03-03-2015

[Ex] 11 - DIEU envoie Moïse libérer son peuple

Exode 3:8-14 par : Père Alain Dumont
Lorsque DIEu commande à Moïse de faire sortir son peuple d'Égypte, Moïse lui pose une curieuse question : “Quel est ton Nom ?”
Duration:13 minutes 49 secondes
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons notre lecture du livre de l’Exode, et j’aimerais que nous nous arrêtions encore quelques instants sur la fin du v. 8 du ch. 3, qui s’exprime de façon un peu étrange — et ce qui est étrange pour nous est toujours le plus intéressant ! Rappelez-vous : DIEU promet de faire monter son peuple vers une terre où coulent le lait et le miel, mais en même temps… voilà que cette terre est déjà habitée ! Comme nous le disions la dernière fois, voilà une curieuse promesse qui promet bien des difficultés ! La bénédiction de DIEU semble loin d’être confortable ! Et puis, QUID des nations qui sont déjà sur le territoire ?

Alors ici, redisons un préliminaire important : il faut bien prendre conscience que nous lisons ce texte avec nos yeux d’Occidentaux pour qui les frontières sont définies, immuables, régies par le droit international. Rien à voir avec l’Antiquité — ni d’ailleurs avec l’ensemble de l’histoire humaine jusqu’à la dernière guerre mondiale… Si vous vous souvenez, nous avons parlé, à propos de l’Égypte, de ces fameuses campagnes annuelles où tous les rois partaient en guerre pour mettre en jeu leurs frontières. En même temps, la guerre n’avait rien à voir avec ce qu’elle est devenue aujourd’hui : D’abord, on n’envoyait au front que des militaires de métier, et d’autre part, les armées étaient le plus souvent celles d’une ville et de ses environs, rarement celles d’un Empire tout entier.

Quoi qu’il en soit, pour exister comme peuple, et non plus simplement donc en tant que nomades au milieu des nations, c’est dans ce cadre antique qu’il faut se situer : Les Fils d’Israël, constitués désormais comme peuple, doivent avoir un territoire. Et ce territoire, eh bien il va falloir le conquérir. Les Fils d’Israël ne sont pas différents des autres nations, et donc cette terre ne tombera pas toute cuite dans leur bec. Le lait et le miel couleront bien, mais ce sera aux Fils d’Israël de le tirer. Autrement dit, le lait et le miel ne coulent pas tout seul : il y faut ajouter le travail de l’homme. En revanche, DIEU promet bel et bien que ce travail portera du fruit.

On est là à l’origine de l’esprit conquérant des juifs d’aujourd’hui, non pas en termes de pur territoire, mais en termes d’aménagement du territoire. La Palestine, avant l’installation juive, était restée un pur désert pendant presque 2000 ans. Après seulement quelques générations, depuis la fondation de l’État d’Israël en 1947, cette terre est aujourd’hui verdoyante, même dans les régions les plus désertiques ! Grâce à un travail phénoménal, et surtout une espérance sans faille ! Dans le désert poussent aujourd’hui des dates, de la vigne, des mangues, des oranges, etc. etc. Nous y reviendrons en son temps, avec Josué, mais notons que cet esprit de conquête n’est pas, comme pour les nations, celle qui consiste à étendre spatialement un pouvoir, mais de faire fructifier un sol ; sachant que c’est précisément ce travail, porté par l’espérance de l’Alliance, qui désigne qui est le véritable habitant de cette terre.

