03-03-2015

[Ex] 10 - Le DIEU libérateur

Exode 3:5-8 par : Père Alain Dumont
Ainsi parle le Seigneur : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple et j’ai entendu sa supplication. »
Duration:17 minutes 41 secondes
Transcription du texte de la vidéo : 
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Citation : mentionner : © Père Alain Dumont, La Bible en Tutoriel, http://www.bible-tutoriel.com/ + titre de l'article
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Bonjour,

Nous poursuivons notre lecture du début du ch. 3 de l’Exode, à partir du v. 5. Vous voyez qu’on prend le temps pour ces passages qui sont importants.

Une fois donc que Moïse s’est approché du buisson à l’appel de DIEU, survient une injonction a priori un peu surprenante : « Retire tes sandales ! ». Ah bon ? On se serait attendu à quelque chose d’un peu moins prosaïque… Pour autant, l’injonction est peut-être plus noble qu’il n’y paraît. Pourquoi ? Parce que ce geste a du sens : dans le culte égyptien, un espace sacré ne pouvait être souillé par rien profane. Et des sandales, avec lesquelles on marche n’importe où, étaient un objet profane. Dans les temples égyptiens, non seulement on entrait pieds nus dans les sanctuaires, mais on effaçait la trace des pas en en sortant, de sorte que le sanctuaire restait, en quelque sorte, l’espace divin par excellence, inviolé par les pas de l’homme ; l’espace sacré, séparé, non profané. Même par Pharaon : les seuls moments où Pharaon est représenté pieds nus, c’est précisément en présence des dieux. Donc Moïse n’est pas surpris, et comprend que là où il se tient, c’est DIEU qu’il vient rencontrer.

Le lieu est donc une « terre sainte », dit le v. 5, c’est-à-dire un lieu « à part ». Je vous rappelle que la sainteté n’est pas une valeur morale. La Sainteté exprime la séparation : un lieu Saint, c’est un lieu séparé du profane, du banal si vous voulez. Et quand on parle du DIEU Saint, on signifie par là non sa perfection, mais son altérité absolue. « DIEU n’est pas un homme ! », dira Moïse au livre des Nombres, sous entendu : DIEU n’est pas menteur… Et dans le même sens, le prophète Osée dira au nom de DIEU « Je suis DIEU, et non pas homme » (Os 11,9), sous entendu DIEU n’est pas capricieux. Donc voilà : la Sainteté — on parlera ici de la Transcendance de DIEU —, la Sainteté, donc, est la garantie que DIEU, le DIEU est pères, n’est pas une projection des fantasmes humains. Il est Tout Autre. Alors une fois qu’on a dit ça, il faut aller plus loin. Si DIEU est Saint, nous dit la Bible, ce n’est pas pour se tenir à l’écart des hommes, mais au contraire pour permettre une rencontre. Si vous êtes dans la fusion — on parlera alors d’un dieu immanent, c’est-à-dire qui est partout et en tout —, alors vous êtes dans l’indistinction des identités, et donc aucune rencontre n’est possible. Autrement dit, la Transcendance de DIEU, sa Sainteté, est en réalité garante d’une relation possible entre DIEU et sa Création, à commencer entre DIEU et l’homme, chacun avec son identité propre, son identité distincte. Sans la sainteté, donc, pas de rencontre possible. Déjà, ça devrait nous donner pas mal à méditer.

Et voilà que le Seigneur se présente à Moïse. Il livre une première fois son identité sainte, son identité propre : « Je suis le DIEU de ton père, le DIEU d’Abraham, le DIEU d’Isaac et le DIEU de Jacob. » Là, tout d’un coup, voilà une espèce de gigantesque flashback qui jaillit ; une sorte de retour aux origines par-delà l’épisode de l’Égypte ! Vous voyez ? Le pont se met en place : ce qui se vit avec Moïse est donc en connexion étroite, dans le prolongement exact de ce qui a commencé à se construire avec les Patriarches et dont les Fils de HeBy, dont il fait partie, ont été les gardiens pendant 300 ans dans la ligne de Joseph-Aménophis ! Et là, on comprend que Moïse « se voile la face » — il n’est pas prêtre, n’oublions pas ! Et déjà dans le culte égyptien, nul n’a pas le droit, en rigueur de termes, d’entrer dans le Saint des Saints s’il n’est pas prêtre ! — Et voici que survient la grande révélation qui va faire prendre à l’histoire d’Israël et au monde entier un tournant définitif…

