait censé rendre l’homme meilleur. Alors qu’en réalité, ce progrès technique va en venir à nier l’homme pour n’en faire qu’un rouage de l’idéologie du progrès qui roule aujourd’hui pour elle-même. Avec Moïse, c’est tout autre chose : le progrès est au service de la personne, au service de la VIE, au service d’une croissance d’être qui, loin d’éloigner l’homme de DIEU, l’en rapproche au contraire, parce que DIEU se dévoile être le garant d’une espérance qui dévoile l’homme à lui-même bien au-delà de ce qu’il saurait imaginer ! C’est là qu’on peut dire que la Bible constitue la racine spirituelle de l’humanité : elle lui ouvre une espérance qui la fait progresser, c’est-à-dire prendre sans peur sa place dans la création en travaillant sur elle-même à l’écoute de DIEU et de sa Torah. Et nous, chrétiens, nous vivons de cette Histoire qui, partant de Moïse pour aboutir au Christ Jésus, initie en nous une espérance irréductible en termes de Résurrection. Alors appuyons ce fait : la notion d’ESPÉRANCE est absolument étrangère à toute culture non biblique — pire encore : elle se dérobe à toute culture qui renie ses racines bibliques — ; parce que ce genre de culture ne vit que dans l’instant, au rythme cyclique des saisons, comme en Égypte. Dès lors, redisons-le, quitter l’Égypte, c’est donc quitter ce temps désespérément cyclique pour entrer dans l’aventure d’une Histoire qui se dévoile comme une TRAJECTOIRE qui désormais marche vers un accomplissement de LIBÉRATION.

C’est dans ce sens qu’à partir du v. 3 du ch. 12 est donnée l’institution du rituel de la Pâque en lien avec la 10e frappe. Vous voyez, on n’est pas simplement dans un événement qu’on raconterait pour être au courant des faits de l’histoire, pour avoir de la culture. On est vraiment là dans un récit vivant, aux enjeux phénoménaux, prophétiques, au sens où c’est de NOTRE vie qu’il est question ici, NOTRE histoire, NOTRE mémoire, et donc notre AVENIR inscrite dans un présent qui a un sens, une direction et qui nous convoque à nous mettre en marche à la lumière du DIEU SAUVEUR. C’est ce qu’on appelle l’HISTOIRE SAINTE, qui fait de nous des Saints jusque dans notre CHAIR. On peut déjà ici rappeler le célèbre aphorisme de Saint Irénée de Lyon : « La vie en l’homme est la gloire de Dieu, la vie de l’homme est la vision de Dieu. » qui est souvent traduit ainsi : « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant ; la vie de l’homme, c’est de contempler Dieu. » (Contra Hæreses, livre 4, 20:7). Voilà la TRAJECTOIRE proposée à tout homme à partir de l’événement de la Pâque qui va maintenant s’ouvrir.

Nous verrons cela la prochaine fois.

je vous remercie.

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