Alors revenons à notre texte. DIEU révèle à Moïse qu’Il est descendu pour sauver son peuple, et il ajoute au v. 10 : « Et maintenant, va ! Je t’envoie vers Pharaon ! Fais sortir mon peuple, les fils d’Israël ! » Et bing ! C’est Moi qui sauve, mais c’est toi qui t’y colles !!! Et là, il nous faut nous arrêter, parce que nous sommes au fondement de tout ce qu’on pourrait appeler la dynamique sacramentelle qui traverse l’Écriture : quand Moïse fait sortir, c’est DIEU qui fait sortir ; et quand DIEU fait sortir, c’est par Moïse qu’Il fait sortir. Moïse est donc comme le SACREMENT du DIEU Sauveur, c’est-à-dire le signe visible de l’action du DIEU invisible. De sorte que lorsque le peuple conquerra la Terre de la Promesse, on pourra reconnaître que c’est DIEU qui conquerra ! Et quand le peuple se dépassera pour habiter et faire fructifier cette Terre pour qu’y coulent le lait et le miel, c’est DIEU qui la fera fructifier. Etc. Etc. Quand DIEU agit, donc, c’est toujours “sacramentellement”, c’est-à-dire jamais sans l’homme ; toujours par lui. Voilà le cœur de l’Alliance qui révèle ici sa véritable nouveauté : l’homme est le sacrement de DIEU, le signe de DIEU ! D’où son malaise lorsqu’il décide de s’affranchir de DIEU : l’homme n’est plus le signe que de lui-même, et il s’aperçoit vite que ce n’est pas grand-chose…

Bref. Poursuivons le dialogue entre DIEU et Moïse. DIEU vient donc de convoquer Moïse pour l’envoyer faire sortir son peuple d’Égypte, et l’on comprend le désarroi du berger, à cet instant où tout reste à faire ! Alors pour l’encourager, DIEU lui dit : « Je serai avec toi ! », ce qu’on peut aussi traduire : « Je suis avec toi », ‘èHYiéH “iMMaKh… Sauf que pour Moïse, pour l’instant, ça ne veut pas dire grand-chose… Ça ne lui suffit pas. Comme il sait que ça ne suffira pas au peuple dont Moïse anticipe la question, au v. 13 : « S’ils me demandent “quel est son Nom”, que leur dirai-je ? ».

Quel est le sens de cette question ? Peut-être, tout simplement, que Moïse sait que les Fils d’Israël ne suivront pas n’importe quel dieu ! On peut même penser que, grâce à Joseph, ils ont à cœur de rester fidèles au dieu de leurs pères. S’il leur faut suivre un dieu, il ne peut que porter le Nom avec lequel Il s’est présenté à Abraham, comme il sera dit au début du ch. 6 : « El-Shaddaï » !

Alors vous me direz : Pourquoi doivent-ils suivre un dieu ? D’abord parce qu’on est loin des systèmes idéologiques qui voudraient mener des nations sous la seule bannière anonyme des valeurs. Ça ne viendra qu’à partir du fameux Siècle des Lumières occidental dont la hantise n’est autre que de s’affranchir du DIEU de la Bible au profit du dieu des philosophes, bien plus pratique à manipuler. Au moins, il nous fout la paix ! Et là, gare aux dérives ! Donc à cette époque, personne n’a encore lu Jean-Paul Sartre, le philosophe des valeurs, et donc c’est la divinité qui fait l’identité du peuple qui se confie à elle. Et de ce point de vue, Israël ne fait pas exception. Donc, pour trouver l’énergie de sortir des ténèbres de l’esclavage, il leur faut un DIEU qui les fédère ; un DIEU en qui ils puissent puiser l’énergie de se relever ; un DIEU qui incarne une espérance !

Et voilà qu’au v. 14, Moïse reçoit cette réponse étonnante, que DIEU avait inaugurée dès le v. 12 : « ‘éhyéh asher ‘éhyéh ». Alors voilà autre chose ! Voilà que le SEIGNEUR se met à parler en énigme ! D’autre part, ce n’est pas si simple à traduire ! Littéralement, « Je suis qui Je suis », du verbe Être, HaYaH. Mais Être au sens fort. L’hébreu n’utilise pas le verbe être comme un auxiliaire français. Par ex., au v. 6, on traduit est obligé de traduire : « Je suis le dieu de ton père », mais l’hébreu dit ici : « Moi : dieu de ton père ». La chose se complique encore, parce que ce que nous traduisons au présent est en réalité conjugué en hébreu à l’inaccompli. Il n’y a pas en hébreu de passé, présent ou futur. Il y a seulement deux dimensions du temps : ce qui est accompli et ce qui ne l’est pas. C’est très intéressant et très riche. Du coup, l’inaccompli peut se traduire en français soit par le présent : « Je suis », soit par le futur : « Je serai ». Et donc le Nom de DIEU peut se traduire, pour faire simple, soit par : « Je suis qui Je suis », soit par « Je serai qui Je serai ». Dans les deux cas, c’est un inaccompli. Personnellement, je pense qu’il vaut mieux garder le présent, qui en français exprime une réalité éternelle qui dit à la fois le passé, le présent et le futur. On aime parler en ce sens du DIEU qui est, qui était et qui sera. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que DIEU préfère, pour se nommer, utiliser l’inaccompli. Ce n’est pas un « Je suis » figé, comme les idolâtries l’imaginent toujours. Spontanément, on aurait pensé l’accompli, pour signifier l’immuable, ce qui est depuis l’origine, tellement rassurant, mais non. C’est un « Je suis » ouvert sur le temps, ouvert sur l’histoire, ouvert sur une espérance… Non au sens où DIEU Lui-même serait en devenir, mais il a un projet dans sa création. Un projet qui n’est pas de l’ordre de la prédestination, mais qui est dans l’ordre de la liberté et de la Vie.