Donc reprenons : Moïse est devant le fameux Buisson Ardent… DIEU s’est présenté comme le DIEU des Patriarches : « Je suis le DIEU de tes pères »… Mais la suite est inattendue. D’habitude, DIEU ne s’épanche guère : Il donne plutôt un commandement : « Je suis le DIEU de tes pères, alors Va ! Quitte ! Descends ! Fais-ceci, fais-cela ». Mais là, c’est autre chose : de la même manière que Moïse voit DIEU et l’entend, DIEU dit : « J’ai vu, j’ai vu — deux fois : pour dire : « J’ai vraiment vu ! » — J’ai vu, J’ai vu la misère de mon peuple et j’ai entendu sa supplication. ». Et voilà ! À nouveau « Voir et entendre », rappelez-vous notre dernière vidéo.

Parce que « voir et entendre », en définitive, c’est CONNAÎTRE. Moïse « voit » le feu, l’ange de DIEU, son icône, et il « entend » la voix de DIEU : donc il CONNAÎT DIEU. Non au sens où il « sait » quelque chose ; non au sens où il n’aurait rien à découvrir. Connaître, dans la Bible, ce n’est pas posséder… Connaître, c’est s’ouvrir au mystère infini de l’autre ; s’ouvrir à ce qu’il a d’unique et qui le rend si précieux… Dès lors, connaître ne veut pas dire “tout savoir” de l’autre, mais être capable d’entrer en communion avec lui ; de pénétrer son mystère à sa libre invitation.

Du coup, on comprend mieux ce que DIEU dit à Moïse. Il lui dit, en substance : « Je connais mon peuple ; Je suis en communion avec mon peuple. » Au demeurant, c’est la première fois que DIEU parle ainsi : « mon peuple » ; “aMi, au v. 7, repris au v. 10 : « Fais sortir MON PEUPLE », avec cette précision importante : « Mon peuple, les Fils d’Israël ». Là, il faut à nouveau s’arrêter… et contempler. En deux versets, on est passé du DIEU des Pères au DIEU DES FILS. Et à partir de là, certes, DIEU manifeste sa fidélité ; certes, il est toujours le DIEU Créateur, certes, mais surtout un DIEU SAUVEUR : « Je suis descendu pour le libérer ». Alors, non pas comme Zorro, Batman, Superman, Ironman ou ce que vous voulez… Ceux-là sauvent le monde en 180 mn, mais ce ne sont que des fantasmes d’une justice à super-pouvoirs au service du système. DIEU est bien plus que cela : il est libérateur, sauveur au sens où il connaît son peuple comme seul un Père connaît ses Fils ! Il a commencé par appeler un homme : Abraham, mais c’est à toute sa descendance qu’il s’est attaché, qu’Il a adoptée pourrait-on dire, selon la promesse de l’Alliance.

Le point essentiel est ici que lorsque DIEU sauve, il sauve avant tout un PEUPLE. Nous, chrétiens, nous insistons beaucoup sur le salut des personnes, mais nous ne devons pas perdre de vue qu’il ne s’agit aucunement d’un salut individuel ! Lorsque DIEU me sauve par Jésus, je ne dois pas oublier que Jésus n’abolit pas ce que DIEU a commencé avec Moïse, au profit de tout le Peuple des Fils d’Israël. Simplement, il ouvre cette libération à tous les hommes. Et donc de la même manière qu’avec le peuple des Fils d’Israël, lorsque DIEU ME sauve, ce n’est jamais en dehors de l’Église dont je fais partie, dont je suis solidaire comme de ma FAMILLE sans laquelle mon propre salut n’a aucun intérêt ! C’est le sens de l’expression, souvent mal comprise : « Hors de l’Église, point de salut ». Entendons : il n’y a pas de salut individuel. Je ne suis pas sauvé tout seul : je suis sauvé si mon salut est associé à celui de mes frères. On pourrait presque dire : je suis sauvé pour mes frères !

