16-03-2015

[Ex] 14 - Le retour de Moïse en Égypte

Exode 4:18-31 par : Père Alain Dumont
Quand le Seigneur fait s'obstiner le cœur de Pharaon...
Duration:16 minutes 52 secondes
Transcription du texte de la vidéo : 
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous reprenons notre lecture du ch. 4 de l’Exode, à partir du v. 18. Aujourd’hui, on va tenter de pénétrer un mystère un peu difficile, mais qui peut nous entraîner très loin.

Donc le temps est venu pour Moïse de retourner en Égypte, non plus seul, mais avec sa femme et ses deux fils —un second est né depuis Gershom… il s’appelle Éli‘éZèR = mon Dieu est mon secours, nous dira le ch. 18 —. et puis vient le v ; 21, étrange, surprenant, voire choquant, qui nous raconte que la mission de Moïse sera d’opérer des prodiges devant Pharaon pour que DIEU fasse s’obstiner son cœur ! C’est assez curieux, non ? Pourquoi vouloir endurcir le cœur de Pharaon ? Pourquoi ne pas plutôt l’adoucir pour qu’il laisse partir le peuple par générosité ? Mais tout simplement parce que DIEU n’est pas ce manipulateur velléitaire qu’on voudrait qu’il soit parfois. Vous savez, quand on prie en disant : « Fais quelque chose ! Change le cœur de telle personne, de tel dirigeant ! » Et il ne se passe RIEN ! Parce que DIEU n’est pas un divin manipulateur. Si vous voulez un manipulateur, adressez-vous à Merlin l’Enchanteur et ses philtres magiques, mais pas au DIEU de la Torah. Donc reposons-nous la question : que veut dire la Torah lorsqu’elle parle d’e DIEU qui fait s’obstiner le cœur de Pharaon ?

D’abord, rappelons-nous que le CŒUR, dans la Bible, c’est le lieu de la VOLONTÉ : quand on parle du CŒUR, on parle de ce que la personne VEUT véritablement. Donc ici, on nous dit que c’est la VOLONTÉ de Pharaon qui va s’obstiner ; ça reviendra plusieurs fois : le récit dira que le cœur de Pharaon s’appesantit, s’obstine ou même, une fois, s’endurcit, mais c’est toujours cette même sclérose de la volonté dont il est question. Alors comment une telle sclérose se produit-elle ? Tout simplement par un refus du réel, un refus de L’ÉVIDENCE. Ça paraît bizarre, et pourtant, même aujourd’hui, on retrouve ce même endurcissement : par exemple, nier la différence sexuelle et asséner sur tous les tons que cette différence n’est QUE culturelle… Voilà : l’évidence est là, charnelle, mais je REFUSE qu’elle ait force de loi. J’ai RAISON ! C’est ce qu’on appelle la mauvaise foi, et ce que la Bible appelle le PÉCHÉ. De sorte que plus l’évidence se manifeste, plus la volonté s’obstine à la nier, jusqu’à l’irrationnel le plus déconcertant !

Alors que nous dit ici la Bible ? Eh bien, elle nous dit que plus DIEU va mettre l’évidence de sa Puissance sous le nez de Pharaon, plus Pharaon va obstiner son cœur jusqu’à l’irrationalité la plus meurtrière ! Pourquoi DIEU fait-Il ça ? Non pas pour dire : « Je suis le plus fort ! » — ce serait absolument dérisoire ! Il n’y aurait pas grand-chose de divin là-dedans ! —. Si DIEU agit comme ça, c’est pour que le péché de Pharaon soit mis en lumière. D’ABORD pour l’inviter à se convertir, à se repentir au sens où abandonner une idéologie, c’est vraiment reconnaître qu’on avait pris un chemin de mort. ENSUITE pour manifester que, si Pharaon ne se convertit pas, s’il s’obstine malgré toute la lumière que DIEU projette sur son péché, il ne pourra pas échapper à la justice, qui retournera son péché contre lui pour lui faire subir ce que sa volonté de toute-puissance à lui prévoyait de faire subir aux autres.