Alors maintenant, il est intéressant de se demander comment, à l’époque du Christ, on comprenait ce Nom divin. Pourquoi est-ce qu’on revient toujours à cette époque ? Eh bien parce que, autant la tradition juive que la tradition chrétienne, prennent chacune leur essor à partir de ce moment-là ; sur la compréhension qu’on avait de l’Écriture À CETTE ÉPOQUE. Si on veut comprendre ce que Jésus dit et ce que disent les pharisiens de l’Évangile, il faut se reporter d’abord à la manière dont était interprété l’Ancien Testament à cette époque !

Et on a des indices de cette compréhension dans deux sortes de documents : d’une part la traduction grecque des LXX, réalisée au IIIe siècle avant notre ère ; d’autre part la traduction araméenne du Targum, qui date de la même époque. Ces traductions, qui sont aussi des commentaires, nous disent comment la tradition orale comprenait l’Écriture, et à partir de quelle compréhension des textes on entrait en discussion !

Alors que dit le grec ? Il traduit : ÉGO ÉIMI O ÔN = « Je suis celui qui EST ». Là, on est plutôt dans la direction métaphysique : Je suis l’immuable. Quant aux targumîm — targûmîm est le pluriel de Targûm —, eux, ils commentent : d’une part, « YHWH dit à Moïse : « Je Suis qui je suis [en hébreu]. Puis Il dit : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : « Celui qui a parlé, par qui le monde a été dès le commencement et Celui qui doit lui dire « Sois ! et il sera », c’est Lui qui m’a envoyé vers vous ! » (Targum Neofiti). Dans un autre Targum, on trouve : « YHWH dit à Moïse : « Celui qui a parlé et le monde a été, Celui qui a parlé et toutes choses ont été. Puis Il dit : « Tu parleras ainsi aux Fils d’Israël : “Je suis qui Je suis et qui doit être” m’a envoyé vers vous ! » (Targum Jonathan). On peut donc dire que la tradition orale de l’époque du Christ Jésus a compris que DIEU livre ici à Moïse son Nom éternel. Mais encore une fois, il ne s’agit pas d’un Nom figé. Certes, il est le DIEU créateur de toutes choses ; Certes Il est le DIEU qui soutient toute chose dans l’existence, au présent. Mais il est aussi le DIEU qui ouvre un avenir, qui ouvre une histoire, un chemin, une espérance. Et ce chemin, il faut que les hommes l’empruntent pour aller vers eux-mêmes : c’est encore le LEKH LEKHA initial lancé à Abraham en Gn 12,1. À la fois un chemin extérieur : « la terre où coulent le lait et le miel », mais aussi et surtout, sacramentellement, un chemin intérieur de libération. Les deux sont indissociables. Et on verra que ce n’est pas si simple…

Reste maintenant à se demander comment on passe de ‘éhyéh asher ‘éhyéh au TÉTRAGRAMME sacré, et là encore, c’est un peu compliqué. Nous verrons cela la prochaine fois.

Je vous souhaite une bonne lecture de ces quelques versets 8 à 14 du ch.3 de l’Exode, tellement riches déjà.

Je vous remercie.
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