Dans le fond, cette notion de salut individuel, c’est très païen. C’est la notion du Sage, du philosophe qui fait son propre Salut. Les autres peuvent l’imiter s’ils le veulent, s’ils en ont la capacité, mais c’est avant tout du chacun pour soi. Pourquoi ? Parce que le Sage n’est lié en rien à son disciple, même pas par les idées qu’ils partagent. Les idées, ça n’unifie pas. Ça peut diviser, ça c’est sûr, mais ça n’unifie pas, ou alors c’est ce qu’on appelle la « pensée unique » : tout le monde pense la même chose ; et là, c’est la prison parfaite du totalitarisme ; l’esclavage absolu dont, précisément, DIEU veut nous libérer.

La Bible, elle, préfère parler du JUSTE, et le JUSTE, c’est celui qui accomplit les œuvres prescrites par la Torah, ce qu’on appelle en hébreu les MiTsVoT. Une MiTsVaH, au singulier, c’est une action qui obéit à un commandement de DIEU qui est inscrit dans la Torah. Mais si la Torah est donnée au JUSTE, c’est parce qu’il est précisément lié par le sang à TOUT un peuple, au sein duquel chacun, à sa manière, est appelé à accomplir les mêmes œuvres de la Torah ! Non pas parce que tout le monde partagerait les mêmes idées, mais parce qu’un même sang originel coule dans les veines de chaque membre de ce peuple de FILS. Le peuple, le “aM en hébreu, c’est une communauté de sang = alors que la nation, c’est la structure sociologique qui procure une stabilité minimum entre individus isolés : les GoYÎM, en hébreu. Des individus que rien de charnel ne relie entre eux. Du coup, lorsque le JUSTE, donc, accomplit les MiTsVoT, accomplit ce qui est juste aux yeux de DIEU, c’est toujours au nom du Peuple dont chacun fait CHARNELLEMENT partie.

Et nous, chrétiens, nous nous inscrivons dans la même ligne, quoiqu’un peu différemment : nous nous reconnaissons comme peuple, comme famille charnelle, dans l’accomplissement d’une unique MiTsVaH qui préside toutes les autres : la MiTsVaH de l’amour à l’imitation du Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 13,34), à savoir en donnant notre vie pour donner la vie. Or nous savons très bien que cette MiTsVaH nous dépasse ! Raison pour laquelle nous avons besoin que le Christ vive en nous ; que sa chair pénètre la nôtre ; que son sang irrigue le nôtre. Dès lors, cette MiTsVaH ne peut être que celle des Fils de DIEU en qui vit le Christ Jésus, qui est LE FILS par excellence, l’UNIQUE ENGENDRÉ, dira saint Jean ; et c’est ce que procure le Baptême. Cette MiTsVaH n’est pas une idée ; encore moins une idéologie ou un mot d’ordre, Elle est un véritable travail charnel, le travail de tout un peuple de Fils, dans LE FILS dont le Père est ainsi charnellement Notre Père.

Vous voyez ? Le Peuple chrétien est ce peuple charnel dont les membres sont unis par le sang du Christ qui coule dans ses veines et qui fait de ce peuple une seule chair avec le Christ. Dès lors, la rencontre est possible, qui prend nom d’épousailles. Le Christ est l’Époux, et le peuple est l’Épouse, disent saint Paul, dans l’épître aux Éphésiens, et saint Jean à la fin de l’Apocalypse. Une Église qui n’est pas un parti politique, mais une communauté de chair à laquelle tout homme et toute femme est appelé à se joindre ! C’est cela qui fait la l’universalité du Salut. Non pas une universalité idéologique, purement sociologique au sens où il s’agirait d’une structure qui ferait fonctionner un « système ». Ce qu’on appelle souvent l’Institution. Nous ne sommes pas sauvés par l’Institution de l’Église — même s’il faut bien qu’elle s’organise. Nous sommes sauvés en tant que nous faisons partie d’une Église qui est un peuple de FILS. Le Salut touche une universalité charnelle, qui nous fait travailler de l’intérieur à reconnaître que chaque fils est lié aux autres fils par le sang du FILS qui nous sauve ensemble en nous ouvrant le chemin du Père.