Donc vous voyez : lorsque DIEU « endurcit le cœur de Pharaon », ça signifie que DIEU manifeste à Pharaon l’impasse pécheresse et meurtrière dans laquelle celui-ci choisit volontairement de se maintenir. Mais c’est d’abord pour le sauver, en même temps que pour sauver son peuple. Sauf que Pharaon refuse ce salut ! Il refuse de quitter sa folie meurtrière ! C’est complètement surprenant, mais la Bible, ici, nous montre quelque chose d’essentiel : l’homme peut refuser DIEU, et Le refuser d’autant plus volontairement que DIEU se révèle en pleine lumière. Et c’est ainsi que Pharaon peut donc réellement et librement s’enfermer jusqu’aux confins de l’abomination dans le péché, avec pour conséquence la souffrance de son propre peuple pourtant innocent. C’est terrible, mais c’est cela, la folie du péché.

Bon. Donc on a compris : DIEU fait s’obstiner le cœur de Pharaon. Mais dans le fond, qu’est-ce qu’on y gagne ? Là, c’est encore assez étonnant. Pour prendre une image — toute image est imparfaite —, pour prendre une image, c’est un peu comme le karaté. Oui je sais, ça fait bizarre de parler de karaté à propos de DIEU, mais bon. DIEU va comme utiliser l’énergie maléfique de l’attaquant pour la retourner contre lui et le jeter à terre. Quand on voit un karatéka, on est déjà impressionné. Mais quand on le voit en action pour se défendre, on est encore plus impressionné de ce qu’il renverse la force de l’attaquant contre lui-même. De sorte que plus l’attaquant est fort, plus le karatéka est plus fort que lui ! Et bien ici, il y a un peu de ça : DIEU va laisser monter Pharaon en haine, et le moment voulu, Il assènera à Pharaon le coup de grâce à partir de toute l’énergie maléfique que celui-ci aura lui-même déployée, librement et volontairement. DIEU, Lui, contrairement à Pharaon, n’a rien à prouver. Ce qui va se passer, c’est que plus le cœur de Pharaon s’assombrira, plus éclatante sera la Lumière qui émanera de DIEU. Et c’est ainsi que la puissance du mal est convertie contre son gré en son contraire : le BIEN, la VIE, de manière plus éblouissante encore que si le mal n’avait rien fait.

C’est le mystère de cette puissance divine déconcertante qui poussera saint Paul à s’écrier : « Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de science de DIEU ! » (Ro 11,33). Ce que les chrétiens prolongent dans cette phrase bouleversante de l’Exultet, au cours de la Grande Vigile pascale : « Bienheureuse faute qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur ! »

C’est un principe général de la manière dont DIEU se manifeste dans la Torah. On en avait déjà eu un écho, rappelez-vous, à propos de Joseph qui avait dit à ses frères : « Vous aviez médité le mal contre moi, ÉLoHîM a médité d’en FAIRE UN BIEN afin d’accomplir ce qui arrive aujourd’hui : garder en vie un peuple nombreux. » (Gn 50,20). Vous entendez ? Avoir voulu faire disparaître Joseph est un mal. Sauf que DIEU va faire en sorte que, de ce mal surgisse un bien plus grand encore que si ce mal n’avait pas eu lieu ! C’est ce qu’exprimera saint Paul en écrivant : « Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé afin que, comme le péché a régné dans la mort, ainsi la grâce règne par la justice pour la Vie éternelle, par Jésus Christ notre Seigneur. » (Ro 5,21-22). Mais alors, demandera saint Paul un peu plus loin : « Faut-il donc que nous restions dans le péché pour la grâce se multiplie ? Jamais de la vie ! » (Ro 6,1-2) Le péché ne peut jamais être l’instrument par lequel adviendrait la grâce, puisqu’on ne peut jamais vouloir un mal en vue d’un bien. Dit autrement, Pharaon n’est pas l’instrument voulu par DIEU pour manifester sa Gloire ! Il se trouve que le mal est un fait : Pharaon s’obstine. Eh bien : contre son gré, son péché meurtrier va rendre encore plus manifeste la Gloire et la Fidélité de DIEU, par qui la libération sera encore plus grande que si Pharaon n’avait pas péché. Et c’est ce qu’il y a de plus terrible pour le mal, puisque même ayant perdu, il pourrait encore se dire qu’il a tout de même laissé des traces de mort… et bien non : même les traces qu’il laisse se transforment en résurgences de VIE et en louange ! C’est ce qui se passera à propos des plaies du Christ sur la Croix : elles subsistent même dans sa chair ressuscitée, mais elles sont devenues des plaies glorieuses qui entraînent la grande louange du livre de l’Apocalypse, qui reprend d’ailleurs les mêmes thèmes que la louange de Moïse une fois la Mer franchie et les armées de Pharaon englouties. On y reviendra en son temps.