Et Moïse, ici, est aux premières loges ! Quand DIEU l’appelle, immédiatement, c’est tout le peuple qu’Il convoque à travers lui. C’est le signe que DIEU donne à Moïse au v. 12 : « VOUS servirez DIEU sur cette montagne » : c’est le Qa“aL, la convocation de tout un peuple comme d’une seule famille, la famille des Fils d’Israël ; et qui se traduira en grec par Ecclesia, Église.

Voilà. À partir de là, je voudrais que nous entrions vraiment dans l’émotion de Moïse ; et que son émotion devienne notre émotion en entendant la voix de DIEU, qui continue en disant, au v. 8 : « Et je suis descendu ! » Vous entendez ? C’est formidable : c’est la première descente de DIEU. Et pas n’importe quelle descente : il ne s’agit pas de faire une visite de courtoisie : « Je suis descendu pour le libérer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre belle, vaste ; vers une terre qui ruisselle de lait et de miel. » Wow ! Là, vous avez ce qui constitue l’originalité phénoménale de l’Alliance ; le cœur de tout ce qui constitue l’histoire Sainte ; le cœur de ce que le Christ Jésus viendra accomplir : le DIEU d’Israël est un DIEU Libérateur !

Alors allons plus loin pour terminer : D’une part, ce v. 8 nous dit clairement que DIEU n’attend pas que son peuple soit rassemblé pour descendre : Il descend pour le rassembler ! Voilà le Père ! C’est exactement la même dynamique que lorsque saint Jean vous dit : « Et le Verbe s’est fait chair, et il est descendu parmi nous » : le Verbe de DIEU, toujours cette fameuse et mystérieuse « Parole » qui n’est pas simplement un ensemble de sons qui résonnent dans l’air, mais DIEU Lui-même en tant qu’il se communique. D’ailleurs, le Targum traduit ce v. 8 de l’Exode en disant : « Je me suis manifesté à toi aujourd’hui afin de les sauver PAR MA MeMRaH », c’est-à-dire par ma PAROLE, en araméen, qui se traduira par : mon « VERBE ». Vous voyez ? On est là à la source de la tradition de saint Jean : quand DIEU descend, c’est toujours par son Verbe. Saint Jean n’invente rien. Et rappelez-vous que cette tradition avait cour librement à l’époque du Christ Jésus : quand DIEU descend, depuis toujours, c’est par son VERBE. C’est la raison pour laquelle, dans de nombreuses enluminures chrétiennes, c’est le Christ qui est représenté dans le feu du Buisson, face à Moïse. Et encore une fois, quand le VERBE descend, ce n’est pas une fois que les hommes ne sont plus esclaves, comme une récompense, mais pour que les hommes soient sauvés de l’esclavage. Et de la même manière, le peuple chrétien est convoqué par le Verbe de DIEU non pas en tant que ce peuple est sans péché, mais pour qu’il combatte le péché — qui est l’esclavage intérieur — dans la puissance du Verbe qui vit en eux par l’amour. J’espère que vous voyez que c’est vraiment la même trajectoire qu’avec Moïse.

Voilà. Reste que ce Salut n’a rien de confortable ! Il nous mène au bonheur, certes : c’est ce que signifie le début du v. 8, mais la suite nous montre que, comme l’écrit un auteur contemporain, ce bonheur n’est pas nécessairement confortable puisqu’il s’agit de partir au combat. Néanmoins, c’est tout de même bien de bonheur qu’il s’agit : le bonheur de l’homme libre. Mais nous verrons cela la prochaine fois.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Je vous remercie.
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