Donc, pour en revenir à notre récit, on nous montre ici que le Salut s’opère comme le surgissement mystérieux de la VIE précisément là où menace le néant, c’est-à-dire cette folie du péché qui préfère tout anéantir plutôt que de capituler. Or ce que Pharaon ne sait pas, c’est que le néant dont il se fait le bras armé se retournera contre lui sans que DIEU puisse le sauver puisque plus DIEU se manifestera, plus il refusera de Le reconnaître, jusqu’au comble de l’obstination irrationnelle : c’est ce que dit le v. 23 de manière abrupte, qui renvoie au récit de la dernière plaie, au ch. 11. Du coup, ce que nous apprend la Torah, c’est que si le néant menace la Vie, cette Vie ne pourra qu’affirmer plus fortement sa souveraineté. Et c’est là où la Bible apporte une espérance formidable ! Et c’est ça qui fait l’émerveillement de la Bible à chacun de ses versets chaque fois que les hommes choisissent le chemin de la VIE que leur ouvre la foi en DIEU ! Toute l’histoire du Salut n’appelle qu’à ça : « Choisis la VIE ! » Et c’est ce qui fait qu’il n’y a pas de foi, juive ou chrétienne, qui ne s’enracine, d’une manière ou d’une autre, dans l’espérance. Cette espérance est le cœur vivifiant de la Torah. C’est le cœur de Moïse. C’est le cœur de l’histoire. Raison pour laquelle cette histoire est sainte, non au sens où elle serait parfaite, mais au sens où elle nous met à part, du côté de DIEU, pour faire jaillir l’espérance au cœur de la Création. C’est ce qui fait de la Thora le livre des Gagnants, et c’est sur la Torah que s’appuiera l’œuvre du Messie, le Christ Jésus, pour mener cette victoire jusqu’à son sommet dans la Résurrection des morts.

Bien. Poursuivons : survient alors, à partir du v. 24 un épisode aussi inattendu que violent : on nous dit que le Seigneur « chercha à faire mourir Moïse ! » Wouaille ! Vous entendez ? Encore une lutte ! Alors, de quel combat s’agit-il ? Il s’agit pour Moïse, avant de se lancer dans sa mission, de faire le CHOIX RADICAL, sans retour possible, de la VIE ; ce que Çipporah, en tant que « Gardienne de la Sagesse », comprend immédiatement. Pour le dire autrement : à ce stade, Moïse est encore, d’une certaine manière, à la fois Grand d’Égypte et Fils d’Israël… Il appartient aux deux. D’où la question : à quelle descendance appartiendra son premier-né ? À celle de l’Égypte ou à celle des Fils d’Israël ? Et la question est cruciale, parce que, précisément, Gershôm n’est pas circoncis. Rappelons-nous que depuis Abraham, la circoncision est la marque charnelle et indélébile de l’Alliance. Donc si GeRShôM n’est pas circoncis, alors Moïse non plus, d’une certaine manière — bien qu’en tant que fils de Levy il l’a certainement été. Mais face à l’ambiguïté qui demeure, Moïse doit donc faire un choix : impossible d’être de deux peuples à la fois. S’il choisit l’Égypte, alors son fils premier-né subira le sort des premiers-nés de l’Égypte dont DIEU vient justement de parler au v. 23. Là, Çipporah agit vite, et avec sagesse : elle entre, comme TaMaR avant elle, dans la tradition des Fils d’Israël en y inscrivant GeRShôM par la circoncision ! Et elle marque Moïse du sang de cette opération, non pas tant au niveau de ses pieds, comme dit pudiquement le récit, qu’au niveau de son propre prépuce. Du coup, Moïse est lui-même marqué du sang de la circoncision. Il est sauvé par l’Alliance. Il n’est plus un Grand d’Égypte, puisqu’il engendre des Fils d’Israël. Désormais, il n’y a plus de doute : Il est définitivement l’Envoyé du Seigneur en faveur de son peuple.

Aarôn peut alors le rejoindre. Ensemble, ils peuvent se présenter devant les anciens du peuple, leur parler au nom du Seigneur, accomplir les signes qu’Il avait promis d’opérer, de sorte qu’au v. 31, devant les prodiges que Moïse accomplit au Nom du Seigneur, le peuple croit, s’incline et se prosterne devant le Libérateur ; c’est-à-dire devant l’Élu par qui DIEU allait sauver son peuple de l’esclavage.

Ce qui ne veut pas dire que la chose sera facile ! Nous verrons cela la prochaine fois en ouvrant le ch. 5.

Je vous remercie.
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